Intervention de Jacques Grosperrin

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 juillet 2019 à 9h35
Algorithmes locaux dans parcoursup — Communication

Photo de Jacques GrosperrinJacques Grosperrin, rapporteur :

À la demande de notre présidente, je mène depuis plusieurs mois un travail de suivi de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) que nous avons votée voilà un peu moins de dix-huit mois.

Cette mission de suivi a porté très spécifiquement sur la question des algorithmes utilisés dans le cadre de la plateforme Parcoursup.

Nous avons mené de nombreuses auditions particulièrement intéressantes, certaines en commission plénière, d'autres en plus petit comité, mais toujours ouvertes à l'ensemble de nos commissaires. Je tenais à remercier ceux d'entre vous qui m'ont accompagné et qui ont partagé leurs réflexions. Je fais un salut tout particulier à Pierre Ouzoulias - grand spécialiste de cette question - qui a très grandement contribué aux réflexions que je vous présente aujourd'hui.

Faut-il rendre obligatoire la publication des algorithmes utilisés par la plateforme Parcoursup ? Permettez-moi de partir d'un engagement très net du Président de la République, le 29 mars 2018, à Paris, lors de son discours sur l'intelligence artificielle : « l'État, pour ce qui le concerne, rendra donc par défaut public le code de tous les algorithmes qu'il serait amené à utiliser au premier rang desquels [...] celui de Parcoursup car je pense que c'est une pratique démocratique ». Je cite encore : « la clé est de [...] rendre les algorithmes publics ». Il prônait aussi, s'agissant de l'entrée à l'université, une « transparence complète ». Au-delà du discours présidentiel, qu'en est-il réellement de cette transparence ?

Parcoursup, c'est d'abord un algorithme central qui transforme les listes ordonnées de candidats transmises par les formations en réponses auxdits candidats et qui ensuite les réponses des candidats. Le code source et le cahier des charges de cet algorithme ont bien été publiés, conformément à l'objet d'un amendement de notre collègue député Cédric Villani, adopté lors de l'examen de la loi ORE.

Toutefois, contrairement à admission post-bac (APB), son prédécesseur, ce n'est pas au niveau central que tout se joue dans Parcoursup. C'est le rang du candidat sur la liste établie par la commission d'examen des voeux de la formation concernée qui va déterminer ses chances d'inscription.

Les dossiers sont regardés un à un et classés manuellement dans les formations ne comportant qu'un petit nombre de candidats, conformément aux engagements de la ministre d'assurer un traitement humain des dossiers.

Toutefois, dans la plupart des formations, chaque candidat pouvant faire jusqu'à dix voeux et vingt sous-voeux non hiérarchisés, les équipes pédagogiques ont eu recours soit à des tableurs Excel de leur facture, soit à l'outil d'aide à la décision du ministère. En 2018, un petit quart des 14 500 formations avait eu recours à cet outil, dont 56 % des licences et 47 % des instituts universitaires de technologie (IUT).

À partir de tels tableurs, les commissions d'examen des voeux ont pu sélectionner les notes des matières et les éléments de la fiche Avenir qu'elles souhaitaient retenir, ainsi que les pondérations souhaitées. Le tableur leur a ainsi permis d'établir une liste classée de candidats, au sein de laquelle les commissions n'avaient plus qu'à départager les éventuels ex aequo et à réintégrer les dossiers atypiques.

Comme le souligne depuis déjà longtemps notre collègue Pierre Ouzoulias, le travail de la commission d'examen des voeux s'opère clairement en deux phases. De même, l'existence des algorithmes locaux est indéniable, contrairement à ce que soutient la ministre qui s'obstine à nier cette évidence.

Un algorithme est une suite finie d'étapes ou d'instructions produisant un résultat à partir d'éléments fournis en entrée. Une recette de cuisine est un algorithme. Dans le cas de Parcoursup, les notes, les pondérations et les éléments de la fiche Avenir constituent les éléments en entrée ; on obtient alors une note de dossier qui permet d'opérer un classement.

M. Frédéric Dardel, président de l'Université Paris-Descartes, a publié sur son fil Twitter un exemple de prétraitement des dossiers. Il s'agit de l'une des rares expériences de transparence totale menée par une université car si la publication en ligne des critères n'est pas obligatoire, elle n'est pas non plus interdite. Pour départager les 3 212 candidatures en licence de sciences de l'éducation, laquelle ne comptait que 80 places, la commission d'examen des voeux a déterminé cinq matières - français, histoire-géographie, philosophie, langue vivante I et mathématiques - auxquelles elle a appliqué des coefficients relativement simples : 1 pour chaque matière, sauf pour le philosophie, 0,5 afin de ne pas créer de disproportion entre matières littéraires et scientifiques et parce que la philosophie est plus aléatoire. Ont également été rentrés deux éléments de la fiche Avenir : les avis du conseil de classe sur la cohérence du projet et sur la capacité à réussir du candidat. L'outil d'aide à la décision a alors calculé de manière automatisée, à l'aide d'algorithmes très simples, une note de dossier sur 120 points.

Une fois ce pré-classement opéré, les opérations humaines ont débuté : la commission a regardé tous les dossiers des candidats du secteur - environ 600 dossiers - et les 100 premiers hors secteur - en raison du quota, seules 4 places sur les 80 disponibles étaient destinées à des candidats hors secteur.

Chaque dossier a reçu une note au regard de la lettre de motivation, du CV et de la fiche Avenir. Cette nouvelle note, entre 0 et 5, a été ajoutée au score initial. Tous les dossiers atypiques ou incomplets ont fait l'objet d'une notation globale. La liste définitive a ensuite été établie et transmise au recteur.

Le régime de publication et de communication de ces algorithmes locaux est un régime spécial, dérogatoire du droit commun. Pour mémoire, le droit commun prévoit une publication en ligne obligatoire de toutes les règles définissant les traitements algorithmiques utilisés en vertu de l'article L. 312-1-3 du code des relations entre le public et l'administration. Le droit commun prévoit également la communication par l'administration, à la demande de l'intéressé, des principales règles définissant le traitement algorithmique, ainsi que des principales caractéristiques de sa mise en oeuvre, en vertu de l'article L. 312-3-1 du même code.

Le régime spécial instauré par la loi ORE pour Parcoursup déroge expressément à ces deux articles. Il prévoit que seules des informations relatives aux critères et modalités d'examen des candidatures seront communiquées, a posteriori, au candidat qui en fait la demande. Les candidats et le public ne sont pas sans information : on trouve sur Parcoursup les attendus de chaque formation et, à partir de la prochaine campagne, les critères généraux d'examen des candidatures. L'attendu d'une licence de droit, par exemple, consiste à « savoir mobiliser les compétences en matière d'expression écrite afin de pouvoir argumenter un raisonnement ». Les critères généraux demandés par la formation seront « les notes de première et de terminale en français, philosophie, histoire-géographique et SES ».

Lors de l'examen de la loi ORE, il n'était pas envisageable de demander aux établissements, lesquels disposaient de très peu de temps pour monter leurs commissions d'examen des voeux, de publier en ligne les critères d'examen des candidatures. Il fallait aussi leur laisser le temps nécessaire pour roder ces critères et les éprouver face à la réalité des dossiers reçus.

Aujourd'hui, après deux campagnes plutôt réussies de Parcoursup - je tiens à rendre hommage aux commissions d'examen des voeux qui ont fait un gros travail -, le temps est venu de reposer la question de la publication de tous les critères utilisés dans l'outil d'aide à la décision. Et cela pour plusieurs raisons : le choix éclairé des candidats - ces informations permettront aux lycéens de faire des voeux réalistes ; la confiance dans Parcoursup - elle est encore fragile après les quelques ratés du mois de juin ; la demande sociale de transparence, qui est devenue l'un des fondamentaux de nos sociétés.

Les arguments de ceux qui s'y opposent ne manquent pas : d'abord, le secret des délibérations de la commission - j'y suis tout à fait favorable, mais les délibérations ne commençant qu'au moment où la commission se penche au cas par cas sur les dossiers, il n'y a pas de raison d'étendre le secret à la phase automatisée de pré-classement des dossiers ; la commission devra se réunir avant novembre pour statuer sur les critères utilisés et donc publiés sur Parcoursup - cet argument ne me paraît pas insurmontable ; les candidats vont crouler sous l'information - c'est un risque, mais notre société préfère aujourd'hui trier l'information plutôt que d'en être privée ; enfin, cela risquerait d'encourager des comportements stratégiques - selon moi, mieux vaut faire savoir à tous les candidats sur quels critères ils seront jugés, plutôt que limiter cette information à quelques happy few bien informés.

Pour ces raisons, je recommande le retour au régime de droit commun. Ce n'est ni une nouveauté, ni une idée isolée. Je vous rappelle que le Sénat a déjà voté ce retour l'an dernier, sur l'initiative de sa commission des lois et de son rapporteur, Sophie Joissains, dans le cadre du projet de loi relatif à la protection des données personnelles. Je tiens d'ailleurs à saluer l'action volontariste de Mme Joissains.

La Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), dans son avis du 10 janvier 2019, a clairement déploré l'existence de ce régime d'accès, ce qui nous a été encore confirmé le mois dernier.

Le Défenseur des droits a recommandé à la ministre, dans sa décision du 18 janvier 2019, de « rendre publiques toutes les informations relatives au traitement, y compris algorithmique, et à l'évaluation des dossiers des candidats ».

Le rapporteur public du Conseil d'État, au cours de la séance du 20 mai dernier, a suggéré qu'une réflexion soit menée sur la transparence de Parcoursup.

Enfin, à tout seigneur tout honneur : comme je vous l'indiquais au début de mon intervention, le Président de la République a lui-même demandé la transparence des algorithmes de Parcoursup en mars 2018. Je m'explique difficilement que sa parole, son engagement, particulièrement clairs, aient été si peu suivis d'effets.

Je déposerai prochainement, avec Sophie Joissains, une proposition de loi que je vous demanderai de bien vouloir cosigner. J'aurais aimé que ce texte soit également repris par d'autres groupes politiques, ce qui n'a pu être possible. L'adoption de cette proposition de loi me paraît essentielle pour parvenir à une plus grande transparence sur la question des algorithmes.

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