Intervention de Thomas Juin

Mission d'information Transports aériens — Réunion du 16 juillet 2019 à 16h35
Audition de Mm. Thomas Juin président et nicolas paulissen délégué général de l'union des aéroports français

Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français :

Je souhaite revenir sur trois points essentiels pour notre secteur. D'abord son évolution et sa transformation au cours des dernières années, puis la question de la compétitivité et de la concurrence, enfin le sujet du développement durable qui est particulièrement prégnant depuis quelques mois.

Sur l'évolution du transport aérien français, un record a été battu en 2018 puisque nous avons franchi pour la première fois les 200 millions de passagers et atteint le chiffre que vous avez évoqué de 206 millions. Le secteur évolue avec une croissance de 4,8 %, en retrait de la moyenne européenne qui se situe à 5,4 %. C'est le fruit d'une mutation engagée depuis une dizaine d'années et qui s'apparente à une révolution douce. Le secteur s'est adapté pour ouvrir l'accès à l'avion au plus grand nombre. Le temps où l'avion était réservé aux CSP+ est révolu et nous constatons des profils de voyageurs qui s'apparentent à la clientèle des TGV. L'avion répond à un besoin de mobilité des Français lié à l'arrivé des compagnies low-cost qui tire à 66 % la croissance du marché. Très décrié dans les premier temps, ce modèle s'est imposé en Europe, tant dans le court que le moyen-courrier. Cette évolution joue un rôle dans le lien social. Sur certaines lignes comme Caen-Toulouse ou Brest-Toulouse, la clientèle familiale et de loisirs représente plus de 50 % des passagers.

Nous vivons un changement de paradigme. Les aéroports ont fait évoluer leurs capacités pour accueillir ce trafic nouveau dans de bonnes conditions, hormis quelques exceptions tenables, par exemple celle de Nantes-Atlantique qui est en forte croissance. Tous les aéroports ont été certifiés en 2017 selon la législation européenne.

Il faut noter la forte progression des lignes transversales. Contrairement à une idée reçue, le trafic aérien domestique ne se contracte pas. Depuis 15 ans, la progression est de 14,5 % pour le trafic local, dans une progression de 50,6 % du trafic global. Donc la progression est moindre qu'à l'international mais elle existe. Sur les lignes transversales, la dynamique est très forte depuis 2017. Les lignes domestiques représentent 27 % du trafic, soit 52 millions de passagers, et sont un vrai outil de développement et d'aménagement du territoire.

En France, le réseau TGV est organisé en étoile depuis Paris essentiellement. Tout l'intérêt de l'aérien est de contrebalancer ce rayonnement et d'apporter des liens entre les régions et les villes pour des besoins de trafic moins massifs que pour le TGV. La complémentarité des modes est claire et il n'y a pas de concurrence, ou marginalement, entre le train et l'avion. Une ligne inutile est une ligne qui ferme d'elle-même pour des raisons économiques.

Sur les villes à moins de 3 heures de Paris, le TGV prend l'ascendant pour les liaisons de point à point. Dans ce cas, si l'avion persiste, c'est essentiellement pour répondre à un besoin de correspondance, par exemple pour Nantes-Paris ou Lyon-Paris. Je rappelle que Nantes-Paris a rouvert, sans subvention, pour répondre à la demande de connexion aux aéroports parisiens qui sont incontournables pour correspondre avec le reste du monde.

Sur les lignes d'aménagement du territoire, je considère qu'il s'agit d'un dernier recours lorsque tout le reste n'a pas marché. C'est un système par défaut.

Sur la compétitivité et la concurrence, l'élément essentiel dans le transport aérien est la notion de « coût de touchée » plus que celle du coût du billet. Lorsqu'une compagnie décide de s'intéresser à une région et à un aéroport, elle va regarder évidemment le potentiel de trafic mais aussi le prix à payer pour se poser. Elle fait ses comparaisons, non pas par rapport à un aéroport concurrent mais sur toute l'Europe, et fera ses arbitrages en fonction de pays, par exemple l'Espagne, où les coûts de touchée sont plus faibles. Ce sujet est extrêmement sensible et nous avions milité pour que la direction générale de l'aviation civile (DGAC) mette en place un observatoire des coûts de touchée. Il faudra regarder les résultats par catégorie d'aéroports et non par moyenne nationale, car il n'y a pas de sens à comparer petits, moyens et grands aéroports, avant d'envisager toute évolution des taxations. Les non-initiés peuvent penser que 1 ou 2 euros ne changeront pas grand-chose à la décision des passagers. Sauf que la décision de maintenir ou non une ligne ne revient pas au passager. C'est la compagnie qui décide et qui fait des choix aux dépens d'un aéroport ou d'une région en considération de sa marge si elle varie de 1 à 3 euros car on sait que le bénéfice par passager court et moyen-courrier est de 4 à 6 euros.

La décision du Gouvernement met à mal les coûts de touchée puisque rajouter une nouvelle taxe - cette fameuse écotaxe - ne nous va pas pour deux raisons. C'est une taxation franco-française. Nous avions compris pendant les Assises du transport aérien qu'il n'était pas souhaitable de s'orienter vers une surtaxation française et que toute évolution devait s'appréhender dans un cadre européen. En plus, cette taxe va financer d'autres modes de transports alors que nous avions également milité pour que toutes recettes du secteur aérien servent à sa propre transition écologique. C'est d'autant plus regrettable que les modes de transports qui vont bénéficier de ces recettes ne pourront pas se substituer à l'aérien. Dans la plupart des cas, l'avion a du succès car il permet de desservir des territoires lorsque le train ou la route ne le font pas efficacement. Ce qui nous paraît important est de mobiliser des moyens pour que le transport aérien diminue son empreinte carbone tout en répondant aux besoins de mobilité des Français.

Cette surtaxation française va s'aggraver à deux niveaux. Le Brexit qui est annoncé pour le 30 octobre va entraîner une fiscalité supérieure de 7 euros par passager pour tous les vols partant de France vers le Royaume-Uni. Si vous rajoutez cela à l'éco-taxe, ce sont 10 euros supplémentaires. Nous allons au-devant de déprogrammations de lignes sur les low-cost court-courrier. Cela tient à ce que la fiscalité française - taxe d'aviation civile et taxe de solidarité - a un régime différent en pays tiers. La taxe « solidarité » nous inquiète également sur le fait qu'elle n'a pas été dupliquée par nos pays compétiteurs en Espagne ou ailleurs. Nous n'avons pas été entendus sur cette taxe qui représente 217 millions d'euros et dont le surplus sort du secteur aérien, certes pour le financement de la santé dans les pays en voie de développement ce qui est en soi une bonne cause. Mais il y a une fâcheuse habitude à puiser de l'argent sur l'aérien pour servir d'autres activités. Cela nous paraît extrêmement contreproductif, un non-sens économique pour la compétitivité et un non-sens environnemental puisque cela n'aidera en rien à la transition écologique du secteur aérien.

J'en viens au développement durable et voudrais rappeler que le secteur est mobilisé pour réduire son empreinte carbone. L'obsession des compagnies aériennes est de moins consommer de carburant. Les attaques dont nous sommes l'objet sont incohérentes avec l'empreinte carbone du secteur qui représente 2 % des émissions de CO2 dans le monde. Ce n'est pas 20 %, c'est bien 2 %. Donc si nous supprimions les avions, 98 % des émissions carbone ne seraient pas résolues. Il ne s'agit pas de se défausser mais de le rappeler. L'avion représente 8,75 % des carburants consommés en France. L'élément factuel est que ce qui pollue, ce sont les mouvements d'avions, pas les passagers. Depuis 15 ans, la progression des mouvements est de +0,3 %. Autant dire qu'il n'y a pas de progression alors que le nombre de passagers a progressé de 52 %. Les compagnies proposent des vols de plus forte capacité avec en moyenne 115 passagers par vol au lieu de 70 passagers il y a 15 ans. Cette contribution à la mobilité ne vient pas en proportion dégrader l'environnement, bien au contraire. Toute la chaîne du secteur est mobilisée. Les aéroports sont engagés dans le programme européen Airport accreditation carbon qui ouvre un processus de réduction de l'empreinte carbone vers l'objectif d'émission zéro en 2050. En France, 40 aéroports sont engagés, ce qui en fait le premier pays en Europe. Les nouveaux avions sont moins consommateurs de carburant et le Conseil pour la recherche aéronautique civile (CORAC) bénéficie d'un soutien public.

Nous avons besoin de mobiliser les financements pour aller vers une rupture technologique à moyen et long-termes. Sur le court terme, il faut rapidement déployer la filière biocarburant qui réduit sensiblement l'empreinte carbone de 40 % sur un avion. Donc, on ne comprend pas pourquoi nous ne sommes pas plus allants dans ce domaine car les avions sont en situation de fonctionner avec. Il y a une filière de retraitement de déchets qui peut être développée et qui n'est pas en concurrence avec les terres arables. Il faut s'engager sur des mesures efficaces plutôt que sur des mesures de taxation qui n'auront aucun effet sur l'environnement.

Enfin sur l'intermodalité, il n'y a pas eu à mon sens, de la part du Gouvernement et des collectivités locales, suffisamment de prise en compte de l'accessibilité des aéroports. Je rappelle qu'une des principales sources de pollution des aéroports provient de leurs moyens d'accès. C'est en train de changer, mais je pense qu'il faut prendre acte du rôle joué par les aéroports en lien avec les populations. Par exemple Toulouse-Blagnac n'est pas relié au réseau de métro de cette ville. Aéroport de Paris est le seul au monde de ce niveau qui n'a pas de desserte pratique en site propre. C'est assez révélateur de notre culture de ne pas avoir pris en considération la démocratisation du transport aérien.

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