En effet, la notion de temps est pour eux différente et cruciale !
Ainsi, la BRI nous a été présentée tour à tour par des officiels chinois comme un simple «label économique», sorte de marque apposée sur des projets économiques, ou comme la proposition d'un nouvel ordre mondial, alternative au modèle américano-centré. C'est en jouant de l'ambiguïté entre la proposition économique, qui n'est d'ailleurs pas sans risques, et celle plus politique d'offre alternative au modèle occidental, que les Chinois avancent.
Alors s'agit-il d'une formidable aventure aux objectifs ambitieux ou d'une diplomatie de la fanfare ? C'est un modèle de développement annoncé à grands coups de trompette, avec des moyens financiers considérables. À l'évidence, la BRI est d'abord une formidable aventure pour tous les pays. Nous constations dans le rapport que ce projet extrêmement ambitieux, annoncé à grand renforts de communication planétaire, rencontre les attentes de nombreux territoires en recherche de développement qui, pour des raisons économiques ou politiques, peinent à trouver les financements qui leur permettraient de poser les bases d'une croissance durable. Ces besoins apparaissent tant dans des zones en développement en Afrique, en Asie centrale que dans des pays plus avancés, notamment en Europe centrale, qui n'ont bénéficié que récemment des crédits européens et doivent rattraper rapidement un déficit d'infrastructures.
Aujourd'hui, les autorités chinoises sont capables d'actionner à la fois le secteur public et le secteur privé et elles disposent d'une puissance financière permettant d'investir des milliards sur tout projet présentant un intérêt. De plus, pour eux, le temps ne compte pas. Ce sont là les données majeures de l'équation qui expliquent en partie la force de frappe de l'offre chinoise à laquelle, en Europe comme ailleurs, il semble difficile de résister.
En outre, comme il a été dit, autour de la BRI, on peut déceler l'opposition entre le modèle de développement occidental avec son lot de contraintes, ses normes, ses critères d'éligibilité, sa surveillance de l'État de droit et des droits de l'Homme, et celui proposé par les Chinois, d'apparence plus souple, visant seulement le développement des ports, des lignes de chemin de fer, des réseaux et autres infrastructures.
En dehors des grands principes énoncés par la doxa officielle, la politique des « Nouvelles Routes de la Soie » nous a semblé avoir trois objectifs. Tout abord, et c'est fondamental, assurer la stabilité de la République populaire de Chine et la légitimité de son parti dirigeant. Cela passe par le développement interne, l'aménagement et le rééquilibrage du territoire chinois, la maîtrise des tentations séparatistes du Xinjiang et la création de nouveaux débouchés économiques pour l'économie chinoise en surcapacité. Le deuxième objectif est de sécuriser les frontières et les approvisionnements, en offrant une alternative au détroit de Malacca, par lequel passe l'essentiel du pétrole nécessaire à l'économie chinoise, ce qui illustre l'importance du corridor sino pakistanais et du port de Gwadar. Enfin, le dernier objectif est de proposer une alternative à l'ordre mondial, hérité de Bretton Woods, avec en particulier la création, début 2018, d'un marché domestique pour la négociation des contrats à terme sur le pétrole brut libellés en yuan et convertibles en or, aux bourses de Shanghai et de Hong-Kong.
Ce projet ne peut pas aller sans conséquences géopolitiques à long terme et certains craignent qu'il ne renforce l'influence de Pékin d'une manière tout à fait considérable, jusqu'en Europe.