Intervention de Pascal Allizard

Commission des affaires européennes — Réunion du 11 juillet 2019 à 8h35
Politiques étrangères — Relations entre l'union européenne et la chine à la suite du 21e sommet union européenne-chine du 9 avril 2019 : communication de m. pascal allizard et mme gisèle jourda

Photo de Pascal AllizardPascal Allizard, rapporteur :

Depuis la remise de notre rapport, et au-delà des intentions réelles ou supposées de la Chine à travers ce projet BRI, la grande inconnue pour les années à venir demeure la capacité des Chinois à soutenir dans la durée, et en même temps, un tel effort industriel, commercial, militaire, financier et politique, tout en continuant à susciter l'adhésion à leurs projets.

Au regard des performances économiques en baisse, des critiques sur la qualité des travaux d'infrastructures, du prix du béton, du manque de transparence, du recours massif à de la main d'oeuvre chinoise expatriée au détriment des travailleurs locaux, les inquiétudes grandissent.

Ce n'est donc pas un hasard si le deuxième Forum des « routes de la soie » s'est ouvert à Pékin, en avril dernier, dans un contexte un peu plus marqué par la défiance vis-à-vis des projets chinois, et plus globalement par des tensions sino-américaines renforcées en mer de Chine ou en matière commerciale.

Le président Xi Jinping s'est voulu rassurant. En plus des 60 milliards engagés dans des projets, il a annoncé une nouvelle feuille de route, ainsi que des chantiers plus respectueux des questions sociales et environnementales, plus d'ouverture dans les appels d'offres et davantage d'efforts pour lutter contre la corruption.

Pour les prochaines années, toute la question sera donc de savoir s'il s'agit d'un tournant, appuyé sur une volonté réelle de changement, ou d'une opération de communication destinée à éteindre les critiques en usant habilement des concepts chers aux Occidentaux tels que la transparence ou le verdissement des politiques.

Par ailleurs, en devenant un acteur global, la Chine sera confrontée aux contraintes qui vont avec, notamment les problématiques sécuritaires, l'instabilité politique de zones qu'elle connaît mal et la difficulté de préserver ses intérêts sans apparaître comme une puissance « occupante » ou « prédatrice » et « colonialiste ».

Une chose est sûre : sans vision et sans solidarité communes en Europe, l'émergence de la Chine risque de constituer un coin supplémentaire venant disloquer une Union européenne déjà mal en point, et non une opportunité. Or, nous avons besoin de la Chine comme partenaire, parce qu'elle est incontournable. Voilà notre dilemme.

Pour terminer, je veux ajouter quelques compléments en appui de ces propos.

Le groupe aéronaval Charles De Gaulle a récemment mené une mission dans l'océan Indien jusqu'à Singapour pour y affirmer notre souveraineté.

S'agissant de la ressource halieutique, la France doit assurer la surveillance de sa zone économique exclusive pour y exercer sa souveraineté.

Souvenez-vous de ce qu'il s'est passé récemment entre les côtes chinoises et taïwanaises : un bâtiment de notre marine nationale a été empêché de traverser. Ces eaux sont internationales, sauf pour les Chinois, qui les considèrent comme partie intégrante de leurs eaux territoriales. Si la France et d'autres pays y envoient régulièrement des bâtiments, c'est bien pour signifier le caractère international de ces eaux.

À Changchun, ville chinoise située à 300 kilomètres de la Corée du Nord et de la Russie, nous avons visité une université accueillant des jeunes entre huit ans et vingt-et-un ans, tous francophones. Les plus brillants d'entre eux sont appelés à devenir diplomates en France, tandis que les autres constitueront les cadres chinois de l'Afrique francophone.

En Méditerranée, on dénombre désormais plus de bâtiments militaires chinois que de bâtiments battant pavillon d'autres pays, notamment européens.

Je ne reviendrai pas sur le format « 16 + 1 », mais il faut savoir que l'Union européenne n'y dispose que d'un strapontin, avec un rôle uniquement consultatif. L'Europe face à ce projet de BRI n'existe pas. C'est la raison pour laquelle nous avons parlé de bilatéralisme de masse. Espérons que les nouveaux responsables européens en prendront la mesure et qu'une action sera menée.

J'étais rapporteur pour avis de la proposition de loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles. À ce jour, les opérateurs occidentaux ont, sur le plan de la technologie, entre dix-huit et vingt-quatre mois de retard. À tel point qu'on se dit que, quitte à être espionnés, mieux vaut l'être par les Américains que par les Chinois. L'objectif de ce régime d'autorisation prévue dans cette proposition de loi - les Allemands travaillent plutôt sur les normes tandis que les Britanniques ont créé un laboratoire en codéveloppement avec Huawei, estimant qu'en étant partie prenante du dispositif, ils pourront en contrôler l'évolution -, c'est de faire patiner la courroie pendant suffisamment de temps de façon à nous permettre de rattraper notre retard.

Dernier point, la problématique yuan-dollar. Par construction, le dollar reste la monnaie de référence mondiale, mais il n'est pas sûr qu'il en aille ainsi éternellement. L'opération menée sur le contrat à terme sur le brut était aussi liée à la situation au Venezuela. Certes, elle n'a pas connu un grand succès, mais les Chinois ont ainsi pu mettre un pied dans la porte.

La loi de Gresham dit que la mauvaise monnaie chasse la bonne, et il y aura de la spéculation sur le yuan contre le dollar. La Chine, en même temps, détient tant de dette américaine qu'elle n'a pas intérêt à ce que le cours du dollar s'effondre trop vite. En tous cas, c'est elle qui a la clef du système.

Le plus important est d'arriver à regarder ces différents sujets en chaussant les lunettes des Chinois.

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