En effet, deux nouveautés juridiques majeures apportées par le nouveau règlement viennent conforter la défense commerciale de l'Union européenne au sens de l'OMC. Celle-ci a la réputation justifiée de combattre le protectionnisme, au profit de conditions loyales de concurrence internationale. À ce titre, elle autorise la protection commerciale, sous des conditions exigeantes, mais non dirimantes. La défense d'une économie nationale fait l'objet d'un texte spécifique - couramment dénommé « accord antidumping » - conclu dans le cadre de l'OMC. Sans entrer dans les détails, je souligne que l'adoption de mesures de protection commerciale est subordonnée à la réunion de trois conditions : l'existence démontrée d'un dumping ; un préjudice constaté ; un lien de cause à effet reliant la pratique incriminée au préjudice constaté. Pareilles circonstances autorisent à imposer des droits de douane, voire, dans certains cas, à interdire les importations, au maximum pendant cinq ans afin de sauvegarder une production nationale menacée par une « poussée » d'importations déloyales.
Le but est toujours de rétablir une concurrence ouverte, loyale et exempte de distorsions. Il me paraît utile de souligner que le corpus juridique de l'OMC comporte la notion de subvention spécifique. Ce qualificatif s'applique lorsque la distorsion bénéficie à une entreprise ou à une branche de production. Une concurrence déloyale dans le domaine du transport aérien peut incontestablement relever de ce concept, qu'il s'agisse de subvention intérieure ou à l'exportation.
Ce bref rappel étant fait, j'en viens au règlement de 2019 et à son évolution par rapport au texte de 2004.
Le règlement de 2004 ne reprenait qu'une partie des mesures autorisées par l'accord anti-dumping. Ainsi, il limitait strictement la protection commerciale à l'imposition de droits de douane censés compenser le préjudice infligé à l'entreprise plaignante par un opérateur de pays tiers. Claude Kern a mentionné l'intérêt pour les transporteurs européens du champ supplémentaire ouvert par les « restrictions opérationnelles » que la Commission européenne pourra désormais imposer. Je souhaite simplement ajouter que cette protection accrue de l'Union revient à une application directe de dispositions déjà inscrites dans l'accord antidumping. Ignorées en 2004, elles sont reprises en 2014, améliorant ainsi le parallélisme entre le droit de l'OMC et celui de l'Union. L'Union européenne tarde souvent à apporter des solutions mais, quand elle le fait, elles sont pertinentes !
Le règlement de 2019 ne se limite pas pour autant à une simple transposition de l'accord antidumping de l'OMC. Claude Kern vient en effet d'observer à juste titre que le nouveau règlement visait toutes les personnes morales économiques placées « sous la juridiction d'un pays tiers, contrôlées ou non par les pouvoirs publics d'un pays tiers ».
Cette évolution ne contribue évidemment pas à l'alignement du droit de l'Union sur celui de l'OMC. En revanche, elle est parfaitement cohérente avec les conséquences qu'un Brexit dur pourrait avoir pour l'aviation civile. L'Union européenne est bien inspirée.... La prochaine échéance est fixée au 31 octobre prochain. Du jour au lendemain, Iberia pourrait devenir une entité contrôlée de l'extérieur de l'Union, par le conglomérat britannique International Airlines Group, maison-mère de British Airways. La situation serait identique pour la compagnie low cost hispano-britannique Vueling. À en juger par le feuilleton triennal des négociations sur le Brexit, l'amélioration de la sécurité juridique n'aura rien d'anodin.
En conclusion, l'apport du nouveau règlement est substantiel dans les conditions présentes. Loin d'être une simple réécriture quasiment à l'identique d'un dispositif existant, l'évolution rédactionnelle opère une sorte de mise au point en optique : tout devient plus net. L'anticipation de circonstances à venir nous semble particulièrement bien venue. Le règlement du 17 avril 2019 est insuffisant pour véritablement organiser un marché intérieur du transport aérien, mais telle n'est pas son ambition. En revanche, le nouveau dispositif marque une meilleure insertion de l'Union européenne dans une mondialisation ordonnée, malgré une conjoncture quelque peu chaotique pour l'unité du Vieux Continent.
Cela arrive dans une conjoncture particulière. La guerre entre Airbus et Boeing évolue comme vous savez, Boeing ayant nombre d'avions cloués au sol. Airbus a le vent en poupe... Et, à l'OMC, cette question aérienne n'était pas intégrée.