Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d’une navette effectuée au pas de charge sur un projet de loi pourtant complexe. Il s’est écoulé à peine un mois et demi entre le jour de présentation de ce texte en conseil des ministres et son adoption définitive par le Parlement. On ne peut que déplorer la désinvolture du Gouvernement, qui fait passer cette loi en faisant fi des délais nécessaires aux deux chambres pour exercer dans de bonnes conditions leur mission de législateur.
Ces considérations de forme mises à part, je soulignerai la désorganisation qui a procédé à l’élaboration de ce texte.
Initialement, ce texte s’intitulait projet de loi portant ratification de l’ordonnance relative aux voies réservées et à la police de la circulation pour les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Ainsi, son titre ne correspondait qu’à son article 1er, qui procède effectivement à la ratification de l’ordonnance du 20 mars 2019 susvisée.
En 2018, les sénateurs socialistes avaient voté pour le projet de loi visant à faciliter l’organisation des jeux Olympiques et à habiliter le Gouvernement à procéder par ordonnance. La ratification de l’ordonnance, proposée par l’article 1er, ne pose donc pas de problème, d’autant que les apports de la rapporteur pour avis du Sénat, Muriel Jourda, à savoir la mise en œuvre d’un principe de proportionnalité liée à des objectifs de sécurité et de fluidité et à la durée d’activation des voies réservées, ont été conservés dans le texte de la commission mixte paritaire.
L’article 2, qui prévoit de permettre au préfet du département de déférer à la cour administrative d’appel de Paris, et non au tribunal administratif, conformément au droit commun, ne nous pose pas de problème sur le fond.
Les sénateurs socialistes et républicains sont favorables à ces dispositions nécessaires à la bonne organisation des jeux Olympiques. Ils approuvent également celle qui figure à l’article 4 ; introduite par amendement du Gouvernement au Sénat, elle prévoit un régime dérogatoire pour l’attribution des titres d’occupation et des titres de sous-occupation de dépendances du domaine public à des partenaires marketing par le comité d’organisation des jeux Olympiques.
Bien plus problématique et contestable est l’article 3. La création ante-législative, donc déjà effective, de l’Agence nationale du sport est pour le moins surprenante. Selon une procédure inversée peu usuelle, l’ANS a été créée par arrêté du 20 avril 2019 sous forme de groupement d’intérêt public, ou GIP, et sa création effective a été anticipée au 14 avril, par la publication de sa convention. Ses instances se sont déjà réunies et l’Agence fonctionne.
Les anciennes recettes du Centre national pour le développement du sport, ou CNDS, lui ont été affectées par l’article 83 de la loi de finances pour 2018 et sont confirmées comme principale source de financement via trois taxes : taxe sur la cession des droits sportifs télévisuels ; prélèvements sur les recettes de la Française des jeux ; prélèvements sur d’autres opérateurs de paris sportifs.
La création de l’Agence constitue le dernier acte du démantèlement en règle du ministère des sports. Après avoir procédé à la suppression des contrats aidés, au transfert aux fédérations sportives à l’horizon 2022 de la moitié de l’effectif des CTS, à l’absorption par les directeurs académiques des services de l’éducation nationale, ou Dasen, des directions des sports, à la réduction des crédits budgétaires et à la division de moitié en deux ans des crédits affectés au CNDS dont hérite l’ANS, le Gouvernement transfère à cette agence la mise en œuvre des politiques publiques – il s’agit notamment du développement de l’accès à la pratique sportive pour tous, du sport de haut niveau et de la haute performance – concernant un secteur dont les moyens sont peu à peu sabordés.
Se trouve ainsi posée la question très politique de l’avenir même du ministère des sports, et ce alors que se profilent des échéances internationales : jeux Olympiques et Paralympiques au Japon à l’automne, Coupe du monde de rugby, en 2023, jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024.
On s’interrogera également sur le fonctionnement même de l’Agence. La superposition des structures proposées par le projet de loi pour la faire fonctionner se révèle particulièrement complexe.
Je me réjouis toutefois des précisions utiles apportées lors de la navette pour permettre à l’Agence de fonctionner plus rationnellement, notamment grâce à l’adoption d’amendements du rapporteur, Claude Kern, et du groupe socialiste et républicain.
Néanmoins, l’ANS ainsi créée constitue un objet juridique hybride et bancal. Les points d’insécurité juridique, relevés par le Conseil d’État, restent nombreux dans ce dispositif.
C’est d’abord le cas pour ce qui concerne la forme juridique : le statut de GIP ne peut s’appliquer qu’à des structures menant des projets temporaires. L’Agence n’aurait donc « pas vocation à devenir pérenne » et à « se voir confier la mise en œuvre d’une politique publique », selon le Conseil d’État.
Ensuite, le mode de financement choisi pose deux types de problèmes : d’une part, les GIP ne sont pas habilités à recevoir des taxes affectées ; d’autre part, le fait que la quasi-totalité des ressources provient de l’État par le biais de taxes affectées et d’hypothétiques subventions budgétaires n’est pas conforme au mode de financement de droit commun des GIP qui prévoit la mise en commun de moyens nécessaires à leur fonctionnement par les personnes les constituant.
Les personnels du ministère sont tellement convaincus du caractère inopportun de cette nouvelle structure qu’ils ont formé trois recours en référé d’annulation contre sa constitution : le premier pour suspension de l’arrêté créant le GIP ; le deuxième pour suspension du décret mettant fin au CNDS ; le troisième pour suspension du décret qui affecte les anciennes ressources du CNDS à l’Agence. Si le Conseil d’État a pour l’instant rejeté ces requêtes sur la forme, il devra néanmoins statuer sur le fond.
Le groupe socialiste sera donc extrêmement vigilant quant à la mise en œuvre des politiques de l’Agence nationale du sport, à la diversification de ses modes de financement et à leur niveau, afin que soient garanties aussi bien la pratique du sport pour toutes et tous partout sur le territoire que l’excellence des athlètes de haut niveau.
Soucieux des problèmes juridiques posés par la constitution de l’ANS, qui pourraient à terme compromettre la politique sportive française, le groupe socialiste se réserve la possibilité de déférer la loi devant le Conseil constitutionnel.
Comme lors de l’examen en première lecture du projet de loi, nous sommes défavorables à l’article 3. Nous nous abstiendrons donc sur l’ensemble du texte.