Intervention de Isabelle de Silva

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 10 juillet 2019 à 14h00
Audition de Mme Isabelle de Silva présidente de l'autorité de la concurrence de M. Roch-Olivier Maistre président du csa et de M. Sébastien Soriano président de l'arcep

Isabelle de Silva :

Nous vivons actuellement dans une période riche en défis pour l'ensemble des régulateurs. Il s'agit pour nous de la même révolution que traversent les entreprises. Face à cela, il me semble que nous disposons des moyens de réponse adaptés pour y faire face. Je me limiterai à évoquer les outils de la concurrence, qui se sont avérés très plastiques et efficaces.

Sur ce sujet, la France se situe à la pointe de ce qui existe. Malgré cela, il reste encore à renforcer ces outils dans le monde du numérique. En début d'année, nous avons pris des mesures conservatoires à l'encontre de Google dans le cadre de la problématique du déréférencement dont avait été victime une PME française. Cet outil s'avère très utile car il permet une intervention rapide pour mettre un terme à des pratiques nuisibles.

Un autre pan d'action important se retrouve au niveau européen. La Commission européenne mène une action très encourageante qui démontre sa volonté d'affirmer avec rigueur la force du droit de la concurrence. J'aimerais notamment évoquer trois affaires concernant Google dans lesquelles la Commission européenne est intervenue.

L'affaire Google Shopping a donné lieu à une sanction de 2,4 milliards d'euros. Dans sa décision, la Commission prend acte de la position dominante de Google dans le marché de la recherche en ligne. La sanction est liée à l'abus dans le changement intempestif des règles du jeu au niveau du volet Google Shopping. Cela rappelle à quel point une entreprise dominante est soumise à des obligations particulières du fait de cette position.

L'affaire Google Adsense s'est conclue par une sanction de 1,25 milliard d'euros en raison de clauses anticoncurrentielles relevées dans les contrats, ce qui aboutissait au maintien de la position dominante de Google dans le marché de la publicité associée à la recherche en ligne.

L'affaire Google Android a enfin débouché sur une sanction de 4,3 milliards d'euros. La Commission a répertorié l'ensemble des actions et clauses contractuelles qui visaient à préserver la position de Google sur les terminaux équipés du système d'exploitation Android.

L'application du droit de la concurrence est un outil qui doit encore être mobilisé. Face aux problématiques qui découlent de l'utilisation des données, notre interprétation de ce droit doit être plus innovante que par le passé. À cet égard, la décision prise par l'équivalent allemand de l'Autorité de la concurrence peut être citée. Elle a abouti à la condamnation de Facebook pour une utilisation disproportionnée des données des utilisateurs, qui excédait ce qui est nécessaire au bon fonctionnement du réseau social. La captation illégitime des données peut donc être sanctionnée, comme nous le démontre cette décision.

Il me semble nécessaire de renforcer les moyens de notre coopération, tant aux niveaux nationaux qu'à l'échelle européenne. Dans cette lutte, nous disposons d'un atout majeur avec le réseau européen de concurrence, lequel permet une action et un traitement coordonnés des affaires par les autorités nationales de régulation et la Commission européenne. La réussite de ces coopérations implique également d'approcher les affaires de manière convergente.

Parmi nos pistes d'amélioration, je citerai le manque de moyens humains pour nos investigations. Au sein de l'Autorité de la concurrence, nous sommes 400 personnes. Ce nombre est insuffisant pour traiter des dossiers éminemment complexes. En Allemagne, les moyens sont 50 % plus importants que les nôtres, et le Royaume-Uni dispose du double de personnes.

Les dossiers sont très délicats, mêlant des sujets d'ordre stratégique ou technique. Ils requièrent des compétences élevées de la part des rapporteurs. Je rappelle également que les entreprises impliquées disposent quant à elles de moyens colossaux et sont accompagnées par des conseils nombreux. Face à cette situation, l'État doit renforcer ses autorités de régulation, en leur octroyant plus de moyens humains et techniques.

Par ailleurs, je tiens à aborder les adaptations législatives récentes. Une directive adoptée en début d'année 2019 tend à renforcer les autorités nationales chargées du droit de la concurrence en leur donnant la possibilité d'utiliser des mesures conservatoires. Les régulateurs pourront décider de ce type de mesures sans même être saisis par une entreprise. Ils pourront ainsi agir sans attendre une saisine, qui parfois n'arrive jamais tant les victimes d'actes anticoncurrentiels craignent de l'engager.

Parmi les évolutions souhaitables, il faudrait renforcer de façon énergique le contrôle des concentrations. Pour que le marché reste concurrentiel, nous devons accroître notre niveau d'exigence actuel. Les acquisitions réalisées par Google et Facebook limitent fortement la concurrence dans le marché du numérique. Ainsi, lorsque Facebook a racheté Instagram et Whatsapp, il a pu contrôler trois ensembles de services très prisés des utilisateurs. À ce jour, il est donc très difficile d'envisager l'émergence d'un concurrent sur ce secteur. Autoriser ces concentrations sans imposer de contreparties a peut-être été une erreur. Il nous faut donc être plus exigeants.

Or, certaines opérations de rachat, notamment par les géants du numérique comme Google - qui a racheté près de 400 entreprises ces dernières années -, restent en dehors du champ d'application du contrôle tel qu'il est actuellement défini. Nous proposons donc de compléter la loi française pour les entreprises du numérique, en abaissant les seuils de chiffre d'affaires impliquant l'obtention d'une autorisation. Parfois, c'est au moment d'une concentration que le marché se fossilise. Ce serait donc une manière pertinente d'assurer leurs pleins effets aux outils du droit de la concurrence.

Enfin, nous assistons à l'émergence de nouveaux outils de régulation, qui impliquent dans certains cas d'adopter un modèle de régulation ex ante, complémentaire aux outils traditionnels qui interviennent plutôt a posteriori. Serait-il intéressant de disposer de règles dont l'application serait limitée à certains acteurs considérés comme dominants ? Le rapport établi par Jason Furman au Royaume-Uni et celui commandité par Margrethe Vestager pour la Commission européenne ont abordé ces questions ; ils ont émis des propositions en ce sens. De notre côté, nous réfléchissons à l'intérêt que ce type d'outil pourrait avoir dans notre activité.

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