Ces débats font écho à l'audition conjointe avec Sharon White, Directrice générale de l'Ofcom, autorité de régulation des médias britannique, organisée hier par Catherine Morin-Desailly. Cela illustre parfaitement à quel point les enjeux du numérique sont présents dans notre réflexion.
Nos diverses discussions démontrent notamment combien la coopération entre les différents régulateurs doit être renforcée. En effet, nous sommes confrontés aux mêmes interlocuteurs et nos actions communes se traduisent par plusieurs travaux. Je citerai l'étude conjointe élaborée par le CSA, l'Hadopi, l'Arcep et l'Autorité de la concurrence à propos des assistants vocaux et des enceintes connectées, ainsi que la note commune sur la régulation par la donnée établie par le CSA, l'Arcep, l'Autorité de la concurrence et d'autres autorités administratives indépendantes.
En tant que régulateur sectoriel, nous sommes pleinement concernés par la transition numérique. En effet, nous assistons au développement de nouveaux opérateurs dotés d'une puissance technologique et financière inédite avec l'irruption des plateformes de type Netflix, Amazon Prime Video ou Disney Fox. À côté de ces plateformes de partage coexistent les réseaux sociaux qui proposent également des contenus médiatiques tels que Facebook, Youtube ou Twitter.
Or, l'irruption de ces acteurs fait apparaître une asymétrie importante au détriment des opérateurs domestiques. Comme l'a signalé un avis rendu par l'Autorité de la concurrence en février 2019, les nouveaux opérateurs échappent totalement aux obligations mises à la charge des opérateurs domestiques. Je rappelle que ces derniers relèvent de la loi de 1986 sur les médias qui leur impose notamment de contribuer au financement du cinéma.
De la même façon, nos modèles d'affaires ont été altérés par cette émergence, notamment sur le terrain publicitaire. En effet, l'essentiel des recettes publicitaires est désormais capté par ces acteurs numériques. Face à cette situation, notre réglementation n'a qu'une portée limitée. Ainsi, l'article 40 de la loi de 1986, qui prohibe la détention de plus de 20 % du capital par un investisseur non européen dans le secteur audiovisuel, n'a aucun effet sur les acteurs du numérique puisqu'il n'est applicable qu'au secteur hertzien.
L'arrivée de ces nouveaux acteurs impose au régulateur des médias que je préside plusieurs enjeux de natures diverses.
Tout d'abord, un enjeu économique. Nos acteurs nationaux sont frappés de plein fouet par l'essor de ces plateformes. Je citerai à titre d'exemple l'annonce faite hier par Canal + d'un plan de départ de 500 salariés. C'est aussi un enjeu démocratique puisqu'il est directement lié à la question du pluralisme sur notre territoire. Plus encore, il s'agit d'un enjeu culturel. Comment garantir le financement de la création alors même que ces nouveaux acteurs n'y contribuent pas ?
Enfin, le dernier enjeu révèle des problématiques sociétales. Notre modèle français a toujours considéré que les médias portaient une responsabilité forte sur des thématiques comme la protection de la jeunesse, le respect de la dignité de la personne ou la juste représentation de la diversité de la société française. À ce jour, les nouveaux acteurs du numérique ne sont pas soumis à ce cadre.
Ces différents enjeux impliquent tous l'intervention de la puissance publique du fait du rôle quasi éditorial que jouent ces plateformes. Dans ce contexte, la mission des régulateurs peut constituer une partie de la solution. Il ne s'agit pas de limiter l'action des régulateurs à de la production de normes et à de la sanction. Il convient de mettre en place des dispositifs permettant d'orienter les opérateurs privés vers l'objectif d'intérêt général défini par le législateur.
D'ailleurs, je suis frappé de constater à quel point les opinions publiques évoluent partout dans le monde en portant l'idée d'une intensification de la régulation. J'en veux pour preuve les débats menés au sein du camp démocrate aux États-Unis, qui pour certains évoquent même l'idée d'un démantèlement de ces plateformes. Cette tendance se retrouve également en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Tous ces États ont à coeur de rentrer dans un schéma de régulation qui permettrait de combattre les phénomènes de désinformation ou de contenus haineux qui, à terme, nuisent aux processus électoraux.
Ce mouvement général qui concerne tant les populations que les États s'est même étendu à ces plateformes elles-mêmes. Elles ne peuvent donc plus se permettre de l'ignorer tant leur modèle économique repose sur leur acceptation par la société. Je vous renvoie aux déclarations publiques de Mark Zuckerberg appelant à plus de régulation.
Par ailleurs, je note que la régulation a franchi récemment des étapes importantes.
Tout d'abord, l'adoption d'une directive concernant les médias audiovisuels étend le champ de la régulation à ces nouveaux acteurs. Il sera possible de leur imposer les règles applicables au sein du pays de destination. Par exemple, Netflix pourra être soumis à l'obligation de contribuer au financement du cinéma. Nous veillerons au sein du CSA à ce que les transpositions de cette directive soient harmonisées dans les 27 États.
Ensuite, la loi du 22 décembre 2018 sur la lutte contre la manipulation de l'information impose à ces plateformes l'obligation de coopérer avec le CSA. Dans ce cadre, le texte émet plusieurs recommandations à l'égard de ces acteurs, dont la mise en oeuvre sera contrôlée par le CSA. Il en rendra compte dans un rapport public, selon une approche reposant sur le principe du name and shame.
Enfin, la proposition de loi relative à la lutte contre les contenus haineux sur internet a été adoptée hier à l'Assemblée nationale. Elle étend le champ d'action du CSA puisqu'il pourra désormais sanctionner les plateformes si elles ne déploient pas leurs moyens de modération dans des délais rapides, par le biais d'une amende pouvant aller jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial. Cela nous place au même niveau que les sanctions applicables en droit de la concurrence.
Cet ensemble dessine un nouveau schéma de régulation à la française, qui ne sera ni celui statocratique appliqué en Chine, ni celui du laisser-faire américain. Nous tentons de responsabiliser les plateformes elles-mêmes en veillant à ce que les dispositifs légaux soient appliqués. Cela suppose évidemment que l'ensemble des régulateurs se coordonne. Au niveau du CSA, nous avons vocation à travailler étroitement avec l'Arcep, la Cnil, l'Autorité de la concurrence et le CNC (Centre National du Cinéma et de l'image animée).