Intervention de Sébastien Soriano

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 10 juillet 2019 à 14h00
Audition de Mme Isabelle de Silva présidente de l'autorité de la concurrence de M. Roch-Olivier Maistre président du csa et de M. Sébastien Soriano président de l'arcep

Sébastien Soriano :

Pour reprendre vos questions et y répondre de manière synthétique avant de les développer, il me semble que la régulation est actuellement insuffisante alors même que ses moyens technologiques sont adaptés. De plus, bien que la régulation des acteurs systémiques soit absolument nécessaire, je ne pense pas qu'il faille mettre en place un régulateur unique.

Je commencerai par m'exprimer sur l'insuffisance de la régulation, en prenant le prisme de l'Arcep. Il me semble que notre situation démontre un échec cuisant de toutes les autorités publiques à créer un véritable jeu concurrentiel entre les plateformes du numérique. Certes ces grands acteurs se comportent entre eux comme des concurrents indirects, mais leurs marchés sont bel et bien différents. Chacun exerce sur son marché un pouvoir économique considérable, inédit à l'échelle de l'humanité. Nous ne sommes pas parvenus à offrir le choix aux utilisateurs. Or, le choix est l'arme absolue qui permet de discipliner les opérateurs en leur insufflant la peur de perdre les consommateurs.

L'absence de cette discipline de marché dans le numérique découle de notre sous-estimation du phénomène. Le numérique s'est développé par un effet de réseau. L'exemple type est celui du réseau social. Si un utilisateur souhaite se créer un compte, il se tournera naturellement vers le réseau sur lequel se trouvent ses amis, indépendamment de toute considération liée à la qualité, à l'ergonomie ou à l'approche respectueuse de sa vie privée. En réalité, le choix est binaire : aller sur ce réseau ou renoncer à tout réseau.

Ce constat explique beaucoup des symptômes que nous identifions, tels que les conditions générales contestables, les risques de fuite de données ou bien la dépendance des entreprises à l'égard des places de marché d'Amazon ou de la publicité en ligne de Facebook ou Google.

Face à cet échec collectif, nous devons être lucides et nous mobiliser en conséquence. Quelles actions pourrions-nous mettre en oeuvre pour réintroduire du choix ? Au cours de votre introduction, vous avez expliqué que nous étions tous les trois confrontés à ces géants du numérique en tant qu'acteurs de la régulation.

En réalité, l'Arcep ne régule pas les acteurs du numérique ; à l'inverse, elle joue plus un rôle d'accompagnateur en vertu du principe de neutralité. Je suis d'ailleurs le premier à déplorer cette situation. Plusieurs propositions ont visé à élargir notre action, mais à ce jour, elles sont restées sans effet. Mme Morin-Desailly avait déposé un amendement en 2015 sur les moteurs de recherche, M. Lalande a également tenté d'introduire un dispositif de notation des plateformes en 2016. Plus récemment, l'Arcep a mis en évidence le pouvoir des terminaux et des systèmes d'exploitation et nous avons proposé au Gouvernement d'inclure une disposition sur ce sujet dans le projet de loi sur l'audiovisuel.

En tant qu'observateur du numérique, l'Arcep n'hésite pas à apporter sa contribution à la réflexion générale sur le numérique, notamment à l'occasion des états généraux du numérique. Je déplore qu'aucune suite n'ait été donnée pour le moment à ce travail collectif qui regorgeait de pistes intéressantes.

Vous posiez une deuxième question sur les moyens dont disposent les régulateurs. Selon moi, le défi majeur est celui de la transformation de nos outils. La donnée on data est un défi essentiel dans notre action. Nous devons parvenir à l'utiliser au mieux dans notre action. Pour cela, deux pistes majeures doivent être explorées.

Tout d'abord, l'utilisation en tant que supervision, à l'instar de l'Autorité des marchés financiers (AMF) dans le secteur financier et de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) dans le secteur de l'énergie. Ces régulateurs recueillent un volume considérable de données au sein desquelles ils réussissent à détecter des signaux faibles permettant d'analyser de manière plus fine le marché. Cette technique est celle qui sera mise en oeuvre dans le cadre de la lutte contre les propos haineux.

Ensuite, la donnée peut être mise au service du consommateur afin de lui donner une information plus éclairée sur le domaine concerné. C'est ce que nous faisons en communiquant l'ensemble des informations relatives à la couverture du réseau. Ce procédé permet d'enclencher une dynamique positive entre les différents opérateurs.

Je constate que nous sommes en train de dompter les outils techniques dont nous aurons besoin à l'avenir pour réguler ce marché. Reste la question des outils juridiques qui doit être approfondie pour permettre à tous les régulateurs de disposer des compétences adaptées pour mener leur action. Bien entendu, des moyens humains et financiers correspondants à l'ampleur de la tâche sont nécessaires.

Votre troisième question portait sur la nécessité de construire un cadre spécifique pour réguler les acteurs systémiques. Cela me semble éminemment souhaitable. En effet, nos règles actuelles sont d'application horizontale et ont donc tendance à sur-réguler et à accroître la charge supportée par les petits acteurs. Ces derniers ont alors d'autant plus de difficultés à trouver leur place sur le marché. C'est une question qui revient souvent s'agissant du RGPD. Se centrer sur les gros acteurs en les soumettant à des règles de supervision spécifiques permettrait d'améliorer notre système.

Pour autant, les régulateurs doivent aussi savoir adapter leur approche en fonction de la nature des problèmes posés. L'accès d'une PME aux places de marché, le marché de la publicité ou celui du commerce en ligne ne sauraient être traités comme le sont des propos haineux ou des fausses informations sur internet. Certes l'approche systémique est nécessaire, mais avec des réponses différenciées selon les situations.

Sur ce plan, l'Arcep a mené un travail approfondi au sujet des terminaux - les smartphones, les enceintes, les voitures ou les télévisions connectées. Les « acteurs des terminaux » sont en train de prendre le pouvoir alors même que nous semblons aveugles face à ce phénomène. Nous régulons la tuyauterie d'internet, mais nous ne regardons pas les robinets ! Nos tuyaux, dans lesquels les opérateurs investissent beaucoup d'argent, sont aujourd'hui ouverts, mais pas les robinets. Or, lorsque l'utilisateur demande des informations à une enceinte connectée, le choix de la source de recherche des informations est réalisé par le terminal. Ces terminaux joueront un rôle de prescripteur central à l'avenir. On peut se connecter à internet sans un moteur de recherche ou sans un réseau social, mais on ne peut pas se connecter à internet sans un terminal. De ce fait, nous devons leur étendre le principe de neutralité déjà applicable à internet. Cette proposition émane de plusieurs autres autorités de régulation européennes. Nous souhaiterions qu'elle figure dans le projet de loi concernant le secteur audiovisuel.

Enfin, je terminerai avec votre dernière question qui portait sur la mise en place éventuelle d'un régulateur unique. Selon moi, le premier réflexe doit être de prolonger les compétences de chaque autorité - c'est ce qu'on a vu sur le CSA, mais c'est aussi le cas de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) à laquelle le projet de loi d'orientation des mobilités confie de nouvelles missions relatives à l'ouverture des données de transport. Bien entendu, un tel renforcement questionnera notre capacité à disposer d'une force de frappe nécessaire. L'Arcep est tout à fait disposée à engager un processus de partage de compétences avec les autres autorités pour mettre en place un pôle commun.

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