Intervention de Anton'Maria Battesti

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 18 juillet 2019 à 9h50
Audition de M. Anton'maria Battesti responsable des affaires publiques de facebook

Anton'Maria Battesti, responsable des affaires publiques de Facebook France :

Avant de répondre à vos questions, permettez-moi de vous présenter rapidement l'entreprise Facebook. En France, environ 36 millions d'utilisateurs utilisent Facebook au moins une fois par mois ; Facebook dispose de 200 salariés en France. Enfin, nous avons réalisé dans ce pays un investissement stratégique via l'ouverture, il y a quelques années, d'un laboratoire d'intelligence artificielle. Il s'agit du seul laboratoire que l'entreprise a ouvert en dehors des États-Unis. Celui-ci est d'ailleurs bien intégré dans l'écosystème français de la recherche, et travaille notamment avec station F. En outre, nous investissons dans la formation ainsi que dans diverses causes sociétales, via la fondation compétence numérique ou à notre fondation de civisme en ligne à laquelle nous avons consacré un million d'euros.

En aucun cas, Facebook n'essaye de supplanter les États. Facebook est un réseau social sur lequel les personnes viennent échanger avec leur famille, défendre une cause qui leur tient à coeur, notamment en s'associant au sein de groupes. Notre réseau est multifacette et a vocation à présenter de nouveaux produits : le market place, le développement de la messagerie. Notre entreprise fournit un service. Certes elle s'est fortement développée dernièrement - nous avons acquis récemment Whatsapp et Instagram -, mais cela reste une entreprise, internationale.

Pour autant, une entreprise n'a-t-elle pas vocation à avoir une responsabilité sociétale ? Vous avez présenté l'outil « Safety check » comme un élément régalien. Je n'irai pas jusque-là. En tout cas, il rend service à la société. Il a été activé pour la première fois en France lors des attentats du Bataclan en 2015. Il existe aujourd'hui un consensus pour dire que nous avons bien fait, car il a permis à beaucoup de personnes se signaler en sécurité dans une situation de crise. D'ailleurs, cet outil est tellement intéressant que l'État est venu nous voir il y a un an, lorsque le ministère de l'Intérieur a arrêté sa propre solution d'alerte - le système d'alerte et d'information des populations (SAIP). Nous avons désormais un partenariat, afin de développer une synergie pragmatique et intelligente entre un service privé et les services de l'État, pour rendre un service à la population. Nous l'avons fait sans hésitation, et je tiens à dire que cela ne coûte pas un euro au contribuable. Il me paraît important de le souligner, car, selon les informations que reçues du ministère de l'Intérieur, lorsque la solution de l'envoi d'un SMS était envisagée, les opérateurs souhaitaient faire payer ce type de solution. Mais, nous avons pris nos responsabilités et nous le faisons de la manière la plus directe possible.

Vous évoquez l'identité numérique. Il ne s'agit pas dans le cas présent de mettre en place une identité officielle comme peut le faire France connect, mais de proposer un service Dans les faits, il est possible d'utiliser ses identifiants Facebook pour se connecter à d'autres sites, sans avoir à recréer un profil. Nous avons considérablement augmenté les contrôles afin de permettre aux utilisateurs de ne pas partager les données qu'ils ne souhaitent pas partager avec des tiers. Des audits sont également conduits à posteriori. En outre, si vous ne vous êtes pas connectés à un site utilisant vos identifiants Facebook pendant un certain temps - 100 jours il me semble - ce site ne peut plus user de vos données.

En 30 ans, internet a énormément changé. Aujourd'hui, on peut en quelques secondes envoyer à quiconque dans le monde des données, des fichiers, des photos. Ce constat a conduit à nos réflexions sur le Libra. Comment se fait-il qu'avec toute cette technologie, il y ait autant de difficultés pour transférer de l'argent d'un point A vers un point B à l'heure de l'économie et des services mondialisés ? Aujourd'hui, 1,7 milliard de personnes dans le monde sont exclues du système bancaire et sont dépendantes de transferts d'argent de leurs familles d'un pays vers un autre. Elles ont également besoin d'un accès au capital et d'un service monétaire. En utilisant la technologie blockchain, ainsi que d'autres technologies, nous avons annoncé la mise en place de cet outil en partenariat avec 27 autres membres très divers - UBER, Visa, Iliad - dont le nombre est appelé à augmenter. Je tiens immédiatement à préciser qu'il ne s'agit pas de la monnaie de Facebook mais de cette organisation regroupant plusieurs entreprises.

L'association Libra est une association indépendante au sein de laquelle Facebook dispose d'une voix parmi les autres. Elle est basée en Suisse et sera supervisée depuis ce pays. M. Marcus en a expliqué les raisons. Le Libra sera assis sur une « réserve libra », composée de plusieurs devises : le dollar, l'euro, le yen et la livre sterling, des monnaies étatiques. Je tiens à le préciser : sans monnaie étatique, il ne peut pas y avoir de Libra. Cet outil ne représente en rien une substitution de l'État, il ne fonctionnera qu'au sein du réseau Libra, mais il apportera de vraies facilités à des millions de personnes dans le monde. Vous m'interrogez sur la sécurité de cette nouvelle monnaie. Aujourd'hui, l'argent noir représente un réel problème. La cryptomonnaie n'est pas quelque chose de nouveau. Le bitcoin existe depuis plusieurs années. Il est utilisé sur le darkweb, à des fins diverses et variées, pour des bonnes ou de mauvaises raisons. Le Libra est une opportunité de disposer d'un service porté par de grandes entreprises connues et qui utilise la blockchain, une technologie traçable et transparente, contrairement à des paiements en cash ou via d'autres types de services numériques intraçables.

Il n'y aura pas de fusion des bases de données entre Facebook et Libra. Je tiens par ailleurs à souligner que nous lançons cet outil en toute transparence. Nous allons rencontrer les régulateurs, les gouverneurs des banques centrales, les entreprises, les gouvernements. Le G7 s'est saisi de cette question. Il en hors de question d'instaurer cette monnaie sauvagement, ou avant d'avoir obtenu les autorisations nécessaires. En effet, nous entrons dans un secteur où la culture de la régulation est très forte, et nous n'avons aucune raison de ne pas suivre cette régulation. Ce que nous proposons est l'émergence d'un service de cryptomonnaie stable, globale, portée par des entreprises connues, et qui peut apporter un vrai bénéfice.

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, la tribune de Mark Zuckerberg. Si nous devions refaire les règles de l'internet aujourd'hui, les pouvoirs publics auraient sans doute une approche différente. La gestion des contenus doit se faire en fonction de deux éléments : la loi et les conditions générales d'utilisation du service. Les lois sont supérieures aux conditions générales d'utilisation du service, car elles sont l'expression de la volonté générale. Nous avons participé à la mission lancée par le Président de la République et conduite par M. Loutrel. Nous avons largement ouvert Facebook, pour montrer ce que nous faisons en matière de modération et pour réfléchir collectivement à ce qui peut être amélioré. Le rapport de M. Loutrel et de son équipe rendu au mois de mai donne beaucoup de pistes en la matière. Par ailleurs, la proposition de loi de Mme la députée Laëtitia Avia visant à lutter contre la haine sur internet a été votée en première lecture à l'Assemblée nationale. Elle renforce la responsabilité des plateformes.

Le comité de supervision, proposé par Mark Zuckerberg, ne remet pas en cause ce principe. Ce dernier a utilisé l'expression de « cour suprême », pour illustrer l'outil qu'il veut mettre en place. Il vise à répondre à un problème régulièrement soulevé par les pouvoirs publics, parle milieu associatif et par les experts. Aujourd'hui, en cas de désaccord sur la suppression d'un contenu en vertu des conditions d'utilisation du service, la personne concernée peut faire appel de cette décision au sein de l'entreprise. Pour un certain nombre de cas - les plus compliqués -, c'est Mark Zuckerberg, seul, qui décide si le contenu respecte ou non les conditions générales et s'il doit être en conséquent supprimé. Nous proposons de transférer cette décision prise par un seul homme basé aux États-Unis à un groupe d'une quarantaine d'experts internationaux indépendants. Pour nous, cela représente objectivement un progrès. Nous avons organisé plusieurs dizaines de réunions dans de nombreux pays et nous avons notamment présenté cette solution à des experts et associations françaises. Nous avons des retours constructifs, certains très francs, nous permettant de réfléchir à un comité en capacité de fonctionner correctement. Il s'agit d'un outil propre à notre service, utilisé pour régler ses questions internes. Cette « cour suprême » ne viendra donc pas en conflit avec la Cour de cassation, le Conseil d'État, la Cour européenne des droits de l'homme ou la Cour de justice européenne.

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