Claude Nougein et moi-même ne nions pas que des progrès aient été réalisés. Avec la saisie administrative à tiers détenteur (SATD), qui remplace une demi-douzaine de procédures, le comptable public peut saisir l'ensemble des sommes dues par un débiteur dans un délai de 30 jours. La DGFiP a depuis longtemps accès au fichier national des comptes bancaires et assimilés (Ficoba) ou encore au système d'immatriculation des véhicules. Des réformes comme celle du prélèvement à la source pourront en outre l'aider à identifier plus facilement les employeurs des personnes redevables d'amendes de circulation ou de FPS.
Toutefois, ces procédures ne suffiront pas à redresser les taux de recouvrement. Les amendes sont en effet un produit très particulier, décorrélé des revenus et des capacités financières des débiteurs. Ces derniers sont parfois débancarisés, ce qui empêche toute procédure de saisie sur les comptes. En l'absence de tout lien explicite de responsabilité pour les parents, les amendes infligées aux mineurs sont également difficilement recouvrables.
Dans l'espoir d'augmenter les taux de paiement spontanés et les taux de recouvrement, la DGFiP et l'Antai ont fortement diversifié les moyens de paiement proposés, en insistant sur la dématérialisation : paiement par internet, par smartphone, par serveur vocal interactif... sans aucun effet sur ces taux. Pire, la dématérialisation pourrait même conduire à les faire diminuer : alors que l'objectif du Gouvernement est d'interdire tout paiement en argent liquide au sein du réseau des trésoreries, le risque est de faire fuir tout un pan de la population. On nous promet que l'appel d'offres passé par le ministère de l'action et des comptes publics pour confier cette tâche à un prestataire extérieur viendra pallier cette interdiction dans les trésoreries. Mais les prestataires pourront-ils aussi bien répondre aux questions des redevables ? Seront-ils suffisamment formés ? Pourront-ils gérer des situations parfois tendues ? Sur l'ensemble de ces questions, nous n'avons obtenu aucune garantie satisfaisante.
La possibilité offerte au redevable de bénéficier d'une minoration de son amende, même majorée, en cas de paiement dans un délai de 30 jours ne semble pas non plus avoir eu d'impact significatif sur le recouvrement.
L'objectif de la DGFiP est, à terme, de totalement modifier son approche du recouvrement forcé afin de passer d'une approche « métier » à une approche « débiteur ». Le chemin est encore très long. Savez-vous que, par exemple, un automobiliste qui aurait commis trois infractions dans trois villes différentes sera poursuivi par trois comptables ? Si nous recommandons que soit privilégiée une approche groupée, le système informatique ne permet pas au comptable de disposer des informations sur d'éventuelles infractions commises dans un autre département.
Les lacunes du logiciel du recouvrement des amendes, le fameux logiciel « AMD », avaient déjà été mises en lumière par notre collègue Antoine Lefèvre dans son rapport sur les amendes pénales. De conception ancienne, ce logiciel a du mal à intégrer les nouveaux produits. Il est en outre impossible d'avoir une vision historique des produits recouvrés, d'enrichir au-delà d'un certain nombre de caractères les adresses des débiteurs ou encore de rentrer les noms de deux employeurs pour une même personne.
Conscient de ces lacunes, le ministère avait engagé un vaste projet de renouvellement. Après cinq ans d'études et sept ans de conception, les acteurs du recouvrement auraient dû avoir à leur disposition le nouveau logiciel Rocade. Ce dernier a pourtant été abandonné, en cours d'élaboration, après un avis négatif de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic).
Alors que cet abandon n'est qu'un grand gâchis et montre, encore une fois, à quel point il peut être difficile pour l'État de mener à bien un projet informatique d'envergure, nous avons parfois eu l'impression que la DGFiP le présentait quasiment comme « un mal pour un bien ». Cet « échec heureux » représente tout de même quasiment sept années de perdues et plus de 2 millions d'euros de gâchés. En effet, la DGFiP se serait rendu compte qu'il serait certainement plus profitable de concevoir un système qui mutualiserait le recouvrement forcé de différents produits, des impôts aux amendes.
Si nous ne pouvons que nous féliciter de toute action menant à mutualiser les bénéfices du recouvrement et à le rendre plus efficace, nous soulignons aussi que cela ne fait que repousser l'échéance. Le nouveau logiciel, dénommé RocSP, est encore en phase d'études et ne sera pas évalué par la Dinsic avant la fin de l'année 2019. La mission recouvrement va donc devoir continuer de composer avec le logiciel AMD, qui a pourtant montré ses limites. C'est du bon fonctionnement de ce logiciel que dépend toute la chaîne de recouvrement : c'est là que chaque acteur suit la vie d'une amende ou d'un forfait de post-stationnement, annule des avis de paiement, émet des titres exécutoires ou enclenche des poursuites.
Ce n'est pourtant pas le seul élément informatique curieux que nous avons relevé. Claude Nougein vous a montré à quel point les acteurs du recouvrement étaient fragmentés. J'ajoute qu'aucun d'entre eux n'a décidé de coopérer avec les autres pour mettre à disposition du redevable un portail unique qui lui permettrait de voir, d'un seul coup d'oeil, le cycle de vie de chaque amende et de chaque FPS dû.
La dématérialisation des procédures, incomplète, pèse sur les coûts du recouvrement. Ainsi, l'Antai et la CCSP présentent toutes deux des dépenses de fonctionnement très élevées, tirées par les frais d'éditique et d'affranchissement. Alors que jusqu'à huit courriers peuvent être échangés entre la juridiction administrative et le requérant, une telle lourdeur de procédure peut décourager les citoyens et donc nuire au bon exercice de leurs droits.
Pour résumer, nous avons un système aux enjeux massifs mais aux moyens limités. Aucune des procédures n'est aujourd'hui adaptée au traitement de plus de 35 millions d'amendes et de FPS. Beaucoup de choses doivent encore se faire en « manuel », ce qui ne peut que nuire à la bonne efficacité du recouvrement.
En guise de conclusion, nous nous accordons pour dire que la mission recouvrement est un système qui, faute des réparations nécessaires, est en passe de se gripper. Or les conséquences de son dysfonctionnement sont tant budgétaires que civiques, aucun citoyen n'étant incité à respecter ses obligations et les règles de circulation et de stationnement en vigueur s'il sait n'encourir aucune sanction.
J'ajoute que nous avons fait 14 recommandations. Avant de laisser place à vos questions, Claude Nougein et moi-même remercions Jean-Marc Gabouty, rapporteur spécial des crédits de la sécurité routière, qui s'est joint à nous lors de notre déplacement à Limoges.