Intervention de Gérard Longuet

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 10 septembre 2019 à 9h05
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet, rapporteur :

Nous voyons se dessiner dans votre déclaration une stratégie et des modalités liées aux responsabilités spécifiques de votre ministère, puisque vous avez développé, fort justement à mon avis, une politique favorable à l'investissement.

Je souhaite vous interroger sur votre stratégie. On pourrait en effet vous reprocher de supposer le problème déjà résolu. Vous voulez investir dans les technologies de rupture, mais la France est un pays de taille moyenne - le marché français représente 4 à 6 % du marché mondial -, et on ne connaît qu'a posteriori les technologies qui s'avèrent « de rupture », non a priori ; cela pose un problème d'allocation des ressources. Nous ne savons pas par avance ce qui va fonctionner auprès d'un public qui est mondial.

Vous avez évoqué trois sujets de rupture. L'intelligence artificielle est un très vaste sujet, qui fait appel à des moyens considérables. Nous avons, certes, des atouts en la matière, mais ceux-ci sont disputés par les grands acteurs. Il en va de même pour les nanotechnologies. Quant aux technologies quantiques, il ressort de nos auditions qu'un monde nouveau semble s'ouvrir, mais nul ne sait quand il émergera ni jusqu'où il ira. Pourriez-vous donc expliquer davantage ce concept de technologie de rupture ? En effet, Amazon ne représente pas par exemple à proprement parler une technologie de rupture, la technologie en elle-même est assez simple, il ne s'est agi que d'être le premier acteur.

Le capitalisme numérique pose en effet problème, car il repose sur une théorie simple : le gagnant prend tout. On finance pendant une période plus ou moins longue des structures qui perdent de l'argent, jusqu'à ce que celui qui est en position dominante devienne profitable, et alors il « prend tout ». Cette conception, fondée sur la poche la plus profonde, qui n'est, malheureusement pas la nôtre, nous permettra-t-elle de faire face au défi, dans un environnement où les entreprises dominantes rachètent de la technologie pour être sûres de ne pas être dépassées ?

Par ailleurs, le droit européen de la concurrence pose problème. Les acquisitions d'entreprises - start-up, licornes et autres -, qui visent à éradiquer toute concurrence, passent malheureusement sous la limite radar de la politique de contrôle de concentrations. Vous avez raison de croire à l'évidente nécessité d'avoir une stratégie dans une économie dématérialisée, mais on se heurte à la réalité d'une guerre par le financement. L'accès aux capitaux étant moins important en France qu'aux États-Unis, pouvons-nous réussir ? L'argument de la technologie de rupture est, je le répète, très convaincant, s'il n'a le défaut qu'on ne connaît qu'a posteriori les succès technologiques. Après tout, d'un point de vue technique, Facebook, ce n'est rien...

Je veux aussi vous demander une précision. Vous avez confiance, vous l'avez indiqué à de nombreuses reprises, en l'effet déstabilisateur des blockchains. Vous dites qu'il faut organiser en France ce système déstabilisant ; cette piste est très intéressante, mais pourriez-vous être plus précis ?

Sur les véhicules autonomes, on mesure mal à quel point ce système est porteur de grands dangers pour l'économie mondiale du point de vue de la puissance concentrée. La menace d'une prise en main complète de tout un secteur d'activité - transport individuel, collectif, de marchandises - par une entreprise est très lourde, vous avez raison de le souligner.

Enfin, dernière question : jusqu'où peut-on aller pour aider à la localisation en France de l'hébergement des données, au moyen de la fiscalité ou des aides à l'investissement ? On a beaucoup investi dans le réseau - d'ailleurs, l'argent public finance ainsi des autoroutes que d'autres emprunteront et valoriseront-, mais le soutien à l'hébergement des données sur notre territoire est également nécessaire ; jusqu'où peut-on aller ?

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