Intervention de Bruno Le Maire

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 10 septembre 2019 à 9h05
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Bruno Le Maire, ministre :

Commençons par une remarque politique. Dans les années 1960, la France est parvenue à initier des ruptures technologiques majeures et à prendre le leadership sur un certain nombre de technologies ; je pense notamment au nucléaire. Je ne crois pas à la possibilité de revenir à un État qui décide à la place des entreprises, mais nous pouvons, via un environnement fiscal et réglementaire favorable, susciter de nouvelles technologies de rupture dans notre pays, à deux conditions : cela doit venir des entreprises ou des chercheurs, et cela n'est possible qu'à l'échelle européenne. Nous n'y arriverons pas sans le relais de financements européens.

Je ne peux me résigner à l'idée selon laquelle notre avenir serait derrière nous. Nous avons manqué d'ambition, nous avons fait des erreurs, c'est vrai, mais nous pouvons reprendre la maîtrise des technologies de rupture. Prenons l'exemple du spatial : on me soumet de nombreuses notes indiquant que le lanceur renouvelable n'a aucune chance, qu'il ne faut surtout pas s'y engager, mais les États-Unis l'ont fait au moyen d'un appui public massif, et ils mettent ainsi nos lanceurs spatiaux en difficulté. Donc, cessons de regarder les trains passer et donnons-nous les moyens de maîtriser les technologies de rupture. Sinon, que ce soit dans le domaine du spatial, des biotechnologies, de l'intelligence artificielle, des véhicules autonomes ou des batteries électriques, nous perdrons tant notre puissance économique que notre souveraineté. Il est tout à fait possible de reprendre la main. La question est : comment ?

Je ne déciderai pas personnellement quelles sont les technologies de rupture pertinentes, je n'en sais rien, mais nous avons en France des ingénieurs, des chercheurs, des industriels qui, eux, le savent. Il faut s'appuyer sur notre réseau d'entreprises et identifier nos forces. Atos est l'un des leaders mondiaux en matière de calcul quantique. En matière de nanotechnologies, STMicroelectronics, située près de Grenoble, est parmi les meilleures entreprises du secteur et fournit ses composants à tous les grands acteurs du numérique. En matière de biotechnologies, nous avons également des entreprises d'excellence. Appuyons-nous donc sur notre excellent tissu industriel.

En outre, le Fonds pour l'innovation de rupture repose sur des personnalités indépendantes, des chercheurs, des industriels, qui font eux-mêmes les propositions. Cela doit aussi correspondre à l'intérêt général et aux préoccupations sociétales. J'en donnerai trois exemples. Je pense, en premier lieu, à l'amélioration des diagnostics médicaux au moyen de l'intelligence artificielle, qui nous concerne tous. Les diagnostics seront plus rapides et plus sûrs ; c'est déjà financé par le fonds. Je pense, en deuxième lieu, à la certification des systèmes qui ont recours à l'intelligence artificielle ; le biais de sélection des algorithmes pose un problème démocratique : pourquoi M. Longuet, M. Montaugé et M. Le Maire reçoivent-ils chacun des nouvelles différentes sur leur téléphone ? Je pense, enfin, à l'automatisation de la cybersécurité : au lieu d'intervenir quand il y a eu une attaque ou de mettre à jour son système tous les deux mois, il faut une lutte automatique et permanente contre les attaques.

Je n'ai donc pas la prétention de définir quelles sont les technologies de rupture pertinentes ; le fonds est animé par des ingénieurs, des chercheurs et des industriels plus à même que moi de le faire. Il nous faut également nous appuyer sur notre réseau industriel existant et sur nos domaines d'excellence, dans lesquels on peut déjà créer des ruptures.

Cela dit, il y a encore des besoins importants de rationalisation en matière de soutien à l'innovation. Entre le programme pour l'innovation d'avenir, le Fonds pour l'innovation de rupture et le plan Deep tech de la Banque publique d'investissement (BPI), il faut rationaliser. Il existe trop de canaux de financement, ce qui nuit à leur efficacité.

En ce qui concerne le droit de la concurrence, je suis entièrement d'accord avec vous, monsieur le rapporteur. Le risque majeur provient du fait que la capitalisation boursière des géants du numérique dépasse largement le produit national brut de 90 % des pays de la planète. Il faut donc mieux sanctionner les comportements anticoncurrentiels et la prédation, et mieux contrôler les concentrations. Cela fait partie des sujets majeurs à porter à l'échelon européen au cours des années qui viennent : il faut renforcer le droit de la concurrence pour lutter contre les comportements prédateurs des géants du numérique. Cela passe aussi par la régulation des contenus, avec notamment la loi sur la manipulation de l'information et la proposition de loi sur le retrait des propos haineux.

Enfin, en ce qui concerne la régulation des plateformes, j'ai engagé des actions en justice contre Amazon, Google et Apple, pour des pratiques commerciales abusives. Obliger un client à installer sur son matériel tel ou tel logiciel, c'est abusif. Contractualiser avec des PME et résilier son contrat du jour au lendemain sans respecter le droit économique, c'est également abusif. Or il incombe au ministre de l'économie de faire respecter l'ordre public économique, qui ne connait pas l'extraterritorialité et qui doit valoir pour tous. Du reste, ce que nous avons fait pour Facebook est efficace, et j'espère que cela conduira les entreprises concernées à changer leur comportement.

L'entreprise Amazon s'est beaucoup plainte de la nouvelle taxation et a elle annoncé qu'elle la répercuterait à la hausse sur ses PME clientes, mais j'espère qu'elle répercutera aussi la baisse de l'impôt sur les sociétés.

La blockchain est un dispositif électronique d'enregistrement partagé reposant sur un système de confiance mutuelle. C'est un projet très prometteur, dans lequel je crois et sur lequel nous pouvons être leaders. Nous avons défini un cadre juridique, prévu un financement et identifié trois secteurs industriels spécifiques, dont l'agroalimentaire et l'énergie. Deux députés travaillent particulièrement sur cette question : Jean-Michel Mis et Laure de la Raudière.

Vous le savez, les hébergeurs font l'objet de critiques en ce qui concerne leur consommation d'énergie, mais ce secteur est créateur d'emplois et de valeur. Nous avons donc tout intérêt à disposer d'acteurs nombreux et puissants en France. C'est pourquoi nous avons mis en place un avantage fiscal sur la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). Son taux est ainsi passé de 22,5 euros le mégawattheure à 12 euros. Notre objectif est de rendre ce secteur attractif ; c'est une question de souveraineté et de maîtrise des données, même si cette seule réponse n'est pas suffisante face aux législations extraterritoriales, dont nous parlions tout à l'heure. J'ajoute que nous avons demandé aux hébergeurs, en contrepartie et par souci environnemental, de nous faire des propositions en vue de réduire leur consommation d'énergie.

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