Intervention de Bruno Le Maire

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 10 septembre 2019 à 9h05
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Bruno Le Maire, ministre :

En ce qui concerne la monnaie numérique publique, je souhaite que les choses avancent rapidement et nous devrions lancer la réflexion dont je vous parlais dès octobre prochain. En ce qui concerne Libra, je vous ai fait part de notre préoccupation, mais cela signifie aussi que nous agissons. Le rôle des ministres des finances du G7 est de prendre des décisions en la matière pour éviter qu'une monnaie digitale vienne concurrencer les monnaies souveraines.

Monsieur Chaize, vous avez parlé de taxe GAFA, je préfère parler de taxe « numérique », car cette taxe vise les activités digitales et ne s'applique pas qu'aux GAFA - elle concerne aussi des entreprises européennes et chinoises. Nous avons réfléchi à un dispositif qui ressemblerait à un péage, comme vous l'évoquez, mais ce serait techniquement compliqué. A partir, de là, trois solutions se dégageaient sur la taxation du numérique.

D'abord, ne rien faire et prendre acte de la perte d'une recette fiscale, ce qui serait finalement le plus simple. Pour moi, ce serait accepter un scandale : la réallocation des profits que les géants du numérique font sur des clients français au profit d'États dont le niveau de taxation est inférieur à celui de la France - je pense évidemment à l'Irlande. La situation actuelle est tout bonnement révoltante et nous devons y mettre un terme, car je suis convaincu que le moins-disant fiscal signifie la fin de l'Europe ! Je l'ai d'ailleurs dit très clairement à nos amis irlandais. J'insiste, c'est la convergence fiscale qui constitue l'avenir de l'Europe. Arrêtons de nous faire la guerre entre nous et ne renonçons pas à nos services et biens publics ! Le dumping fiscal ne correspond pas à l'idée que je me fais de la construction européenne et je me battrai pour une taxation minimale en Europe. Si un pays applique un taux réel d'impôt sur les sociétés inférieur à ce taux minimum, nous devons récupérer la différence. C'est une question de justice et d'efficacité. Vous l'aurez compris, cette première solution - ne rien faire - n'est pas la mienne !

La deuxième solution repose sur les prix de transfert. C'est un sujet technique, mais il s'agit au fond de négocier avec les entreprises concernées des accords bilatéraux pour qu'elles allouent une partie de leurs profits à l'État. Cette solution serait un premier pas, mais elle est difficile à mettre en place, dépend de négociations avec chaque entreprise et n'est pas, à mon sens, assez ambitieuse, car elle ne règle pas le problème de fond.

La troisième solution, celle sur laquelle nous travaillons, c'est un accord international au sein de l'OCDE. Établir une imposition pour une entreprise qui n'a pas ou peu de présence physique dans un État n'existe pas aujourd'hui. Toute la difficulté réside dans l'établissement du lien, ce qu'on appelle aussi le nexus, entre l'activité physique d'une entreprise dans un pays - centre de recherche, salariés, laboratoire, usine... - et son activité commerciale ailleurs. Pour établir ce lien, nous travaillons sur trois critères : le niveau de profitabilité, le nombre de clients - certaines entreprises du numérique ont des millions de clients en France, mais seulement quelques dizaines de salariés... et les dépenses intangibles, comme le marketing. Finalement, cela ne concerne donc pas seulement les entreprises du numérique, mais toutes les activités qui n'ont pas de présence physique dans un État.

C'est ce choix que nous avons fait au sein de l'OCDE. Un tel dispositif entraînera une redistribution fiscale très lourde, de plusieurs milliards de dollars. Ceci nécessite une évaluation très précise, ce qu'a récemment mis en avant la Cour des comptes, mais c'est la seule solution de long terme pour taxer les activités digitales.

En ce qui concerne la 5G, la loi visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l'exploitation des réseaux radioélectriques mobiles a été promulguée le 1er août dernier. Je rappelle qu'elle ne vise pas un équipementier en particulier, mais bien à garantir le respect de notre souveraineté. Nous nous sommes ainsi dotés d'un nouvel instrument juridique de contrôle des équipements de télécommunication. Il faut savoir que la 5G est très différente de la 4G. La 5G n'est pas une simple amélioration de la 4G, elle opère une transformation systémique des réseaux, puisque les données sensibles sont stockées dans chaque antenne relais et non au coeur des réseaux. Cela justifie que nous nous dotions de moyens de contrôle renforcés.

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