Intervention de Bruno Le Maire

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 10 septembre 2019 à 9h05
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie et des finances

Bruno Le Maire, ministre :

Je suis élu d'un territoire rural et j'ai été ministre de l'agriculture ! Je vous le dis donc très clairement : l'engagement du Président de la République d'assurer une couverture universelle de la France en 2020 et un très haut débit pour tous en 2022 doit être tenu. L'intendance suivra ! D'ailleurs, la question se pose d'abord en termes de déploiement, plus qu'en termes financiers. Nous avons déjà investi 3,3 milliards d'euros et le Premier ministre a annoncé en décembre 2018 une enveloppe supplémentaire de 620 millions d'euros.

Je reviens quand même un instant sur la 5G et j'insiste sur la rupture technologique qu'elle constitue. Les informations ne sont plus situées uniquement dans les coeurs de réseau, mais aussi dans les antennes relais, ce qui nous amène à renforcer les protections.

Le troisième secteur industriel qui a été identifié en termes de blockchain est la construction.

Au sujet de la politique européenne de la concurrence, les Piiec sont vitaux pour nous permettre de financer à hauteur raisonnable des projets qui ne sont plus à l'échelle nationale Pour les batteries électriques, la France a engagé 700 millions d'euros, l'Allemagne 1,2 milliard, la Pologne - elle est spécialisée dans le retraitement des batteries - nous a rejoints et un financement européen complétera cette enveloppe. Plusieurs dizaines d'entreprises privées sont parties prenantes au projet et une première usine pilote devrait voir le jour, en France, l'année prochaine. Sur les nanotechnologies, nous avons mis 800 millions d'euros sur la table et l'Europe 100 millions. L'Europe financera le secteur des supercalculateurs à hauteur de 500 millions d'euros.

Au-delà des montants financiers, ce qui est important, c'est la rupture idéologique, qui était tant attendue. Si nous avions eu ces projets d'intérêt collectif européen il y a une quinzaine d'années, nous aurions aujourd'hui une industrie européenne du panneau solaire. À l'époque, le choix a été différent - ni aide d'État ni subvention -, si bien que nous importons massivement des panneaux solaires chinois, qui sont eux-mêmes subventionnés ! Cette fois, l'Union européenne fait le bon choix. Alors, est-ce trop tard ?

Il s'agit d'abord d'une question d'indépendance, notamment pour notre industrie automobile qui représente des centaines de milliers d'emplois en Europe. Je vous laisse imaginer le levier stratégique dont disposerait la Chine, si nous la laissions seule sur le segment des batteries... Nous serions dans une situation intenable. En outre, la maîtrise de la technologie des batteries ion-lithium, tant liquides que solides, nous permettra de nous assurer que leur retraitement est respectueux de l'environnement.

Je crois que nous devons faire la même chose avec l'intelligence artificielle. J'y travaille avec mon homologue allemand et nous ferons des propositions dans les mois qui viennent, sur le modèle de ce qui a été fait pour les batteries électriques.

La cybersécurité constitue naturellement une préoccupation majeure pour le secteur financier, le risque premier étant une attaque cyber contre les banques centrales. Dans le cadre du G7, nous avons procédé à un exercice de protection contre des attaques cyber sur les banques centrales et nous aurons un plan d'action à notre disposition à la fin de l'année 2019.

Monsieur Mazuir, je reprendrai votre expression, très juste, d'un marché de Cocagne pour les acteurs du numérique... Pourtant, nous devons avoir conscience que l'Europe n'est pas en position de faiblesse. Des erreurs ont été commises dans le passé ; par exemple, nous ne nous sommes pas assez intéressés à la question clé du financement, du capital-risque et nous nous sommes trop reposés sur des prêts. Mais nous sommes le marché le plus riche et le plus intégré de la planète avec 450 millions de consommateurs et je peux vous garantir que pour les acteurs du numérique nous sommes vitaux. De ce fait, si nous rassemblons nos forces, nous avons les moyens de peser dans les débats.

Est-il encore possible de construire des champions européens du numérique ? Je le crois, mais pas dans les secteurs déjà occupés. Nous ne partons pas de rien ; certaines de nos entreprises sont des leaders dans leur secteur et nous devons les aider à grandir : OVH dans le cloud, Atos dans le calcul intensif, Dassault Systèmes, une entreprise extraordinairement performante en matière d'intelligence artificielle, etc.

Monsieur le Président, la réaction américaine que vous évoquez montre bien qu'il existe aux États-Unis un débat sur l'antitrust et les risques de concentration excessive de la part des champions du digital. Ce débat n'est pas seulement politique, il est aussi juridique, puisque des procureurs ont lancé des procédures contre Facebook et Google.

En ce qui concerne le retrait du W3C, c'est Orange qui a pris cette décision, pas l'État. Nous attachons évidemment une grande importance aux efforts de normalisation dans le domaine du numérique et, plus largement, de promotion des technologies françaises et européennes dans les secteurs clés. D'ailleurs, je souhaite que nous rénovions la stratégie française de normalisation. C'est un effort public et privé, dans lequel les entreprises doivent prendre leur part. C'est une question décisive.

Dernier point, je le redis, je suis persuadé que l'Europe ne disposera pas de grands acteurs dans le secteur du numérique si elle ne révise pas sa politique de la concurrence. Une nouvelle commission européenne est en train de se mettre en place. La France et l'Allemagne vont rappeler à nouvelle Présidente, Ursula von der Leyen, les propositions qu'elles ont déjà formulées et qui partent de trois idées simples : autoriser certains projets, quitte à mettre en place des contrôles ex post et à prévoir des ajustements au bout de quelques années pour maintenir un bon niveau de concurrence - procéder ainsi dans le dossier Alstom-Siemens, qui aurait pu devenir le champion mondial de la signalisation ferroviaire, aurait été beaucoup plus intelligent qu'une interdiction a priori -, retenir le monde comme marché pertinent, et pas seulement l'Europe, prévoir que le Conseil européen ou le Conseil de l'Union européenne puissent s'opposer à une décision de l'autorité de la concurrence, comme le Gouvernement peut le faire au niveau national en France et en Allemagne.

La réunion est close à 10 h 35.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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