Intervention de Christophe Castaner

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 2 septembre 2019 à 15h40
Audition de M. Christophe Castaner ministre de l'intérieur

Christophe Castaner , ministre :

Le dispositif interministériel dont il s'agit couvrait précisément l'ensemble des éléments susceptibles d'être exploités. Politiquement, la maîtrise d'informations relatives aux habitudes ou aux goûts de nos concitoyens permet aujourd'hui d'envoyer tel ou tel message avantageant un candidat face aux autres. C'est sur ce point qu'il faut agir, en veillant au respect du cadre législatif : les informations personnelles ne sont pas à libre disposition. Elles ne peuvent donc pas être utilisées dans le cadre d'une campagne, comme on a pu le voir dans tel ou tel pays étranger. À terme, il faudra que ce dispositif gouvernemental, qui, par définition, n'est pas à même d'inspirer la confiance de tous les partis, de tous les candidats, soit aussi dépolitisé que possible : ainsi, il deviendra un guichet auquel chaque candidat pourra recourir.

J'en viens aux actions de prévention, que le ministère de l'intérieur déploie à plusieurs niveaux. Au titre de la sensibilisation comme de l'enquête, 8 600 policiers et gendarmes sont actuellement spécialisés sur ces sujets. J'ai la volonté de renforcer ces effectifs de 800 personnes d'ici à la fin du quinquennat. Ces agents assument toutes les missions, y compris judiciaires, que l'on connaît dans la chaîne d'engagement de la police et de la gendarmerie ; mais s'y ajoutent des missions de prévention. Il s'agit à la fois d'actions de haut niveau, qui peuvent être accompagnées par la DGSI - cette dernière est mobilisée pour les opérateurs d'importance vitale, et elle fait l'objet d'un plan de recrutement et de renforcement de 1 900 nouveaux effectifs, dont une partie sera consacrée à ces sujets.

De plus, conformément au plan d'action gouvernementale validé par le Président de la République, les préfets de région vont animer, sur l'ensemble de territoire, un travail de sensibilisation des acteurs, notamment des entreprises, et mettre à leur disposition les différentes ressources existantes.

À titre judiciaire, pour la phase d'instruction, un référent est aujourd'hui présent dans chaque zone pour sensibiliser les acteurs économiques. S'y ajoute un dispositif d'hypermobilisation dans la ruralité, avec la gendarmerie nationale : dans tel territoire, une entreprise de vingt salariés représente un enjeu majeur.

Enfin, la sensibilisation aux comportements est déployée en faveur de nos concitoyens, en lien avec l'éducation nationale. Il s'agit du « permis internet », qui a concerné 2 millions d'enfants et, plus largement, du travail d'éveil des consciences. L'éducation nationale est très mobilisée en la matière.

Monsieur Chaize, le secrétaire d'État au numérique est, certes, rattaché à Bercy ; mais ce nouveau positionnement n'a aucune conséquence sur le travail interministériel. L'animation horizontale se poursuit comme par le passé. De plus, la revue stratégique de cyberdéfense fournit un cadre de travail transversal. Elle est pilotée par le ministère des armées, qui agit de manière interministérielle. De son côté, l'Anssi a élaboré un guide d'hygiène informatique. Ce document est transversal et interministériel, à l'instar de la plateforme cybermalveillance.gouv.fr.

C'est à ces différents niveaux qu'il faut agir pour changer les comportements, dans le public comme dans le privé : menacer une grande banque française, c'est aussi porter atteinte à la souveraineté nationale, d'autant que les coûts en jeu sont très élevés. Il y a quelques années, le spectre des cyber-rançons était extrêmement large - on attaquait les particuliers en leur demandant 100 euros. Aujourd'hui, le spectre s'est fortement réduit - on attaque quelques grands groupes, mais on leur demande 150 millions d'euros.

Monsieur Gattolin, vous m'interrogez au sujet de la gestion de crise. Je ne peux pas vous en dire trop au sujet d'un éventuel blackout. Mais le ministère de l'intérieur dispose, comme les autres ministères, d'un plan de continuité d'activité. Outre les attaques, il faut se préparer au risque de panne du réseau numérique, notamment en région parisienne : nous avons demandé aux opérateurs de travailler sur ce point.

Je vous renvoie au travail que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (Sgdsn) a consacré à ces gestions de crise. Il existe, en outre, un plan interministériel. Des exercices réguliers sont menés pour faire face aux risques d'attaques et le ministère de l'intérieur dispose de son propre système de contrôle interne. Le but, c'est de disposer d'une architecture de sécurité, y compris électronique.

En cas d'attaque ou de panne, nous devons nous préparer à la possibilité de travailler en mode dégradé : nous avons pris cette précaution tout récemment encore, à l'occasion du G7, et nous disposons, en la matière, de ressources expertes en interne.

Monsieur Chaize, vous évoquez aussi la loi dite - à tort ! - « anti-Huawei ». À l'époque où j'étais vice-président de la région PACA - il n'y a pas si longtemps -, j'ai pu visiter le siège de cette entreprise, à Shenzhen. Huawei s'apprêtait alors à produire des téléphones portables, il a acquis sur ce marché une position dominante. Aujourd'hui, cet opérateur applique une loi chinoise donnant aux autorités du pays des pouvoirs exorbitants par rapport à notre propre droit national, que j'ai précédemment évoqués. Nous voulons tout simplement fixer des critères de sécurité pour autoriser le déploiement d'équipements indépendants et, ce faisant, garantir notre souveraineté. Bref, nous ne contestons pas la place de qui que ce soit parmi les opérateurs privés, mais nous ne voulons pas non plus faire preuve de naïveté.

En l'occurrence, nous sommes face à un changement de modèle : la 3G a été développée sur le modèle européen, mais ce n'est pas le cas de la 5G. Bruno Le Maire vous apportera certainement des réponses plus complètes en la matière. Mais, j'y insiste, il ne faut pas laisser ce champ entier déserter l'Europe. Nous avons évoqué la portée extraterritoriale du droit américain. La véritable solution, c'est notamment d'avoir une monnaie européenne suffisamment puissante pour que les entreprises européennes puissent travailler à travers le monde sans utiliser le dollar. Il faut raisonner de la même manière au sujet du cloud et, plus largement, pour l'ensemble de nos outils.

Pour les personnes handicapées, nous voulons garantir les plus grandes facilités de vote, avec un site internet d'accès aux professions de foi , avec la possibilité d'être accompagné dans l'isoloir - ce que le président du bureau de vote peut autoriser - et avec les procurations, ou encore avec le déplacement à domicile de l'officier de police judiciaire. Nous étudions également de nouvelles techniques. Cela étant, nous n'envisageons pas la dématérialisation totale du vote pour les seules personnes souffrant de handicap visuel. Non seulement nous n'aurions sans doute pas les moyens d'imposer un tel dispositif à tous les bureaux de vote de France - il risque d'être extrêmement coûteux -, mais il faut éviter toute rupture d'égalité.

Au sujet des coopérations internationales, le risque d'impunité fait nécessairement l'objet de discussions. Certains criminels savent pertinemment choisir le pays à partir duquel ils émettent, afin de ne pas être inquiétés. J'ai pu m'en assurer une nouvelle fois en visitant la plateforme Pharos, pour ce qui concerne les contenus pédopornographiques.

Ces enjeux font l'objet d'échanges et de discussions, et nous allons avancer. Avec certains pays, nous pouvons travailler de manière satisfaisante, plusieurs exemples récents le prouvent. Je pense à l'atteinte frauduleuse qui a infecté 450 000 ordinateurs à travers le monde et au sujet de laquelle la gendarmerie nationale a publié une communication il y a quelques jours. Les investigations ont permis de localiser la source malveillante en Palestine et l'attaque a été neutralisée. En revanche, il ne me semble pas que l'individu en question ait été interpellé. On observe, à cet égard, la limite de notre système.

Avec certains pays, les coopérations sont parfaites ; avec d'autres, il est nettement plus compliqué d'agir. De surcroît, les opérations multiples peuvent impliquer trois, quatre, voire vingt-huit pays, à l'échelle de l'Union européenne. Face à une affaire massive d'escroquerie, nous avons abouti, en France, à 17 interpellations en flagrant délit, et à 95 interpellations partout dans le monde. Cela étant, de manière générale, les marges de progrès restent importantes.

Enfin, le ministère de l'intérieur travaille de manière tout à fait efficace avec le ministère de la justice. Depuis que je suis ministre de l'intérieur, je n'ai pour ainsi dire observé aucun dossier au titre duquel un obstacle a empêché notre bonne action mutuelle. Il peut y avoir des tensions, mais je considère cette fluidité à la fois comme une évidence et comme une exigence. Dans quelques jours, je présenterai ainsi un nouveau plan de lutte contre les stupéfiants. A ce titre, je défendrai le dispositif le plus interministériel possible, car il faut sortir de nos chapelles. Face à la cybercriminalité, nous avons, avec le ministère de la justice, une véritable proximité, que je qualifierai même de culturelle.

La réunion est close à 15 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 15 h 40.

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