Intervention de Jacqueline Gourault

Mission d'information Sous-utilisation des fonds européens — Réunion du 11 septembre 2019 à 15h05
Audition de Mme Jacqueline Gourault ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales

Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales :

Les Fonds européens structurels et d'investissement (FESI) constituent bien évidemment un sujet très important.

Vous connaissez mon engagement européen. Je ne peux que saluer votre initiative sur un enjeu essentiel pour la cohésion de nos territoires, trop peu mis en avant s'agissant de l'aide concrète que l'Europe apporte à nos territoires et à nos concitoyens. Nous souhaitons que les collectivités territoriales fassent la promotion des fonds européens. Je suis accompagnée par deux membres de mon cabinet et deux membres du CGET spécialistes des fonds européens.

Les fonds européens représentent au total plus de 461 milliards d'euros à l'échelle de l'Union européenne pour la période 2014-2020. La France s'est vu allouer un montant de 27,8 milliards d'euros pour cette programmation, soit une enveloppe stable par rapport à la période 2007-2013. Les FESI sont répartis dans quatre fonds : le Fonds européen de développement régional (FEDER), qui représente 34 % de l'enveloppe de la France, le Fonds social européen (FSE), qui en représente 23 %, le FEADER, qui en représente 41 % et le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP), qui en représente 2 %.

La bonne utilisation de ces fonds pour nos agriculteurs, nos pêcheurs, nos entreprises et nos territoires est bien sûr essentielle. Je le rappelle, l'argent des fonds européens provient des contribuables européens, et donc aussi des contribuables français. De ce point de vue, nous faisons partie des contributeurs nets puisque, lorsque nous participons à hauteur de trois euros au financement du FEDER et du FSE, nous recevons un euro en retour. La situation est très différente selon le fonds considéré. Je pense en particulier à la politique agricole commune (PAC).

D'aucuns s'inquiètent d'un risque de sous-consommation de ces fonds, au risque d'une éventuelle perte de crédits. La Cour des comptes a évoqué ce sujet au printemps dernier dans un rapport. Naturellement, le Gouvernement entend ces inquiétudes, bien qu'il ne partage pas le postulat d'une « sous-utilisation chronique ». En effet, il faut toujours relativiser. Permettez-moi de vous apporter des éléments d'éclairage en la matière.

J'articulerai mon propos autour de trois points. J'évoquerai tout d'abord la situation exacte de la consommation actuelle des fonds européens, ainsi que les raisons ayant conduit aux difficultés observées depuis plusieurs mois - ces dernières se concentrent essentiellement sur le programme LEADER, géré par les élus eux-mêmes - , ensuite, les mesures mises en oeuvre pour corriger la situation et, enfin, les perspectives pour la prochaine programmation.

S'agissant de la situation exacte de la consommation des fonds européens, pour les quatre fonds structurels, le niveau de consommation en France s'inscrit, à ce stade de la période 2014-2020, dans la moyenne de l'Union européenne. En effet, au 31 décembre dernier, le taux moyen de programmation des fonds était de 61 % en France et de 68 % dans l'Union européenne. Par ailleurs, le taux moyen de certification des dépenses s'élève en France à 35 %, soit un niveau supérieur à la moyenne de l'Union européenne, qui est de 28 %. Il n'existe donc pas de « sous-utilisation chronique » de ce point de vue. Mieux, le niveau de certification des dépenses est plus élevé que la moyenne. Ainsi la France n'a-t-elle connu quasiment aucun dégagement d'office, c'est-à-dire aucune invalidation des dépenses engagées.

Autre point très important, ces taux de consommation, qu'il s'agisse de la programmation ou de la certification, sont ceux qui ont été relevés à mi-chemin de la programmation actuelle. En effet, contrairement à ce que laisse craindre l'intitulé de la programmation 2014-2020, cette programmation court en réalité jusqu'en 2023. Nous ne sommes donc pas dans une situation dans laquelle il faudrait, en moins d'une année, programmer 40 % des fonds et en certifier 65 %. Il nous reste cinq ans, soit la moitié de la durée prévue, pour achever la programmation, comme ce fut le cas pour la période précédente, pour laquelle, je le rappelle, le niveau de programmation avait atteint 99 %.

Nous sommes bien conscients de l'effort qui reste à fournir puisque les autorités de gestion devront, d'ici la fin de l'année 2021, programmer des fonds, dans le cadre de projets pluriannuels. Elles devront ensuite certifier et payer les dépenses puis les déclarer à la Commission européenne jusqu'à la fin de l'année 2023. En parallèle, elles animeront la nouvelle programmation qui aura ses propres contraintes.

À l'heure actuelle, tout l'enjeu est donc d'achever la programmation en 2020 et 2021, pour finaliser la certification jusqu'en 2023.

Toutefois, vous le savez, la situation diffère d'un fonds à l'autre. Si le niveau de consommation est normal pour le FEDER et le FSE, les difficultés se concentrent sur l'un des programmes du FEADER, le programme LEADER, pour lequel les régions sont les autorités de gestion, et le ministère de l'agriculture l'autorité de coordination.

Si ces difficultés sont réelles, elles concernent un programme qui s'élève à 700 millions d'euros, soit 5 % du FEADER. N'oublions jamais de relativiser et de replacer cette somme dans le cadre général des 28 milliards d'euros de fonds européens dont dispose la France.

Je le précise, les groupes d'action locale (GAL) peuvent être rattachés à différents types de collectivité : un département, une intercommunalité ou un pôle d'équilibre territorial et rural. Or, certaines régions rattachent les fonds LEADER à un type spécifique de collectivité. Une telle démarche ne correspond ni à une directive européenne ni à une directive nationale.

La difficulté rencontrée par le programme LEADER ne doit pas laisser penser qu'il existe un dysfonctionnement global de la consommation des fonds européens en France. À cet égard, j'ai rencontré Thibaut Guignard, le président de LEADER France.

Vous le savez, la Cour des comptes a pointé dans son rapport des retards dans l'utilisation des fonds en début de programmation, dans un contexte de décentralisation de la gestion de certains fonds aux régions, à savoir l'intégralité du FEDER et du FEADER et 35 % du FSE. Chacun s'interroge aujourd'hui sur la pertinence d'une telle décentralisation.

Il semble facile d'identifier a posteriori un responsable. Mais comment ne pas se rappeler le contexte général de l'époque, marqué par plusieurs facteurs déterminants : une négociation européenne complexe et un niveau d'exigence accru de la part de la Commission, dont nous devons nous réjouir à l'échelle européenne ; deux évolutions institutionnelles au sein des collectivités territoriales, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe, et la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM ; enfin, la fusion des régions. Les collectivités territoriales se sont donc transformées, aussi bien au niveau institutionnel que dans l'exercice de leurs compétences. Avec le recul et le retour d'expérience, il apparaît que le transfert du FEDER et du FSE s'est globalement bien déroulé et que celui du FEADER a été plus délicat en termes d'anticipation et de préparation. Toutefois, certaines régions avaient mieux anticipé que d'autres, tandis qu'un certain nombre d'entre elles n'ont connu que des évolutions à la marge.

Le Gouvernement s'est pleinement mobilisé pour résoudre ces difficultés bien identifiées sur le FEADER, qui ne concernent donc pas mon ministère. Je tenais à vous faire part des différentes mesures mises en oeuvre depuis plusieurs mois. À chaque fois, des mécanismes de correction ont été mises en place.

Tout d'abord, les difficultés étaient liées aux outils informatiques, les logiciels utilisés fonctionnant conformément à la précédente programmation, sans prendre en compte les changements intervenus avec les évolutions de la gouvernance. L'État a pris la mesure de ces dysfonctionnements et a déployé toutes les mesures nécessaires pour rétablir un fonctionnement correct des outils. Il n'y a plus de retard de paiement pour le FEADER, sauf sur le programme LEADER, au sujet duquel l'État se mobilise fortement depuis le début de l'année 2018, pour appuyer l'action des régions au travers de trois mesures d'accompagnement : la finalisation de la production des outils informatiques, une meilleure coordination grâce à la mise en place d'un groupe technique LEADER réunissant tous les acteurs et, enfin, la formation des instructeurs, ainsi que, dans certaines régions, des recrutements pour résorber les stocks. Les premiers résultats sont tangibles, puisque les engagements au niveau national s'élèvent à 22 % de l'enveloppe LEADER et les paiements à 7 %. Certes, certaines régions sont plus performantes que d'autres.

Ensuite, la méconnaissance des dispositifs européens par les porteurs de projets et leur déficit d'ingénierie pour bénéficier des fonds représentent une deuxième difficulté. Pour ma part, je suis toujours frappée par le fait que ceux qui avaient bénéficié des fonds européens grâce au zonage sont toujours, aujourd'hui, les plus performants pour obtenir des fonds européens... Tout simplement, ils ont l'expérience, leurs personnels ayant déjà monté des dossiers. Cela témoigne des besoins en ingénierie dans le cadre des dossiers européens.

Un partenariat de qualité entre l'État et les régions est indispensable, et c'est ce à quoi je me suis employée lors du comité État-régions qui s'est tenu début juillet dernier. En outre, j'ai demandé à mes services de travailler sur la possibilité d'organiser des formations au niveau national, qui pourraient se tenir de manière déconcentrée dans les territoires, en partenariat avec les régions, pour avancer de manière dépassionnée sur les opportunités, les obligations et les améliorations du processus.

Pour résumer, je dirai que l'amélioration de la gestion des fonds européens est évidemment possible. Elle repose sur des principes de responsabilité, mais aussi de partenariat. Bien que nous vivions dans une République décentralisée, bien que certaines compétences aient été transférées aux collectivités territoriales, j'ai la conviction que l'État et les collectivités ont besoin l'un des autres, dans ce domaine comme dans d'autres, dans l'intérêt global de nos concitoyens.

Dans la mesure où les préfets de département sont les délégués territoriaux de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ils peuvent informer et orienter les porteurs de projets vers les autorités de gestion dont ils relèvent. Même si certains avaient voulu aller plus loin, l'ANCT ne peut pas empiéter sur le rôle des autorités de gestion. En revanche, les préfets peuvent indiquer quelle autorité de gestion correspond au projet porté.

La préparation de la prochaine programmation est essentielle pour que la France dispose de l'enveloppe la plus élevée possible, avec une souplesse de gestion nous permettant d'atteindre nos objectifs en matière de cohésion des territoires, et pour éviter les écueils constatés sur le LEADER.

Au niveau européen, nous plaidons pour pondérer la baisse de l'enveloppe FEADER, qui pourrait passer de 11,5 à 8,5 milliards d'euros puisque le Brexit fait disparaître un contributeur net. Nous souhaitons également la définition d'un objectif territorial pour le FEDER. La Commission offre la possibilité aux autorités de gestion de définir, à hauteur d'un maximum de 15 % de l'enveloppe nationale, un objectif stratégique en faveur des zones urbaines, rurales et côtières, pour traiter des disparités infrarégionales. Cela s'appliquerait aux États membres dont le revenu national brut par habitant est supérieur à la moyenne communautaire. Nous sommes naturellement favorables à cette souplesse, mais nous souhaitons laisser encore davantage de liberté aux régions dans leurs choix thématique et territoriaux : En prenant comme base de référence le PIB par habitant au niveau régional pour encadrer les principes de concentration, celles-ci pourraient si elles le souhaitent porter cette part à 25 % dans les régions françaises dont le PIB se situe en dessous de la moyenne communautaire (soit la très grande majorité). Cette souplesse dans les choix est un souhait des régions auquel je suis bien évidemment favorable. Elles pourraient si elles le souhaitent mieux prendre en compte les disparités infrarégionales qui peuvent être importantes. Le référentiel statistique pour calculer cette concentration thématique est déjà conçu sur une base régionale dans la période actuelle.

Au niveau national, l'orientation prise - dont les présidents de région ont été informés avant l'été - est de privilégier la continuité de gestion pour le FEDER et le FSE, ce qui est gage de simplicité et d'efficacité, et de clarifier la ligne de partage entre l'État et les régions pour le FEADER, sujet très sensible, où s'opposent les positions des régions, du ministère de l'agriculture, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), des agriculteurs hors FNSEA... Le Premier ministre a décidé qu'il y aurait une séparation entre le surfacique et le non-surfacique. Le surfacique, qui représente 70 % à 80 % du FEADER, concerne notamment les mesures agro-environnementales et climatiques ; le non-surfacique comprend notamment les mesures d'investissement dans les exploitations et le développement rural, ce qui inclut LEADER. La proposition de la Commission est de séparer le FEADER des autres fonds structurels et de le réintégrer dans le premier pilier de la PAC. Certes, les régions auraient voulu la totalité. Mais l'État estime qu'il y a aussi des politiques nationales, liées au changement climatique ou à la gestion de l'eau, et qu'une partie des fonds doit donc être gérée au niveau national. Je crois toutefois que le monde agricole est plutôt favorable à la solution proposée par le Gouvernement. Il y voit la garantie d'une politique nationale dans certains domaines.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion