Notre commission s'est saisie de huit articles, sur les treize que compte ce projet de loi. Les mesures proposées impactent en effet fortement les acteurs économiques, qu'ils soient producteurs, consommateurs ou autorités publiques.
Le Sénat est la première chambre saisie : c'est là une juste reconnaissance du rôle joué par les collectivités territoriales, qui sont non seulement chargées du service public de gestion des déchets, mais jouent aussi un rôle de premier plan dans la mise en oeuvre de la collecte, du tri et du traitement des déchets. Elles sont les principaux acteurs de la transition écologique que nos concitoyens souhaitent certes plus rapide, mais pas plus coûteuse.
C'est en conservant à l'esprit ces réalités que j'ai examiné ce texte, dans l'objectif de mobiliser le consommateur tout en préservant à la fois les équilibres du service public assuré par les collectivités et les capacités de production des entreprises françaises.
Nul besoin de revenir sur l'impérieuse nécessité d'accélérer la transition énergétique, de lutter contre le réchauffement climatique et le gaspillage des ressources. Nous avons tous en mémoire les images de déchets flottants au milieu de l'océan ; des dépôts sauvages dans nos champs et forêts ; ou les débats sur l'obsolescence programmée des équipements électroniques. La France produit chaque année quelque 320 millions de tonnes de déchets, dont 70 % proviennent du seul secteur de la construction. Moins d'un quart du plastique est recyclé et seulement 40 % des déchets ménagers, contre 66 % en Allemagne. Le gaspillage alimentaire représente 29 kg par personne et par an.
Les questions d'économie circulaire et de lutte contre le gaspillage sont longtemps restées en marge du débat public. Des mesures isolées ont été introduites dans des textes concernant d'autres sujets comme le logement, l'énergie ou l'agriculture, mais les acteurs étaient en attente d'un texte cohérent et global.
Le présent projet de loi porte plusieurs mesures issues de la « Feuille de route pour l'économie circulaire » présentée par le Gouvernement en avril 2018. Il transpose également plusieurs directives européennes de 2018 et 2019 relatives aux déchets et aux plastiques, qui fixent des objectifs de collecte (90 % pour le plastique d'ici 2029), prohibent certains matériaux et modernisent les dispositifs de responsabilité élargie des producteurs (REP).
L'objectif principal de ce texte est de passer d'une économie linéaire, dans laquelle on produit, on consomme, puis on jette, à une économie circulaire, dans laquelle la consommation de matière première est limitée, le cycle de vie des produits est allongé et les déchets deviennent des ressources. Pour atteindre cet objectif, le projet de loi active trois leviers.
Tout d'abord, il accroît l'information du consommateur sur les caractéristiques environnementales des produits, via notamment l'affichage obligatoire de certaines mentions et l'instauration d'un indice de réparabilité. Il généralise également l'apposition du logo Triman sur les produits et clarifie l'information sur la disponibilité des pièces détachées.
Ensuite, il intensifie la lutte contre le gaspillage et promeut le réemploi des produits usagés. L'élimination des invendus non alimentaires est interdite : ceux-ci devront être recyclés, réemployés ou réutilisés. Les grandes surfaces devront reprendre les produits usagés rapportés par leurs clients. La réparation ayant recours à des pièces détachées réutilisées est encouragée. Le diagnostic déchet, que doivent conduire les professionnels du bâtiment en amont de leurs projets de démolition, est élargi et renforcé. Un taux minimal d'incorporation de matières recyclées pourra être défini pour certains produits.
Enfin, l'article 8 opère une refonte du dispositif de REP, qui impose aux fabricants ou importateurs de produits générateurs de déchets de financer et de prendre en charge ces déchets, s'ils le souhaitent via un éco-organisme. Cette REP concerne aujourd'hui une vingtaine de filières en France. Je reviendrai sur ces modifications d'ampleur dans quelques instants, d'autant que le dispositif de consigne des emballages ménagers est également prévu par ce même article 8.
Ce texte me semble aller globalement dans le bon sens, mais ses modalités de mise en oeuvre méritent d'être précisées.
Il est tout d'abord impératif qu'il tienne compte de la faisabilité technique et économique des mesures pour les entreprises. Or, certaines n'ont pas fait l'objet d'études d'impact suffisamment approfondies. Trop souvent, leur mise en oeuvre est renvoyée au décret, y compris sur des aspects importants tels que les secteurs concernés ou les critères retenus. Les délais de mise en oeuvre sont très courts : par exemple, au 1er janvier 2020 pour l'extension de certaines filières REP ! Les acteurs économiques s'inquiètent de cette approche cavalière, voire irréaliste, alors que les implications sur leurs investissements et leurs procédés de production sont considérables.
L'information du consommateur doit lui permettre d'orienter ses choix vers des produits plus vertueux, mieux réparables et mieux recyclables et d'influer ainsi sur le marché. Mais attention à ne pas noyer le consommateur sous un flot de nouvelles informations ! Il faut améliorer la lisibilité, harmoniser les mentions et favoriser la stabilité des dispositifs.
Ce projet de loi doit non pas bouleverser les dispositifs vertueux existants, mais respecter les compétences et les sources de financement des collectivités territoriales. Le service public de gestion des déchets est un service de proximité, qui touche directement au quotidien des Français, mais dont l'équilibre est complexe et précaire. Sachons préserver ce service public, le faire évoluer vers plus d'efficacité et d'homogénéité et permettre une meilleure articulation avec les autres parties prenantes de la collecte et du traitement des déchets.
Enfin, le législateur ne doit pas chercher à imposer d'en haut un modèle unique, alors que les réalités de nos territoires sont diverses et appellent des solutions différenciées. Préférons l'obligation de résultat à l'obligation de moyens : les acteurs doivent être libres de développer des alternatives innovantes et efficaces, dès lors qu'ils remplissent les objectifs qui leur sont fixés. Certes, des dérives existent et, dans certains cas, il faut recourir à des obligations. Mais de nombreuses entreprises, par exemple celles de l'agrofourniture, n'ont pas attendu ce projet de loi pour se fixer des engagements volontaires, modifier leurs processus de production ou la gestion de leurs déchets et ainsi concilier croissance et engagement en faveur de l'environnement.
Je souhaite revenir plus en détail sur les deux principales mesures de ce projet de loi prévues à l'article 8.
La première est la refonte du régime de REP. Les producteurs peuvent recourir soit à un système individuel dans lequel ils remplissent leurs obligations de façon autonome, soit à un éco-organisme qu'ils financent et qui financera en retour les collectivités ou assurera la gestion des déchets. Je souhaite que nous privilégiions une logique de résultat, plutôt qu'une logique de moyens : si d'autres modèles alternatifs prouvent leur efficacité - par exemple une organisation collective et autofinancée, sans être un éco-organisme -, pourquoi les interdire ? Chaque filière a ses spécificités qui justifient la mise en place de systèmes distincts. Je vous proposerai donc d'autoriser une forme de « troisième voie » pour les filières REP qui le souhaitent, à condition bien entendu qu'elles remplissent leurs objectifs de collecte, qu'elles soient agréées et qu'elles se soumettent aux contrôles applicables aux éco-organismes et aux systèmes individuels. Je vous proposerai également de restaurer une égalité de traitement entre systèmes individuels et éco-organismes. Les éco-organismes ne sont pas toujours la panacée : nous connaissons tous des cas de défaillance, de mauvaise gestion financière, de couverture des coûts insuffisante ou d'objectifs non remplis comme, par exemple, dans la filière des équipements électriques et électroniques... Soyons souples et pragmatiques et laissons le producteur qui le souhaite mettre en place son système individuel tant que les objectifs sont atteints. Il n'est pas nécessaire d'ajouter une obligation spécifique de prime au retour qui mettrait en danger les systèmes individuels existants qui fonctionnent.
La seconde mesure emblématique du projet de loi est l'autorisation de mise en place de systèmes obligatoires de consigne pour recyclage, réemploi ou réutilisation des emballages ménagers. Cette mesure est devenue un totem pour le Gouvernement, qui contraste avec le minimalisme du dispositif du projet de loi. Son champ très large et le renvoi total au décret témoignent de l'insuffisante concertation qui a présidé à son élaboration. Les arbitrages concernant ses modalités d'application concrètes n'ont toujours pas été rendus.
Le dispositif vise non seulement la consigne pour réemploi ou réutilisation, mais aussi la consigne pour recyclage. Le Gouvernement soutient notamment l'instauration d'une consigne des bouteilles en plastique en polytéréphtalate d'éthylène (PET), qui représente entre 6 et 10 % des emballages collectés. La mise en place d'une telle consigne priverait les collectivités des recettes qu'elles tirent aujourd'hui de la revente de cette matière, bouleversant les équilibres de financement du service public et pouvant aboutir à des hausses de fiscalité. À cette perte de recettes, s'ajouterait la fin du financement, par les producteurs, du service public via l'éco-organisme Citeo, pour un montant estimé à 134 millions d'euros. Par ailleurs, les collectivités devraient continuer à collecter les bouteilles que les consommateurs n'auraient pas rapportées au point de consigne. L'équilibre des financements n'est donc pas assuré pour les collectivités locales. C'est pourquoi je vous proposerai trois amendements spécifiques pour encadrer les dispositifs de consigne.
Le premier amendement, protecteur des collectivités, prévoit qu'elles seront indemnisées, à hauteur du montant de la consigne, sur chaque bouteille non déconsignée qu'elles auront collectée et retournée au producteur. Ce dispositif permettra de limiter la captation de quelque 200 à 400 millions d'euros par les producteurs au titre des bouteilles non retournées et de financer la collecte assurée par le service public.
Le deuxième amendement, protecteur des consommateurs, vise à interdire les rabais sur le montant de la consigne, ce qui aurait avantagé la grande distribution par rapport au petit commerce. Il impose aussi que la consigne doive être remboursée en numéraire, et non en bons d'achat, qui auraient rendu le consommateur captif de certains lieux de vente.
Le troisième amendement, protecteur de l'environnement, prévoit qu'un dispositif de consigne ne pourra être mis en place qu'à condition qu'une étude d'impact préalable atteste le caractère positif de son bilan environnemental global.
En conclusion, je considère que ce projet de loi est porteur de bonnes intentions et de quelques bonnes mesures, mais nous devons lui apporter plus de souplesse et de pragmatisme afin de sécuriser les entreprises, de responsabiliser le consommateur, d'associer les collectivités et de pérenniser les dispositifs publics qui fonctionnent actuellement.