Nous abordons aujourd'hui l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, envoyé au fond à notre commission. La commission des affaires économiques s'est saisie pour avis, et je salue le travail de la rapporteure pour avis, Anne-Catherine Loisier, avec qui nous nous retrouvons sur l'essentiel.
Ce projet de loi comprend plusieurs volets relatifs à l'information du consommateur, à la lutte contre le gaspillage et au fonctionnement de ce qu'on appelle « les filières à responsabilité élargie du producteur » (REP). Il est présenté par le Gouvernement comme le premier acte de son « accélération écologique ». Nous sommes d'emblée placés sur un terrain très politique : si ce texte comporte des dispositions qui vont dans le bon sens, il n'a en réalité rien de « révolutionnaire ». Au contraire, il ne comporte que quelques articles assez techniques ; il présente la faiblesse de ne pas fixer d'orientations claires et précises ; et il renvoie certaines dispositions à des ordonnances. Vous vous souvenez sûrement d'ailleurs que la première version qui avait fuité dans la presse ne comportait quasiment que des renvois à des ordonnances, ce dont nous nous étions, à raison, émus.
Il est également dommage que le Gouvernement ait fait le choix de sur-communiquer sur la mesure, selon lui, emblématique de ce texte, à savoir la consigne, dont la portée paraît bien anecdotique au regard des immenses défis auxquels nous sommes confrontés en termes d'épuisement de nos ressources, de réchauffement climatique et de dégradation de nos écosystèmes. Six mois plus tard, le discours politique a changé, mais le fond est resté grosso modo le même.
Au-delà de ma déception quant à l'ampleur de ce texte, je déplore la méthode ayant présidé aux premières étapes du parcours de ce texte.
Tout d'abord, la concertation mise en avant n'a pas porté sur toutes les dispositions du projet de loi, notamment sur la mise en place de la consigne, comme l'ont fait remarquer de nombreux acteurs.
Ensuite, les délais ont été particulièrement contraints, mais cela ne nous a pas empêchés de rencontrer un très grand nombre d'acteurs : au total, plus de cent auditions ont été organisées. À cet égard, je remercie nos collègues qui m'ont souvent accompagnée.
Par ailleurs, le flou entretenu sur le dispositif de consigne souhaité par le Gouvernement nous a également empêchés d'avoir accès à des informations solides et fiables. J'ajoute que la secrétaire d'État a indiqué la semaine dernière, lors de son audition, que le « pré-rapport » commandé à Jacques Vernier constituait son étude d'impact sur la consigne. Ce pré-rapport ne m'a été transmis que jeudi dernier, soit cinq jours avant l'examen en commission et n'a pas fait l'objet, à ma connaissance, d'une transmission officielle à la commission. Les seuls chiffres qui nous avaient été communiqués jusqu'à présent provenaient d'une étude réalisée par un collectif d'industriels du secteur de la boisson. Comment, dès lors, être sûr que ce dispositif, ainsi justifié, soit à même de garantir l'intérêt général ?
Enfin, le flou persistant du Gouvernement sur la question de la consigne ne nous facilite pas la tâche : souhaite-t-il mettre en place une consigne pour recyclage ? Sur quels produits ? Sur les bouteilles en plastique ? Sur les canettes ? Souhaite-t-il également mettre en place une consigne pour réemploi ? Sur quel gisement ? Selon quelles modalités ?
Contrairement à ce qu'indique la secrétaire d'État, j'estime que le débat parlementaire doit porter sur un projet assumé du Gouvernement : on ne saurait nous demander de voter sur des intentions floues. C'est pourquoi je vous proposerai de prendre nos responsabilités et de trancher pour une option claire, que j'ai construite à partir de mon travail et de mes auditions.
Malgré les quelques mesures qui vont dans le bon sens, ce texte souffre, selon moi, d'un véritable recul environnemental avec la consigne.
En vérité, la consigne pour recyclage des bouteilles en plastique, comme semble la prévoir le Gouvernement, même s'il ne l'assume pas, est un outil du passé. Il repose sur la perpétuation d'une production aveugle de plastique alors que le véritable enjeu du XXIe siècle consiste précisément à en produire moins. Un tel dispositif conduirait en effet à donner une prime à la production de plastique et à sanctuariser, dans le même temps, la consommation de produits en plastique à usage unique, comme on le voit en Allemagne, où la mise en place de la consigne a conduit à une surconsommation des emballages et des contenants en plastique à usage unique. Pire, il acterait un recul dans la prise de conscience écologique en « monétarisant » un geste essentiel, aujourd'hui gratuit. Le consommateur vertueux, qui paye aujourd'hui un euro sa bouteille en plastique et la jette dans le bac jaune, devra demain la payer 15 centimes de plus et prendre peut-être sa voiture pour la rapporter dans un consignateur, voire dans un supermarché. Comment ne pas y voir un non-sens écologique ?
J'en viens à mes propositions.
Je suis convaincue - et j'espère vous en convaincre - que nous devons aller plus loin que ces simples aménagements et cette « mesurette » hasardeuse et non évaluée, en donnant plus de souffle à ce texte, comme l'a souligné la semaine dernière notre collègue Didier Mandelli, président du groupe d'études sur l'économie circulaire, à l'occasion de l'audition de la secrétaire d'État.
Nous devons lutter contre l'ensemble des déchets plastiques, qui, aujourd'hui, nous le savons tous, s'accumulent dans nos océans comme dans nos assiettes. Les bouteilles en plastique ne constituent en effet qu'une infime partie des plastiques mis sur le marché. Je vous proposerai d'abord d'agir sur la collecte « hors foyer » de l'ensemble des emballages, en affectant une partie des contributions financières versées par les producteurs au financement d'un programme d'amélioration de cette collecte séparée. Je souhaite aussi vous proposer d'aller dans le sens d'une réduction de la production de plastique. Le seul recyclage ne peut constituer une réponse ambitieuse dans la mesure où un produit ne peut être recyclé à l'infini. Le recyclage crée finalement un modèle économique fondé sur la consommation de plastique usagé. C'est pourquoi la lutte contre le suremballage est, à mon avis, essentielle ; c'est d'ailleurs une attente forte de l'opinion publique. Aussi, je proposerai, d'une part, la mise en place par les pouvoirs publics d'une trajectoire pluriannuelle de réduction de la mise sur le marché d'emballages et, d'autre part, la réalisation de plans quinquennaux de prévention et d'écoconception par les entreprises les plus gourmandes en emballages. Par ailleurs, un système de bonus-malus financier tenant compte de la quantité de matière utilisée dans un produit inciterait fortement les producteurs à ce que l'on appelle la « sobriété matière ». Je proposerai également la mise en place d'un fonds de réparation et la fixation d'objectifs de réparation au sein des cahiers des charges des éco-organismes afin de limiter le renouvellement débridé des produits.
Enfin, nous devons, me semble-t-il, prendre la mesure de l'impact des pollutions plastiques sur nos milieux naturels, à commencer par l'eau. Les producteurs devront également financer des opérations de nettoyage des milieux et de traitement de la pollution des eaux au plastique.
En ce qui concerne la consigne, vous l'aurez compris, je vous proposerai de clarifier le dispositif prévu par le projet de loi.
L'étude d'impact complémentaire que nous avons commandée et que je vous propose de mettre en ligne sur notre site montre de manière très intéressante que l'objectif européen de collecte de 90 % des bouteilles en plastique peut être atteint sans mettre en oeuvre la consigne. En outre, il apparaît clairement que la consigne pour recyclage des bouteilles en plastique en polyéthylène téréphtalate (PET) constitue un non-sens environnemental et économique.
Outre les limites écologiques que j'ai évoquées tout à l'heure, l'instauration d'un tel dispositif pèserait sur le modèle économique mis en place par de nombreuses collectivités, qui ont d'ores et déjà suspendu leurs plans d'investissements destinés à moderniser leurs centres de tri, dans la perspective de l'extension de la consigne de tri pour 2022. Elle entraînerait également une perte de pouvoir d'achat pour le consommateur dans la mesure où le montant des consignes non retournées pourrait atteindre 200 millions d'euros. Elle se traduirait aussi par un inévitable impact financier négatif sur les collectivités, qui perdraient les recettes tirées de la vente des matières recyclées et les soutiens financiers versés par l'éco-organisme. Cette perte globale est estimée à environ 150 millions d'euros, bien que ce montant fasse encore l'objet de nombreux désaccords entre parties prenantes. Enfin, elle ne serait pas neutre du point de vue du risque de dévitalisation des centres-villes.
Pour toutes ces raisons, je vous propose de recentrer le dispositif proposé par le Gouvernement sur la consigne pour réemploi. Même si je ne suis pas convaincue de son utilité pour le verre, dont l'objectif de recyclage est aujourd'hui atteint, nous estimons que des innovations permettront, peut-être, à terme de rendre cet outil pertinent.
Le second volet de mes propositions vise à donner au consommateur plus de réponses à ses préoccupations environnementales quotidiennes et plus d'informations. Ainsi, le « point vert », marque déposée par l'éco-organisme Citeo indiquant que le produit contribue au financement de la filière, doit progressivement disparaître en ce qu'il entretient une confusion dans l'esprit du consommateur : ce dernier pense qu'il indique la recyclabilité d'un produit.
Je vous proposerai aussi de mettre fin aux publicités scandaleuses qui incitent le consommateur à dégrader ou à empêcher le réemploi d'un produit encore en état de fonctionnement.
Enfin, je vous soumettrai une série d'amendements visant, d'une part, à encadrer la gestion des déchets du bâtiment, et, d'autre part, à renforcer les moyens de lutter contre les dépôts sauvages d'ordures.
Les déchets du bâtiment constituent un enjeu essentiel au regard des volumes considérés. Le projet de loi prévoit le principe d'une REP assorti d'une faculté pour les professionnels concernés d'y déroger par un système équivalent. Nombre d'entre vous ont déposé des amendements visant à supprimer cette possibilité de déroger à cette nouvelle REP. Or c'est le point d'équilibre auquel sont parvenus l'ensemble des acteurs au terme de négociations toujours en cours avec le ministère. Pour ma part, j'estime qu'il est important de préserver l'équilibre trouvé, tout en l'encadrant, de manière à garantir, pour chacune des deux options, en plus de la reprise gratuite des déchets triés, un maillage territorial des points de collecte et une extension de leurs horaires d'ouverture. Je vous proposerai d'encadrer le système équivalent éventuel par une convention tripartite entre l'État, les collectivités et les professionnels du bâtiment. Je souhaite aussi responsabiliser le maître d'ouvrage en prévoyant la remise par le professionnel d'un certificat de traitement des déchets induits par les travaux qu'il fait réaliser. L'ensemble de ces amendements permettront de garantir une bonne gestion de ces déchets, tout en faisant confiance aux professionnels.
Enfin, le drame de cet été avec la mort du maire de Signes a montré, si cela était encore nécessaire, l'immense détresse dans laquelle se retrouvent de très nombreux élus face au développement incontrôlable des dépôts sauvages de déchets sur le territoire de leurs communes. Aussi, je vous proposerai de ne pas accepter le renvoi d'un tel sujet aux ordonnances au profit d'un certain nombre de modifications dans le texte, dont le renforcement des pouvoirs de police des élus et du préfet pour lutter contre ces dépôts. Je proposerai aussi que les écocontributions versées par les producteurs de ces déchets contribuent à financer le nettoyage des dépôts sauvages.
Telles sont les principales orientations que je vous soumets cet après-midi ; elles ne manqueront certainement pas d'être enrichies par les vôtres.