Intervention de Marta de Cidrac

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 17 septembre 2019 à 15h30
Projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marta de CidracMarta de Cidrac, rapporteure :

Permettez-moi de revenir un instant sur les sérieux problèmes de méthode du Gouvernement. L'exécutif se contente, en effet, de nous présenter un article extrêmement allusif, renvoyant intégralement sa mise en oeuvre au pouvoir réglementaire. En réalité, il s'agit presque d'une habilitation à procéder par ordonnance, tant le Gouvernement aura le champ libre pour définir le dispositif qu'il souhaitera. À cause de cette très grande imprécision, l'étude d'impact du projet de loi est d'une indigence rare et ne comprend aucun élément chiffré fondé sur un scénario précis. Lors de son audition, la secrétaire d'État nous a appelés à la coconstruction, mais il est de la responsabilité du Gouvernement de se présenter devant le Parlement avec un projet de réforme précis, et non un simple brouillon ! Les premières concertations sur l'économie circulaire ont commencé il y a plus de dix-huit mois et l'idée d'une consigne généralisée ne figurait pas clairement dans la feuille de route. Comme l'a souligné notre président, la seule étude transmise par le ministère a été réalisée par les industriels favorables au dispositif, qui ont formé une coalition appelée le collectif Boissons. Nous ne saurions nous appuyer sur une telle source d'information pour prendre une décision dans l'intérêt de nos concitoyens.

Pour tenter de rattraper ce lourd déficit de préparation, le Gouvernement a créé un comité de pilotage, qui n'a été réuni qu'une seule fois, en juin. Le Sénat n'a été aucunement associé à sa composition ni au choix des parlementaires concernés, alors qu'il s'agit d'un usage bien ancré dans nos institutions. En outre, ce comité ne saurait être considéré comme une instance de concertation, faute de véritable travail collectif. En vue de combler l'absence de toute étude d'impact économique, social et environnemental, la secrétaire d'État a confié à Jacques Vernier, spécialiste des questions environnementales et de l'économie circulaire, un travail d'expertise qui s'est appuyé sur des auditions bilatérales et a abouti à un pré-rapport. Diffusé seulement la semaine passée, il continue de s'appuyer largement sur des données du collectif Boissons. Il n'a pas encore été examiné collectivement par le comité de pilotage, et il reste très incertain qu'il permette d'établir un consensus sur le sujet. En tout état de cause, ce qui n'est encore qu'un pré-rapport a été remis plus de deux mois après le dépôt du texte devant le Sénat et une poignée de jours avant la fin de la première lecture. Je ne dirais pas que c'est regrettable, je qualifierais la méthode d'inacceptable ! Elle témoigne, soit d'une improvisation totale de la part du Gouvernement, soit d'une volonté délibérée de priver notre assemblée des éléments et du temps nécessaires pour se décider en connaissance de cause.

Je vous propose de recentrer le dispositif de la consigne sur le réemploi et la réutilisation, en supprimant la possibilité d'y avoir recours pour le recyclage. Tout d'abord, en matière d'environnement, la consigne pour recyclage est loin de représenter la panacée. En effet, elle n'agit pas directement sur la consommation de produits plastiques et peut même s'accompagner d'une augmentation des plastiques à usage unique sur le marché. En Allemagne, en l'espace de quinze ans, la part des emballages à usage unique a augmenté de 60 %, avec un recul équivalent des emballages réemployables. En outre, une consigne crée une boucle de consommation, qui peut entretenir l'utilisation de plastiques à usage unique. Enfin, elle implique de mettre en place une nouvelle infrastructure de collecte et de tri sur l'ensemble du territoire national pour une seule catégorie d'emballages, les bouteilles en PET, qui représentent moins de 1 % des emballages ménagers et 0,1 % des déchets produits chaque année en France et qui sont déjà collectés à hauteur de 98 %. Cette infrastructure lourde et coûteuse sera peu évolutive et incapable d'intégrer de nombreux autres produits, sauf à l'avoir anticipé très tôt. Quel sens cela a-t-il de dépenser collectivement des centaines de millions d'euros pour ne s'intéresser qu'à un gisement marginal, alors qu'il y a tant à faire sur l'ensemble des emballages ménagers, que le service public de gestion des déchets est polyvalent et qu'il va l'être encore davantage avec l'extension des consignes de tri ? Cela ne servira qu'à verdir l'image de la bouteille en plastique à usage unique !

S'agissant de l'impact de la mesure sur les citoyens, la ministre invoque à l'envi des sondages réalisés par le Gouvernement qui témoigneraient d'une adhésion profonde des Français à la consigne. Permettez-moi plusieurs remarques.

D'abord, la valeur des sondages d'opinion varie en fonction de la façon dont ils sont conçus. Ensuite, le Gouvernement entretient un flou sémantique sur la notion de consigne, en n'indiquant pas clairement qu'il envisage une consigne pour recyclage sur les bouteilles en PET et non pour réemploi. Or, la grande majorité de l'opinion publique pense d'abord à la consigne pour réemploi, en particulier sur le verre. En réalité, le dispositif imaginé par le Gouvernement représentera, pour le citoyen, une nouvelle contrainte financière. Sur la base d'une consigne à 0,15 centime d'euros et avec l'hypothèse d'un taux de retour de 90 % en rythme de croisière, l'équivalent de 200 millions d'euros ne sera pas récupéré chaque année. Ce montant s'établira à 400 millions d'euros avec un taux de retour à 80 %, probable en période de rodage. En outre, comment expliquer qu'un produit spécifique soit consigné, tandis que les autres font l'objet d'une collecte sélective à domicile ? La mesure va à rebours de l'objectif de l'extension des consignes de tri, qui est de simplifier le geste de tri en généralisant la collecte des emballages dans le bac jaune. Enfin, le Gouvernement présente la consigne comme un dispositif novateur. Il s'agit, au contraire, d'une façon de sanctionner financièrement le citoyen, alors même que, depuis des années, les Français trient leurs déchets sur la base d'une conviction environnementale, en faisant un geste citoyen et désintéressé. La consigne pour recyclage représente une mesure du vingtième siècle, digne d'une société de consommation effrénée, qui n'est plus légitime à l'heure de la généralisation des préoccupations environnementales. En réalité, créer une consigne, soit une sanction financière en l'absence de tri, revient à infantiliser le citoyen au lieu de faire confiance à sa conscience écologique.

Enfin, notons l'impact négatif qu'aurait un système de consigne pour recyclage sur l'organisation du service public de gestion des déchets. Pour l'heure, le montant des conséquences financières sur les collectivités territoriales fait encore l'objet de désaccords entre les parties prenantes. En termes de pertes brutes, l'éco-organisme Citeo a identifié une perte de 60 millions d'euros liée à la vente des matières recyclées et de 170 millions d'euros en raison de la disparition des soutiens versés par les industriels du secteur de la boisson. Une partie de ces pertes devrait être compensée par la règle de couverture à 80 % du coût net optimisé, dans des conditions qui seront liées à la redéfinition du barème national lors du réagrément de Citeo en 2023. En tout état de cause, la perspective de perdre un gisement qui représente parfois 20 % des recettes d'une collectivité perturbe largement la poursuite des investissements liés à l'extension des consignes. En matière de financement du service public de gestion des déchets, il est probable que les autres industriels devront accroître leur contribution financière pour compenser la disparition de celle des industriels de la boisson. En résumé, les conséquences financières de la consigne voulue par les industriels de la boisson seront largement assumées par d'autres, à savoir les collectivités territoriales, les citoyens qui n'auront pas déconsigné leurs achats et les autres industries.

Au total, après avoir entendu une centaine d'organismes et reçu presque autant de contributions écrites, un constat très clair se dégage : la quasi-totalité des parties prenantes, qu'il s'agisse d'associations environnementales ou de consommateurs, d'acteurs ou de spécialistes de l'économie circulaire, de collectivités territoriales ou d'autres secteurs industriels sont le plus souvent clairement opposés à ce dispositif ou ont émis de vives réserves sur sa pertinence.

En vue d'être véritablement ambitieux en matière d'économie circulaire, il est prioritaire d'agir sur la prévention des déchets, notamment sur la consommation de plastiques. C'est l'objet de plusieurs propositions que nous avons déjà adoptées.

Quant à la collecte, elle doit être améliorée, mais sans se focaliser sur une seule catégorie d'emballages. Nous devons progresser sur l'ensemble des emballages ménagers, ce que la consigne ne permet absolument pas ; elle risque même de la compromettre en déstabilisant l'ensemble du système de collecte et de tri.

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