Intervention de Irene Lozano

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 septembre 2019 à 11h00
Institutions européennes — Audition de Mme Irene Lozano secrétaire d'état espagnole pour l'espagne globale

Irene Lozano, secrétaire d'État espagnole pour l'Espagne globale :

Tout d'abord, il nous paraît très important d'aborder le problème catalan dans le contexte politique plus général de l'Europe, à la lumière, en particulier, des campagnes de désinformation menées par les indépendantistes.

C'est la raison pour laquelle cette visite au Sénat nous semble extrêmement importante. Nous sommes tout à fait conscients que peuvent subsister en France des préjugés sur l'Espagne, qui remontent à l'époque de la dictature. Or, celle-ci a pris fin il y a maintenant quarante ans.

Il est très important que nous expliquions aux élus du peuple français les enjeux qui prévalent en Catalogne. Ce qui est en jeu en Catalogne, ce n'est ni la liberté ni la démocratie : c'est le défi général de la montée des nationalismes en Europe. En l'occurrence, il s'agit d'un nationalisme tout à fait classique, de nature égoïste, celui d'une région qui souhaite garder ses ressources pour elle et ne plus les partager avec les autres régions espagnoles et européennes.

Dès lors, il est facile de comprendre que le problème politique qui existe en Catalogne ne se pose pas en termes de décentralisation, l'Espagne étant le deuxième pays le plus décentralisé au monde. La Catalogne a des compétences dans toutes sortes de domaines : éducation, santé, police, etc.

Le problème, en réalité, est né de la crise économique et financière de 2008 et de la récession, qui ont créé un sentiment de malaise et un mouvement anti-élites, comme dans beaucoup d'autres pays européens. Le nationalisme est apparu dans les pays qui, historiquement, présentaient une faiblesse sur ce plan. Il est apparu sous diverses variantes dans divers pays. Par exemple, le Brexit est une forme de nationalisme qui renvoie à la tradition isolationniste britannique, au souhait d'éloignement par rapport au continent européen.

Le nationalisme catalan est, pour sa part, un nationalisme périphérique, mais il est lui aussi lié aux peurs identitaires. Les peurs face à l'incertitude économique ont jeté les populations dans les bras de ce nationalisme qui est anti-européen.

En réalité, pour les indépendantistes catalans, la démocratie consiste simplement à pouvoir voter - c'est la conception qu'en ont les démocraties illibérales. C'est précisément une attaque contre la démocratie libérale qui s'est produite en Catalogne : en effet, les 6 et 7 septembre 2017, le Parlement régional catalan a adopté deux lois qui suspendaient à la fois la Constitution espagnole et le statut de la Catalogne. Si cela s'était produit en Hongrie, il est évident que cela aurait été interprété de façon tout à fait différente... En réalité, en adoptant ces deux lois, les indépendantistes ont privé les Catalans de leurs droits.

Dans un arrêt rendu voilà environ deux mois, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a estimé non recevable un recours présenté par les indépendantistes catalans, au nom justement de la démocratie libérale. En effet, en interdisant l'ouverture de la session du Parlement catalan, au cours de laquelle devait être prononcée l'indépendance, session qui s'est tout de même ouverte, le Tribunal constitutionnel espagnol a voulu protéger les institutions démocratiques de l'Espagne.

Dans une démocratie libérale, il y a séparation des pouvoirs et ce que décide le juge doit être appliqué par l'exécutif et par le pouvoir législatif. Dans une démocratie libérale, existent un équilibre entre les pouvoirs et toute une série d'institutions démocratiques. La démocratie libérale ne se résume pas au simple vote.

Ni Amnesty International ni Human Rights Watch ni aucune organisation internationale du même type n'a considéré qu'il y avait des prisonniers politiques en Espagne. Il est d'ailleurs particulièrement offensant pour les vrais prisonniers politiques qui ont pu exister en Espagne pendant toute une période de son histoire, comme cela a été, par exemple, le cas de mon grand-père à l'époque du franquisme, de se voir assimilés à des personnes ayant pu jouir de toutes les garanties pendant leur procès - transparence totale, retransmission à la télévision, droit à la défense, etc.

En Espagne, la liberté d'opinion et d'expression est pleine et entière. De fait, les partis indépendantistes existent depuis 1978. Beaucoup de personnes défendent des positions indépendantistes. Ils le font en toute liberté, mais ils ne peuvent le faire en violant la loi. L'Espagne est un État de droit.

Nous sommes particulièrement préoccupés par les campagnes de désinformation menées par les indépendantistes catalans ; c'est une préoccupation que nous partageons, d'ailleurs, avec de nombreux pays européens et avec la Commission européenne qui s'en est émue récemment.

C'est la raison pour laquelle je suis particulièrement heureuse que vous me donniez l'occasion de présenter ici et d'expliquer un certain nombre de faits qui sont souvent occultés, complètement modifiés ou interprétés de manière déformée par les indépendantistes catalans. Les partis indépendantistes catalans n'ont jamais obtenu plus de 47 à 48 % des voix aux élections en Catalogne. Certes, ce taux est élevé, et il est vrai qu'il soulève des questions politiques, mais il ne permet pas aux indépendantistes de s'exprimer au nom du peuple catalan. Ils n'en représentent pas la majorité ! Il faut savoir que l'autre moitié de la société catalane ne pense pas du tout de la même façon. Ce que les indépendantistes ont réussi à faire, c'est polariser, fragmenter, diviser la société catalane.

On connaîtra, dans les prochaines semaines, l'arrêt du Tribunal suprême, équivalent de la Cour de cassation, qui juge les leaders indépendantistes. Comme vous le savez, ceux-ci sont aujourd'hui en détention préventive. Ils ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement espagnol de les libérer, mais le gouvernement ne peut pas le faire, puisque, en vertu de la séparation des pouvoirs qui existe dans notre pays, seul un juge pourrait mettre un terme à cette détention préventive. Par ailleurs, le gouvernement espagnol ne fera aucun commentaire sur le jugement, quel qu'il soit, qui sera prononcé par le Tribunal suprême.

Le Tribunal suprême a mené le procès avec toutes les garanties de l'État de droit. Les accusés auront un droit de recours devant le Tribunal constitutionnel s'ils considèrent que leurs droits fondamentaux ont été violés. Ils auront également un droit de recours devant la CEDH, à laquelle l'Espagne adhère pleinement, fidèle à son engagement pour la défense des droits de l'Homme.

Enfin, nous avons nous aussi l'espoir, une fois que la sentence pénale aura été prononcée, d'entrer dans une période politique beaucoup plus constructive car il est vrai que la procédure pénale a empoisonné le dialogue politique. Depuis sa prise de fonctions en juin dernier, le président du gouvernement, M. Sánchez, a toujours défendu le dialogue, non seulement entre le gouvernement central et le gouvernement catalan, mais aussi entre les Catalans eux-mêmes, car la coexistence est aujourd'hui extrêmement difficile en Catalogne. Le conflit autour de l'indépendance a conduit à une division très profonde de la société catalane, et la reconstruction prendra sans doute du temps. En tout état de cause, notre gouvernement souhaite travailler sur toutes ces questions sur le plan politique.

Bien sûr, nous sommes conscients de toutes les difficultés, mais le gouvernement de Pedro Sánchez a toujours tendu la main. Les indépendantistes ont jusqu'alors rechigné à s'asseoir à la table du dialogue.

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