Intervention de Irene Lozano

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 septembre 2019 à 11h00
Institutions européennes — Audition de Mme Irene Lozano secrétaire d'état espagnole pour l'espagne globale

Irene Lozano, secrétaire d'État espagnole pour l'Espagne globale :

Oui, mais le chemin pour y parvenir n'est pas le même !

Vous avez manifesté une grande sensibilité à l'égard de l'Espagne, Monsieur le sénateur : elle prouve la proximité et l'affection qui existent entre nos deux pays. Je vous remercie également de l'attention que vous accordez à tous les arguments.

J'ai parlé de la désinformation pratiquée par les indépendantistes en dehors d'Espagne - mais c'est valable aussi pour l'Espagne et la Catalogne. Ils ont prétendu, contre toute évidence, que l'Union européenne reconnaîtrait l'indépendance de la Catalogne ou que les entreprises n'avaient pas peur de l'indépendance, alors que 5 000 d'entre elles sont déjà parties. Évidemment, en tant que sénateurs, vous êtes bien informés et vous avez votre propre point de vue. Quand je parle de désinformation, c'est pour indiquer que les indépendantistes mettent en avant certains faits et en occultent d'autres, et que c'est ainsi que cette question a été présentée dans le reste de l'Europe. Le précédent gouvernement porte probablement sa part de responsabilité dans cette situation car il n'a pas fait l'effort nécessaire pour expliquer la situation.

Cette désinformation est particulièrement efficace auprès des personnes très liées à la communauté historique des réfugiés politiques espagnols. Pour nous, c'est particulièrement douloureux. Je suis membre d'un gouvernement socialiste ; mon grand-père était membre du parti socialiste et a passé sept ans en prison pour cette raison. Il est donc très important que ces personnes avec lesquelles nous avons une grande proximité idéologique comprennent que le nationalisme catalan n'a rien de progressiste, qu'il est réactionnaire et égoïste, comme tous les nationalismes dans le reste du monde.

Vous avez parlé du statut de la Catalogne adopté sous le gouvernement Zapatero, qui aurait ensuite été en partie « annulé » par le Tribunal constitutionnel - en fait, ce dernier a apporté des nuances. Toutefois, ce n'est pas cette décision qui a déclenché la crise, même si les indépendantistes le prétendent. Ce jugement date de 2010 ; or, en 2012, Convergència i Unio (CiU), dont M. Puigdemont était membre, a voté avec le Parti populaire, à Madrid, la réforme du droit du travail qui a réduit les droits des salariés espagnols. Quand cela les arrange, ils disent que le statut a été le détonateur de la crise, mais en réalité, avec l'émergence du mouvement 15-M, mouvement populaire contre l'austérité, le gouvernement catalan n'a pas voulu assumer ces mesures et a tout fait pour détourner le mouvement social vers le gouvernement central de Madrid. Moi qui suis progressiste, j'estime que les indépendantistes prennent en otage le débat social pour en faire un débat identitaire. Il est important qu'un socialiste comme vous en soit conscient. De fait, en Catalogne, le débat social a disparu et tout tourne autour de la question de l'indépendance.

Vous avez dit que l'indépendantisme était passé de 10 % des voix il y a dix ans à 47 % ou 48 % aujourd'hui, ce qui est vrai. Pour moi, c'est lié au malaise social provoqué par la crise. En Italie, la Ligue du Nord obtient plus de 30 % des voix ; en France, vous avez Marine Le Pen ; au Royaume-Uni, il y a le parti du Brexit : on observe le même mouvement vers des politiques nationalistes ou identitaires en réponse au malaise politique créé par la crise. De ce point de vue, l'Espagne ne se distingue pas des autres pays.

On ne peut pas non plus dire que le problème résulte de relations difficiles entre l'État central et les régions autonomes puisque l'Espagne est le deuxième pays le plus décentralisé du monde.

Vous avez dit que la justice espagnole était conservatrice - c'est possible ; personnellement, il me semble que les juges sont tous plutôt conservateurs... Le Tribunal constitutionnel espagnol, à plusieurs reprises, a indiqué au parlement catalan à majorité indépendantiste ce qu'il ne pouvait pas faire ; les parlementaires catalans n'en ont pas tenu compte et ont attaqué le gouvernement espagnol devant la CEDH qui a donné raison au Tribunal constitutionnel espagnol, estimant que la suspension de la séance du parlement catalan était une exigence démocratique, puisque ce dernier violait la loi. Donc, les juges de la CEDH sont aussi conservateurs que les juges espagnols !

Par ailleurs, il y a un double degré de juridiction en Espagne comme dans tous les pays démocratiques. Cependant, en Espagne, les élus sont justiciables du Tribunal suprême et ont une possibilité de recours devant le Tribunal constitutionnel pour tout ce qui touche à leurs droits fondamentaux. C'est ainsi.

Un détail, enfin, ce n'est pas la procureure générale qui a dit que le jugement interviendrait au début du mois d'octobre, mais le procureur compétent pour cette affaire, lors d'un déplacement à Buenos Aires. On me précise qu'il aurait indiqué que la décision interviendrait à une date proche de la Fête nationale, qui tombe le 12 octobre.

Si M. Puigdemont ne peut pas siéger au Parlement européen, c'est parce qu'il n'est pas venu prêter serment devant l'autorité électorale à Madrid. Certes, il aurait pris un risque en le faisant, et je n'ai pas à le juger. Pour M. Junqueras, le Tribunal suprême a décidé qu'il devait rester en détention préventive, en raison du risque de fuite. Deux ans de détention préventive, c'est beaucoup, cela ne me plaît pas non plus, mais ce sont les juges qui l'ont décidé afin de ne pas fausser le jugement. Quant à Valtonyc, je peux seulement dire que j'ai défendu la liberté d'expression bec et ongles lorsque j'étais journaliste.

Enfin, si l'on observe le nombre de condamnations par la CEDH, l'Espagne est largement sous la moyenne des autres pays européens. Le cas de la Catalogne ne doit pas occulter le reste du tableau. L'Espagne a largement prouvé son engagement dans la défense des droits de l'Homme. J'aurais volontiers abordé la question de la « légende noire » de l'Espagne, mais nous ne disposons pas de suffisamment de temps.

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