Intervention de Brune Poirson

Réunion du 24 septembre 2019 à 15h00
Lutte contre le gaspillage et économie circulaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Brune Poirson :

Les Grecs nommaient kairos l’art de saisir une occasion au bon moment et de prendre une décision forte. Et c’est ce kairos que j’invoquerai devant vous en cet instant, au moment de vous présenter le projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire.

C’est en effet le moment d’agir. La planète se dégrade. Nos enfants respirent mal, 200 espèces disparaissent chaque jour et l’artificialisation des terres menace la baisse du réchauffement, tout comme la biodiversité. Les périls climatiques exigent des actes concrets et vous, ici, vous le savez mieux que quiconque.

Le temps est venu de prendre cette décision et d’avancer résolument vers une société où il fait mieux vivre. Le projet qui, au-delà de nos choix politiques, nous anime est de passer de notre société actuelle, caractérisée par beaucoup d’excès, à une société où chacun peut mieux se déplacer, mieux se loger, mieux se nourrir et vivre dans un environnement plus propre. C’est aussi, car chacun y a droit, avoir un emploi qui ait du sens. C’est, finalement, donner la possibilité à chacun, quelle que soit sa condition sociale, de pouvoir participer à un projet plus grand, celui de la construction d’une société où la prospérité n’est possible que si elle passe aussi par celle de la planète et celle des hommes.

Or le XXIe siècle nous semble caractérisé par une double crise qui, parfois, s’exprime avec violence, comme ce fut le cas ces derniers mois avec le mouvement des « gilets jaunes ». La crise est à la fois sociale et écologique.

Crise sociale, d’abord, parce que la mondialisation économique, telle que nous l’avons connue depuis les années quatre-vingt-dix, a fait émerger des inégalités sociales croissantes. Nombre de Français se sentent exclus de ses bénéfices et éprouvent un sentiment de perte de contrôle.

Crise environnementale, ensuite, parce que nul ne peut désormais ignorer la destruction accélérée de notre biodiversité et la hausse du niveau mondial des émissions de gaz à effet de serre.

C’est la raison pour laquelle je suis persuadée qu’une véritable transition écologique ne peut voir le jour dans notre pays que si elle est un instrument de lutte contre la crise sociale. Pendant trop longtemps, nous avons opposé les questions sociales aux questions environnementales. Pire peut-être, nous les avons hiérarchisées, les secondes demeurant l’angle mort des premières, ponctuellement ressuscitées mais jamais au cœur de nos politiques publiques.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, sans prétendre épuiser la profondeur de ce vertigineux défi, j’ai la conviction que ce projet de loi anti-gaspillage pour une économie circulaire peut constituer une brique importante pour y répondre dans notre quotidien, sur nos territoires et à l’échelle nationale.

C’est la raison pour laquelle je suis persuadée qu’une véritable transition écologique ne peut voir le jour dans notre pays que si elle est un instrument de résorption de la crise sociale. La transition écologique ne sera acceptable par nos concitoyens que si elle est créatrice de richesses économiques, d’emplois, d’amélioration du pouvoir d’achat et, plus largement, de mieux-vivre partout sur nos territoires.

J’ai conscience que le projet de loi arrive à un moment politique particulier, après une crise née, notamment, du rejet d’une fiscalité écologique trop lourdement ressentie par les ménages les plus modestes. Nous vivons, dans le même temps, une période de mobilisation sans précédent de la jeunesse en faveur du climat et constatons une sensibilité très forte aux enjeux écologiques dans toutes les couches de la société.

Conscients de l’urgence écologique qui les affecte dans leur vie quotidienne – épisodes de chaleur, sécheresse, incendies sans précédent –, les Français exigent, d’une part, des moyens pour agir, chaque jour, à leur échelle, contre le gaspillage des ressources de la planète, et, d’autre part, que les efforts soient équitablement répartis. Ils exigent, en somme, que chacun, citoyen, élu, entreprise, agisse au maximum de ses facultés pour enclencher de nouveaux modes de production, de nouveaux modes de consommation et d’alimentation. Ils nous demandent de construire une société dans laquelle chacun a le « pouvoir de faire », comme le dit Amartya Sen.

C’est donc bien le sens et la finalité d’un capitalisme de surconsommation, presque vorace, que les Français interrogent aujourd’hui. Ils nous demandent d’agir pour passer d’une société du tout-jetable à une société économe de ses ressources et respectueuse de l’environnement, à une société du tout-réutilisable.

Nous voulons transformer notre système productif pour mettre la préservation des ressources naturelles en son cœur. Cela suppose de supprimer les emballages inutiles, d’encourager le réemploi, de développer la réparation et, en dernier recours, de procéder au recyclage.

C’est ce qu’on appelle l’économie circulaire.

Elle est l’économie du XXIe siècle, celle qui permettra de redonner du sens au capitalisme. L’économie circulaire, c’est aussi une réponse à ceux qui voudraient nous faire croire qu’il n’y a pas d’autre choix qu’entre croissance et décroissance. Je crois qu’il y a une voie médiane et que c’est à nous, collectivement, de la dessiner.

Ce projet de loi entend installer un cadre pour transformer notre « pacte productif » et donner aux Français les moyens de consommer autrement. C’est pour répondre à cette attente sans précédent que nous souhaitons désormais nous attaquer à la réduction de toutes les formes de gaspillage, à commencer par celle que constitue la poubelle des Français, car les déchets ne sont pas une rivalité triviale. J’ose le dire, les déchets, c’est l’une de mes passions !

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