Intervention de Claude Kern

Réunion du 24 septembre 2019 à 15h00
Lutte contre le gaspillage et économie circulaire — Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Claude KernClaude Kern :

… est un non-sens écologique. Alors, parlons de cette consigne pour purger la question.

Je commencerai par une petite mise en perspective : il est amusant de constater que cette mesure a polarisé les esprits et risque d’occuper une bonne partie de la discussion parlementaire, alors même que les bouteilles en plastique ne représentent que 0, 2 % de l’ensemble des déchets générés en France chaque année. Il est vrai que la pollution du plastique, à laquelle les bouteilles participent largement, est l’une des plus graves qui soit. Toutefois, il faut admettre que le sujet de l’économie circulaire est autrement plus vaste.

On ne compte plus les arguments contre l’instauration de cette consigne.

Premièrement, elle est décidée par le Gouvernement sans véritable concertation. En audition, les responsables de l’Ademe, organisme auquel incombe institutionnellement l’évaluation de tels dispositifs, se sont dits incapables de se prononcer aujourd’hui sur ce sujet ; il leur faut plus de temps.

Deuxièmement, nous avons de bonnes raisons de penser que l’instauration d’une consigne sur les bouteilles en plastique n’est pas indispensable pour atteindre l’objectif européen de 90 % de bouteilles recyclées en 2025. C’est ce que révèle le rapport Stefanini commandé cet été par la commission du développement durable. Quand on ne prend en compte que ce qui est collecté auprès des ménages, les taux actuels de recyclage sont bons et progressent de manière constante. De plus, la marge d’amélioration sur la collecte hors foyer est importante. À ce niveau, je voudrais également évoquer une disposition du Grenelle qui, une fois mise en œuvre, donne d’excellents résultats au niveau de la collecte ; il s’agit de la tarification incitative, plus particulièrement de la redevance incitative.

Troisièmement, la consigne est une mauvaise nouvelle pour le consommateur. Aujourd’hui, il paye sa bouteille à un prix donné et, quand elle est vide, il la jette en bas de chez lui dans le bac approprié. Simple, basique ! Demain, avec la consigne, il devra la payer plus cher et la rapporter au magasin. Madame la secrétaire d’État, vous vous prévalez du soutien de l’opinion publique pour défendre la consigne ; il suffit pourtant d’expliquer cela aux gens pour qu’ils changent d’avis.

De plus – c’est mon quatrième point –, la consigne est un cadeau fait aux industriels. Un cadeau indirect, puisqu’elle pérennisera un modèle économique – autant de profits sanctuarisés ! –, et un cadeau direct, si la consigne ne fonctionne pas autant qu’espéré, car toute bouteille qui ne sera pas rapportée fera gagner au metteur en marché le montant de la consigne correspondante.

Pendant ce temps-là, les collectivités auront investi à perte. C’est le cinquième argument. Alors que les collectivités sont incitées à moderniser le tri depuis des décennies et qu’elles ont déjà réalisé la moitié des investissements nécessaires, on leur impose, du jour au lendemain, un virage à 180 degrés.

En termes de sécurité juridique et de confiance légitime, c’est un cas d’école ! Le résultat, c’est que les collectivités ont gelé tout nouvel investissement depuis l’annonce de la mise en place de la consigne. Elles ont raison, puisque, si la consigne est créée, les investissements déjà réalisés l’auront été à perte. La matière qui a de la valeur va se retrouver aux mains des industriels, tandis que ne restera plus au service public des déchets que ce dont personne ne veut. La perte non compensée pour les collectivités serait de 240 millions d’euros par an en 2022, alors même qu’il leur faudra mettre en place l’extension de la consigne de tri à tout emballage et, en 2025, la gestion des biodéchets.

Le dernier argument, le sixième, est le plus important. S’il ne fallait en retenir qu’un, ce serait celui-là : la consigne est un non-sens écologique ! Dans sa version initiale, il s’agissait d’une consigne pour recyclage. Or, on le sait, dans la hiérarchie des modes de traitement des déchets, le recyclage n’arrive qu’en cinquième place. Avant d’envisager le recyclage, il faut tâcher de diminuer le volume des déchets et penser à la réparation, à la réutilisation et au réemploi. Si rien de tout cela n’est possible, alors oui, le recyclage devient un mode de traitement.

En l’occurrence, recycler le plastique signifie produire toujours plus de plastique. Car, quand une bouteille est faite avec 30 % de plastique recyclé, cela signifie qu’il a fallu fabriquer 70 % de plastique nouveau ! C’est un cercle vicieux. Tous les pays qui ont adopté un tel système, à commencer par l’Allemagne, pays que je connais bien, ont vu la part du plastique monter en flèche sur leur marché.

C’est bien pourquoi, comme notre rapporteure, nous avons déposé en commission un amendement visant à limiter le principe de la consigne à la réutilisation et au réemploi, ce qui, pour le coup, est vraiment écolo ! Nous ne pouvons que nous en féliciter.

De même, nous approuvons les autres améliorations apportées au reste du texte par nos rapporteures : Marta de Cidrac, saisie au fond, et ma collègue du groupe UC Anne-Catherine Loisier, saisie pour avis. Je les félicite pour l’excellence de leur travail.

Nous saluons les efforts de simplification faits dans le cadre de l’information du consommateur, mais l’apport le plus considérable du Sénat est la valorisation, dans tous les aspects du texte, des modes prioritaires de traitement des déchets : valorisation de la réduction du volume de déchets par la fixation d’objectifs de lutte contre le suremballage ; valorisation de la réparation par la création d’un fonds dédié à ce mode de traitement au sein des éco-organismes ; valorisation du réusage et du réemploi dans tous les achats publics ou par le recentrage de la fameuse consigne.

La commission a aussi effectué un gros travail de refonte du cadre applicable aux éco-organismes, en réformant leur régime de sanction et en leur fixant des objectifs distincts de réduction des déchets, de réemploi et de recyclage. Le groupe UC a pris sa part à cette refonte, en faisant adopter un amendement qui élargit la gouvernance des éco-organismes à toutes les parties prenantes. Chacun le sait, les éco-organismes sont insuffisamment contrôlés. Le nouveau texte devrait remédier à ce problème. De même, nous nous félicitons de l’adoption de notre amendement qui généralise le recours à l’éco-modulation afin de faciliter l’atteinte des objectifs fixés aux éco-organismes.

Au bas de l’échelle des modes de traitement des déchets, la commission et le groupe UC ont aussi œuvré à privilégier la valorisation énergétique pour réduire au maximum le recours au stockage. C’est toute la problématique du développement des combustibles solides de récupération.

Je salue enfin l’effort fourni pour lutter contre les dépôts sauvages. Le Sénat a joué son rôle, en lui consacrant un titre nouveau dans le texte. Le groupe UC pense qu’il faut aller encore plus loin, en renforçant et en simplifiant les pouvoirs de sanction du maire. Nous vous présenterons un amendement qui permet d’aller dans ce sens.

Nous présenterons aussi des amendements visant à améliorer le recyclage des téléphones portables – ces propositions sont issues du rapport de Jean-François Longeot –, à éviter la sortie du statut de déchet des terres excavées, à créer une éco-contribution sur les produits non recyclables, à forcer à l’éco-conception des produits, à renforcer la lutte contre le gaspillage alimentaire ou encore à améliorer le futur traitement des biodéchets.

En conclusion, je dirai que du chemin reste à parcourir, mais le texte proposé par la commission nous permet de nous engager sur la bonne voie.

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