On assiste en effet à un appel à la mobilisation pour que l'offre de formation se dynamise. Ceci a été accompagné, en collaboration avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, par la création de postes de chefs de clinique supplémentaires. Sur deux années consécutives, dix postes par an en pédopsychiatrie ont pu être affectés à des projets spécifiques.
Pourquoi a-t-on procédé de la sorte ? On ne souhaite pas que la psychiatrie et la psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent soient placées sous un régime dérogatoire. Les universitaires, en matière de psychiatrie et de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, doivent satisfaire aux mêmes critères que les autres disciplines et avoir accès à des postes de maîtres de conférences ou de professeurs des universités. Il faut donc soutenir la dynamique de formation et de recherche en pédopsychiatrie. C'est pourquoi on compte sur des contingents de chefs de clinique juniors pour « réamorcer la pompe », avoir des candidats qui remplissent les critères afin de pouvoir être concurrentiels à l'échelle d'un UFR de médecine et s'installer dans des postes de titulaires. C'est une première approche.
D'autres outils, que je ne vais pas pouvoir détailler, permettront de soutenir le développement qualitatif - en termes de formation d'hospitalo-universitaires - et quantitatif. C'est une priorité de la ministre.
Une instruction vise à créer soit des lits, soit des dispositifs ambulatoires en pédopsychiatrie, là où existent des manques criants. La difficulté vient du fait que, là où il n'y a rien, la « marche » est parfois assez haute. C'est vrai pour la pédopsychiatrie, mais aussi de façon générale. Si l'urgence est certes manifeste dans certains cas, les changements vont toutefois nécessiter du temps.
On sait le retard qui existe dans le département de l'Aisne. Comment accompagner les acteurs, qui sont aujourd'hui débordés, pour reformuler une offre adaptée aux besoins tels qu'ils se manifestent dans leur territoire ? Les spécificités que vous signalez dans l'Aisne doivent pouvoir être traitées avec les opportunités locales, qu'on accompagnera évidemment financièrement en élaborant des projets accessibles.
S'agissant de la contention et de l'isolement, un groupe de travail a oeuvré sur ce sujet durant deux ans, pour déboucher finalement sur des actions très concrètes. En premier lieu, le séminaire itinérant animé par le professeur Jean-Louis Senon et le docteur Triantafyllou a rencontré un grand succès. Ils vont au contact des équipes pour promouvoir les bonnes pratiques en matière de désescalade. Ceci permet d'éviter les soins sans consentement et le recours à la contention ou à l'isolement.
L'énoncé des bonnes pratiques et leur diffusion sont des points extrêmement importants. Ces mesures sont aujourd'hui intégrées dans les pratiques. Nous sommes soutenus sur ce sujet par les usagers.
Par ailleurs, il a été décidé d'élargir le spectre d'action de l'observatoire chargé du suivi de ces pratiques et de lui confier celui du droit des patients. Les arbitrages financiers auront lieu prochainement. Cette démarche devrait se construire à partir du printemps 2020, avec une équipe dédiée.
L'Académie nationale de médecine nous a récemment interpellés par le biais d'un rapport qui vient enrichir le constat alarmant sur la situation de la psychiatrie. Je salue le travail de l'Académie nationale de médecine, qui témoigne de cette prise de conscience. C'est un élément très important pour que les changements sociétaux qui doivent accompagner ces réformes puissent s'opérer.
Quant à la notion de guérison, il faut relire Canguilhem et se rappeler qu'en médecine, cette notion est souvent une chimère. Dans le cas de la fracture du fémur, on peut éventuellement parler de guérison, bien qu'il s'agisse le plus souvent d'une consolidation. Canguilhem nous dit qu'il n'y a pas d'innocence biologique. Même s'il n'y a plus de trace de cette fracture, elle a quand même eu lieu. Cette notion de guérison est donc à manier avec précaution pour 99 % des morbidités que nous avons à traiter.
Il est sûr qu'il existe une marge de progrès dans la politique du rétablissement portée par notre feuille de route. Les changements de concept dans la prise en charge des pathologies psychiatriques me paraissent extrêmement importants.
Quand on parle de handicap, on fait souvent référence à des difficultés fixées. Dans le cas particulier des handicaps psychiques, c'est plutôt le contraire : les données scientifiques établissent aujourd'hui que ces handicaps psychiques sont mobilisables. Cette offre reformulée, qui vise au rétablissement, comporte précisément la remobilisation des déficits cognitifs, dont on sait qu'ils peuvent être améliorés grâce à des outils spécifiques,
Vous avez fait allusion à la mobilisation des soignants. Là encore, je voudrais insister sur la conduite du changement. Nous sommes dans une situation où tout le monde va mal. Les patients se plaignent d'une offre de soins qui n'est pas à la hauteur de leurs attentes, et les soignants ne vont globalement pas bien non plus, puisqu'ils ne se retrouvent pas forcément dans le modèle de soins qu'ils portent. Cette mobilisation du monde soignant me paraît un élément supplémentaire dans la prise de conscience. Je pense que ceci va crédibiliser la démarche de changement qui est engagée.
La grève de la faim que vous avez évoquée n'est pas comparable, selon les informations dont je dispose, à la grève que nous connaissons actuellement. Sur les trente postes demandés, vingt ont été pourvus. Le désaccord actuel porte sur le projet tel qu'il avait été décidé initialement, et qui tarde à aboutir.
La suroccupation des lits, le recours inadéquat à des médicaments, à l'isolement et à la contention viennent du manque de ressources. C'est tout le contenu de la politique de développement de l'offre ambulatoire, qui vise principalement à protéger les urgences et les unités d'hospitalisation afin que celles-ci deviennent un mode de recours accessoire.
Vous m'avez interpellé sur les débats théoriques qui opposeraient certaines approches à d'autres. C'est là un effet générationnel qui s'opère de manière intéressante. Je n'ai pas l'impression que ce soit aujourd'hui un élément de blocage. On a plutôt une démarche très intégrative, plurielle. Il n'existe pas de dogmatisme dans cette feuille de route. On soutient au contraire l'importation des données de la science, qui nous informe de ce qui fonctionne le mieux dans telle et telle situation. Il s'agit d'une incitation forte à déployer ces outils et à faire en sorte que les équipes se forment à la reformulation de l'offre de soins, dans le cadre de ce que j'appellerais une actualisation.
Là encore, les usagers, qui lisent la littérature, nous guident dans la formulation de ces orientations. Ce ne sont plus les experts, les psychiatres, les professeurs d'université qui disent comment faire, mais les usagers qui prennent connaissance des données de la science. La promotion de la réhabilitation psychosociale s'est faite ainsi sous l'influence des communautés d'usagers. C'est en cela, selon moi, que la voix des patients est extrêmement structurante pour notre action.
Les IPA sont une des réponses, bien que modeste, à la promotion des carrières en psychiatrie. Je pense que la communauté soignante appelle de ses voeux une réflexion complémentaire sur la reconnaissance des spécificités du soin en psychiatrie. Il faudra l'entendre. Les modalités ne sont pas inscrites dans cette feuille de route, au-delà de la démarche de promotion des IPA, mais celle-ci n'est pas figée. J'ai entendu cette demande de revalorisation très tôt après mon installation. Je ne puis vous dire comment nous allons faire, mais ceci fait partie des valeurs que je porte.
Quant à la fusion des CMP, il s'agit d'une question compliquée à l'échelle d'un territoire. Il n'y a pas que l'efficience financière qui compte. La finalité de beaucoup de regroupements était de réaliser des économies. On n'est pas dans cette démarche. En revanche, une coopération dans une complémentarité d'offres peut présider au regroupement de structures. Dans le cas que vous citez, peut-être le regroupement a-t-il été provoqué par la proximité des lieux de vie des usagers.
Les personnes placées sous main de justice constituent un vaste sujet, partagé avec le ministère de la justice. Certaines spécificités sont propres aux soins psychiques.
En premier lieu, il ne faut pas que la question de la santé mentale des personnes placées sous main de justice soit dissociée de celle de la santé. C'est un levier extrêmement important pour la promotion de la santé. Les malades mentaux préoccupent beaucoup le ministère de la justice, car ce sont eux qui posent problème en détention.
La situation sanitaire de ces populations est extrêmement préoccupante, à d'autres titres. Le renforcement de l'offre de soins ne suit pas la conjoncture, et nous avons en détention ou en préventive des pourcentages croissants de personnes atteintes de pathologies psychiatriques. Ce phénomène est lié à plusieurs facteurs. Le premier est la tendance qui existe à judiciariser les auteurs de troubles même lorsqu'ils sont atteints d'une pathologie psychiatrique.
Par ailleurs, le filtre de la garde à vue, qui permettait que l'instruction passe après les soins, est beaucoup moins présent aujourd'hui. Nous avons donc des contingents numériquement croissants de patients en prison avec une pathologie psychiatrique souvent décompensée. L'offre de soins que nous avons à mettre en face a du mal à s'adapter à cette augmentation très significative.
Une première tranche d'unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) a été mise en place. Les arbitrages concernant la deuxième tranche devraient être connus prochainement, en coopération avec le ministère de la justice, et permettre de trouver d'autres réponses, comme les unités de soins intensifs psychiatriques polyvalentes de Paul Guiraud, en région parisienne, qui apportent une réponse plus adaptée. Cette préoccupation est partagée avec le ministère de la justice.
Vous avez fait allusion aux soins résidentiels des personnes chroniquement handicapées. Deux sujets doivent être traités différemment, le stock et le flux. Concernant le flux, l'objectif de cette feuille de route est de prévenir le plus possible le recours aux soins résidentiels chroniques. Ce n'est pas pour autant qu'on va éteindre le besoin de soins résidentiels dans des pathologies lourdement et chroniquement handicapantes.
Dans le stock, nous avons aujourd'hui des patients institutionnalisés. On ne va les désinstitutionnaliser par un coup de baguette magique. En même temps, il nous faut continuer à les accompagner. Ceci rejoint le sujet du recours aux structures belges que nous devons traiter.