Nous poursuivons notre travail sur l'emploi des seniors avec la remise de nos conclusions pour lesquelles nous attendions la publication du rapport du Haut-commissaire à la réforme des retraites. Depuis notre rapport d'étape de juillet dernier, l'intérêt pour le sujet ne s'est pas démenti.
Le jeudi 12 septembre, dans son discours sur la réforme des retraites, le Premier ministre a fait de la mobilisation des employeurs pour le travail des seniors une condition primordiale à la réussite de la réforme. Il a ainsi confié une mission à trois experts censée alimenter le futur « grand plan » sur l'emploi des seniors annoncé dans son discours de politique générale de juin dernier.
Je salue la prise de conscience de l'importance de ce sujet au sommet de l'État. Je constate néanmoins que les rapports et les propositions en la matière sont déjà très nombreux et la remise de nos conclusions ce matin va contribuer à nourrir un débat déjà largement engagé. Plutôt que d'installer une nouvelle mission, le Gouvernement aurait pu nous exposer sa vision du problème et les solutions envisagées en vue de la réforme des retraites.
C'est précisément ce que nous faisons, avec Monique Lubin, dans le rapport que vous nous avez confié avec pour mission d'éclairer les conséquences d'une nouvelle augmentation de l'âge de départ à la retraite.
Si nous vous avons présenté à deux voix, en juillet dernier, le diagnostic et les facteurs explicatifs de la situation des seniors sur le marché du travail, notre différence d'approche du problème nous conduit à vous faire part de nos recommandations, pourtant communes, de façon séparée.
Je rappelle les trois points de diagnostic que nous partageons :
- premier élément : la France se distingue par un taux d'emploi des 60-64 ans particulièrement faible, 33 % contre 47 % en moyenne dans l'UE ou 60 % en Allemagne ;
- ensuite, un retraité sur deux a connu une période d'inactivité ou de chômage avant de liquider sa retraite ;
- enfin, si le taux de chômage des seniors est en moyenne plus faible que celui du reste de la population active, environ 7 % pour les 55-64 ans contre plus de 8 % en moyenne, la perte d'emploi pour un actif de plus de 50 ans est souvent irrémédiable et le condamne à un chômage de longue durée ou un passage par l'inactivité subie.
Cette situation résulte de trente ans de politiques ayant conduit à écarter les travailleurs de plus de 55 ans du marché du travail en réponse à la montée du chômage.
J'ai longuement exposé en juillet la responsabilité des règles de l'assurance vieillesse : l'abaissement de l'âge du taux plein à 60 ans, en 1982, a sacralisé ce seuil d'âge qui correspond encore à un totem dans l'esprit de beaucoup.
Malgré les réformes des retraites et la poursuite de l'augmentation de l'espérance de vie, il n'est toujours pas possible d'aborder sereinement dans notre pays le recul de l'âge de la retraite. C'est pourtant cet âge qui explique la faiblesse du taux d'emploi des 60-64 ans et c'est par lui que nous réussirons à impulser une dynamique et une culture du travail pour les plus de 60 ans.
De même, notre mission m'a fait prendre conscience du rôle déterminant qu'ont joué les dispositifs de cessation anticipée d'activité au premier rang desquels les préretraites. Si ces dernières sont désormais abrogées, l'impact du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue demeure conséquent.
Il concerne depuis 2012 une personne sur quatre partant à la retraite (soit entre 250 et 300 000 personnes par an), pour un coût de plus de 6 milliards d'euros par an. S'il me paraît juste d'autoriser les actifs ayant commencé à travailler tôt à devancer l'âge légal de départ à la retraite, je pense que l'élargissement du dispositif « Retraite anticipée pour carrière longue » (RACL) en 2012 a été déraisonnable.
Comment justifier en effet qu'un tiers des personnes retraitées cumulant leur pension et les revenus d'une activité professionnelle bénéficient ou ont bénéficié du dispositif RACL ?
Dans son rapport, le Haut-commissaire souhaite maintenir les critères pour le bénéfice de ce dispositif en autorisant un départ dès 60 ans. Même si le nombre de personnes concernées va décroître, il conviendra de bien en mesurer les effets voire de revenir aux règles qui prévalaient avant 2012 et qui me paraissaient équilibrées.
Sur le marché du travail, le rapport montre bien l'échec de tous les dispositifs spécifiques aux seniors. De la contribution « Delalande » aux contrats de génération, ces mesures ont contribué à stigmatiser les actifs les plus âgés et ont eu des effets contreproductifs au point qu'ils ont même freiné les recrutements.
Nous pensons, et nous sommes d'accord sur ce point, qu'il faut changer de paradigme en considérant les travailleurs âgés comme les autres.
Les propositions visant à instaurer un « bonus-malus » sur les cotisations d'assurance chômage des plus de 55 ans ou de créer de nouveaux contrats de travail seniors me paraissent devoir être écartées.
En clair, le dispositif miracle n'existe pas et les réponses apportées par les pouvoirs publics ne peuvent qu'être modestes. En revanche, nous devons faire de l'emploi des seniors une grande cause nationale autour de laquelle doivent s'articuler non seulement les réformes des retraites, de l'assurance chômage et du marché du travail mais aussi la stratégie de gestion des ressources humaines de toutes les entreprises.
Nous formulons une vingtaine de propositions visant à penser, anticiper et préparer la seconde moitié de la carrière qui débute autour de 45 ans. Cette nécessité doit être partagée par tous les managers mais aussi les salariés et être intégrée dès le début de la vie active voire de la formation. Nous devons réussir à penser le temps long d'une carrière dont la durée pourra désormais dépasser 45 ans.
Le recul de l'âge de la retraite est engagé et me parait inéluctable au regard de l'augmentation de l'espérance de vie qui allonge la durée de vie passée à la retraite et pose un défi au financement des retraites.
C'est pourquoi je regrette la confusion régnant au sein du Gouvernement depuis plus d'un an par refus d'aborder frontalement la question du recul de l'âge de la retraite.
Il s'agit pourtant du seul levier actionnable pour atteindre l'équilibre financier du système. Certes, j'ai conscience des effets de report existant entre la baisse des dépenses de retraite et l'augmentation de certaines autres prestations sociales (chômage, pensions d'invalidité, arrêts maladie...).
Mais ces reports sont loin d'effacer l'efficacité de la mesure tant au niveau des finances publiques - la réforme des retraites de 2010 a permis une économie de plus de 20 milliards d'euros - que de la conjoncture économique. Reculer l'âge de la retraite surtout dans une période économiquement porteuse, c'est augmenter l'emploi et donc la croissance économique, à raison de 0,7 point de PIB par année supplémentaire de recul de l'âge de la retraite, d'après la direction du Trésor.
Il faut que nous réussissions à enclencher ce cercle vertueux et nos propositions, que Monique Lubin va préciser, doivent conduire à maintenir les actifs seniors en emploi.
J'évoquerai les deux propositions que nous formulons dans le domaine de la retraite et qui rejoignent les positions du Haut-commissaire évoquées dans son rapport de juillet.
La première concerne un dispositif encore trop méconnu : la retraite progressive. Elle permet au salarié, deux ans avant l'âge de son départ à la retraite, de demander un temps partiel, la perte de salaire étant compensée par la liquidation d'une partie des droits à la retraite. Nous proposons de l'étendre à l'ensemble des actifs, en particulier aux fonctionnaires et aux salariés au forfait qui ne peuvent y prétendre actuellement.
Je considère que ce dispositif doit participer d'une plus grande fluidité entre la vie professionnelle et la retraite et qu'il convient d'en faire un outil de transition favorisant l'emploi des seniors le plus longtemps possible.
Je propose également, sans l'appui de ma collègue, de renforcer l'attractivité du cumul emploi-retraite en rendant créatrices de droits les cotisations versées par les retraités-actifs.
Ce n'est pas le cas aujourd'hui et ces cotisations représentent une recette de solidarité d'environ 850 millions d'euros pour le régime général et l'Agirc-Arrco. Cette dépense supplémentaire me paraît indispensable et juste pour promouvoir ce dispositif et favoriser des retraités qui souhaitent se maintenir en activité.
Enfin, s'agissant des demandeurs d'emploi âgés, nous suggérons que la négociation de la prochaine convention Unédic soit l'occasion de définir des règles pour trouver un équilibre entre protection des demandeurs d'emploi et incitation au maintien ou au retour à l'emploi.
Les règles actuelles engendrent des effets induits qu'il convient de corriger.
Miser sur les seniors, anticiper et prévenir leur perte d'employabilité, diffuser une culture du travail au-delà de 60 ans, tels sont les défis soulevés par cette problématique de l'emploi des seniors.
Nos propositions recoupent en partie celles déjà avancées dans le débat public. Le temps est donc désormais à la mobilisation de tous pour faire de l'allongement de la durée d'activité une opportunité pour notre pays.