Intervention de Monique Lubin

Commission des affaires sociales — Réunion du 25 septembre 2019 à 9h35
Emploi des seniors — Examen du rapport d'information

Photo de Monique LubinMonique Lubin, rapporteure :

Je n'insisterai pas sur les différences que je peux avoir avec mon collègue René-Paul Savary et qui portent sur la vision que nous avons de la réforme des retraites. Je ne partage évidemment pas sa position sur le dispositif RACL. Néanmoins, au fil de nos auditions, nous avons réussi à aboutir sur un constat et des propositions communs.

Un mot en préambule sur ce terme de « seniors » que je récuse lorsque l'on parle d'actifs. Évoquons plutôt les problématiques de fin de carrière, de transition emploi-retraite ou même de formation ou de chômage tout au long de la vie mais réservons le terme de « senior » pour les troisième et quatrième âges !

René-Paul Savary a raison lorsqu'il dit que les actifs « seniors » sont des travailleurs comme les autres. Inutile de les appeler différemment.

Ce n'est pas qu'une question de sémantique mais bien de représentation tant auprès des employeurs que des actifs eux-mêmes. Le rapport, mal nommé, du Conseil économique, social et environnemental sur l'emploi des seniors a particulièrement insisté sur la nécessité de lutter contre les stéréotypes. Je pense que ce combat commence par celui des mots et bannir, autant que faire se peut, l'usage de « senior » me paraît pertinent.

Ce qui me paraît important de rappeler, dans la perspective de l'allongement de la durée de carrière, c'est qu'une personne sur deux à la retraite a connu une période d'inactivité ou de chômage avant de faire valoir ses droits.

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a bien indiqué que l'effet de la réforme de 2010 a été de figer les situations atteintes à l'approche de la soixantaine (emploi, chômage, inactivité) dans l'attente du nouvel âge de départ à la retraite.

Le décalage de l'âge de la retraite n'entraîne donc pas une hausse du taux d'emploi de même ampleur et il faut donc être précautionneux en la matière car les conséquences sociales sont évidemment lourdes : les actifs occupés restent occupés mais les chômeurs ne retrouvent pas plus de travail pour autant.

Voilà résumée notre divergence d'approche avec René-Paul Savary. Elle ne nous empêche pas pour autant de partager tant le diagnostic que les recommandations pour favoriser le maintien ou le retour à l'emploi des travailleurs approchant l'âge de la retraite.

Lors de nos auditions, nous avons tous les deux été désolés d'entendre que l'âge à partir duquel les salariés sont renvoyés à leur séniorité et disent ressentir leurs premières difficultés dans les entreprises est de 45 ans, âge qui correspond bien souvent à la moitié de la vie active.

Il faut donc effectivement réussir à anticiper et préparer la seconde moitié de carrière afin d'éviter la perte d'emploi. Nous formulons pour ce faire une série de propositions.

Une partie d'entre elles renvoient à la négociation.

La mobilisation doit d'abord être celle des employeurs. La seconde moitié de carrière doit faire l'objet d'une réflexion au niveau de la branche et des entreprises et être intégrée explicitement dans la liste des négociations annuelles obligatoires.

Au niveau interprofessionnel, un accord avait déjà été signé en 2005 mais il relevait plus de la déclaration de principe que du guide d'actions à mettre en oeuvre. La ministre Muriel Pénicaud a annoncé le 19 juin que l'emploi des seniors ferait l'objet d'une nouvelle concertation sans apporter plus de précisions.

Les partenaires sociaux vont devoir être imaginatifs ! La tâche est rude et nos auditions nous l'ont bien montré.

Ces négociations vont donc devoir aboutir sur une meilleure prise en compte du risque de désinsertion professionnelle qui passe par une meilleure prévention de la pénibilité et de l'usure au travail mais également de la nécessité de maintenir par tous les moyens l'employabilité de salariés avançant dans l'âge.

Sur la prévention de la pénibilité, le dispositif du compte personnel de prévention (C2P) existe déjà et doit permettre d'envisager des transitions vers des postes moins exposés. Au-delà des six facteurs de pénibilité couverts par le C2P, nous pensons que le suivi par les employeurs de toutes les sources d'usure doit se renforcer. Les PME et TPE devront être accompagnées en la matière et c'est tout l'objet des accords de branche.

Le maintien de l'employabilité des salariés passe par un effort constant de formation et un dialogue permanent sur les besoins et les envies des salariés d'évoluer professionnellement.

Nous avons conscience que ces préconisations sont formulées dans des termes généraux mais il relève bien de la responsabilité de chaque entreprise et même de chaque salarié de s'engager dans une démarche d'employabilité durable.

Certaines initiatives très concrètes méritent toutefois d'être saluées. Il en est ainsi de la création de labels permettant de distinguer les entreprises « inclusives » en matière d'emploi des travailleurs plus âgés.

J'ai d'ailleurs lu avec intérêt la proposition récente de l'association nationale des directeurs des ressources humaines tendant à transposer pour l'emploi des seniors l'index par entreprise prévu en matière d'égalité professionnelle femmes-hommes et qui est en cours de déploiement.

La logique de discrimination positive déployée dans le domaine de l'égalité femmes-hommes peut être appliquée à la question des fins de carrière. Ces labels permettent de valoriser les bonnes pratiques en matière de recrutement ou de participation des travailleurs âgés au sein des entreprises engagées. Ils constituent des repères pour les chercheurs d'emploi et peuvent aider à la diffusion de ces bonnes pratiques.

Nous formulons également plusieurs propositions relatives à l'entretien professionnel qui doit devenir un moment d'échange permettant d'anticiper la seconde moitié de carrière. Au cours de cet entretien, obligatoire tous les deux ans, certains outils comme le conseil en évolution professionnelle ou le bilan de compétences pourraient être présentés et promus auprès des salariés.

Enfin, je crois beaucoup à la nécessité de renforcer la formation des managers et des gestionnaires RH pour mieux prendre en compte le phénomène de vieillissement de la population active. Cet aspect n'est pas du tout abordé actuellement et les jeunes managers fraîchement émoulus ont tendance à privilégier des profils qui leur ressemblent.

S'agissant des travailleurs âgés se retrouvant au chômage, nous considérons à ce stade que la meilleure solution reste la prévention du licenciement.

L'accompagnement spécifique des demandeurs d'emploi âgés pourra également être renforcé. Nous renvoyons aussi à la négociation pour en fixer les conditions mais le service public de l'emploi doit apporter une réponse dédiée aux seniors.

Cela pourrait passer à mon sens, et je le dis à titre personnel, par la création de structures spécifiques sur le modèle des missions locales.

L'effort de formation professionnelle sur les plus de 45 ans doit être renforcé. Cela peut passer par la mobilisation des crédits du plan d'investissement dans les compétences déployé par le Gouvernement. Il met l'accent sur certains publics éloignés de l'emploi mais ne prévoit pas d'action spécifique envers les demandeurs d'emploi âgés. C'est à notre sens une lacune et il serait souhaitable qu'il y soit remédié.

Enfin, le rôle de la médecine du travail dans la prévention de la désinsertion professionnelle est essentiel et mériterait d'être revalorisé. Le rapport de nos collègues Pascale Gruny et Stéphane Artano présenté la semaine prochaine abordera plus en détails ce sujet.

Tels sont les axes de notre réflexion sur cette question complexe des fins de carrière dans un contexte d'allongement de la durée d'activité.

Ces propositions rejoignent bon nombre de celles déjà formulées dans différents rapports.

Nous souhaitons en tous cas avec ce rapport contribuer à faire de la question des fins de carrière et de la transition emploi-retraite une cause nationale qui doit guider désormais toutes les autres réformes.

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