Avant de vous présenter les conclusions de mon contrôle, j'aimerais rendre hommage à l'ensemble des acteurs mobilisés la lutte contre les feux de forêts, et plus particulièrement à nos sapeurs-pompiers et nos pilotes de l'aviation de la sécurité civile. Cet été, l'un de ces pilotes a perdu la vie en luttant contre les flammes. Cet accident tragique nous rappelle l'immense sacrifice que sont prêts à payer nos soldats du feu, contre un risque qui ne faiblit pas.
Les feux de forêts représentent en effet une menace d'envergure, particulièrement en France, quatrième pays le plus boisé de l'Union européenne. Un tiers de nos forêts sont ainsi classées sensibles au risque d'incendie. Bien entendu, ce risque va au-delà de la forêt même puisqu'au travers d'elle, ce sont des vies humaines, des infrastructures, et l'ensemble de l'écosystème forestier qui sont menacés.
Certes, la surface des forêts brûlées en France a significativement diminué, de 46 000 hectares en moyenne annuelle ces quarante dernières années à 11 800 hectares au cours de la dernière décennie, ce qui reste tout de même supérieur à la surface de Paris.
Certes, la France semble s'en tirer mieux que ses voisins européens, si l'on compare sa situation à celle de la Grèce, de l'Italie ou du Portugal, où les incendies peuvent dépasser les 100 000 hectares.
Pour autant, l'acuité du risque d'incendie en France ne doit pas être relativisée. Le bilan de cet été, avec 17 000 hectares brûlés, est ainsi nettement supérieur à la moyenne des dix dernières années.
Face à ce risque, le coût de notre système de prévention et de lutte s'élève à plus de 500 millions d'euros, d'après les rapports des dernières missions interministérielles. Ce montant doit cependant être considéré avec beaucoup de précautions, car il s'agit d'estimations très indicatives, faute d'agrégation fine des dépenses engagées par les multiples acteurs impliqués et du développement de la comptabilité analytique, notamment au niveau local. De même, la connaissance des coûts des dommages causés par les feux de forêt est loin d'être acquise, alors qu'elle permettrait d'améliorer la mesure de la performance de notre dispositif.
Un travail sur l'amélioration de l'information financière doit donc être engagé, au travers de l'élaboration d'outils et de méthodes d'évaluation associées à une remontée des données au niveau interministériel.
L'évaluation des moyens consacrés à la lutte contre les feux de forêt ne pouvait faire l'économie d'observations sur le dispositif de prévention. En effet, de la prévision réalisée par Météo France à l'intervention d'un avion bombardier d'eau sur une zone incendiée, la protection de nos forêts contre les incendies s'exerce dans un continuum cohérent d'opérations, assurées par de multiples acteurs.
Dans le cadre d'une subsidiarité bien encadrée, l'État, les collectivités territoriales, les propriétaires forestiers et les citoyens eux-mêmes concourent ainsi à la prévention, au travers de la prévision du risque, de la surveillance régulière des forêts et de l'aménagement du territoire. À ce titre, la réalisation d'équipements de défense des forêts contre les incendies (DFCI) se montre particulièrement efficace, de même que le débroussaillement. Pour les propriétaires de constructions dans les zones à risque, le débroussaillement est même une obligation légale, dont le respect est hélas encore insuffisant, avec un taux d'application allant de 30 à 50 % en 2016. Il faut donc encourager les maires, chargés de contrôler l'application de cette obligation, dans leurs efforts de sensibilisation à l'importance du débroussaillement dans leur commune.
J'en viens à présent aux moyens de lutte qui sont, pour l'essentiel, sous la responsabilité des intervenants de la sécurité civile. Ceux-ci s'appuient sur une doctrine d'intervention visant à concentrer les moyens terrestres et aériens sur l'attaque rapide des feux naissants. L'efficacité de cette doctrine a été unanimement rappelée par les différentes personnes entendues.
La lutte terrestre est organisée au premier chef par les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Pour ces derniers, si cette lutte ne représente qu'entre 2 % et 5 % de leur activité globale, elle s'avère extrêmement mobilisante : une heure d'intervention nécessite ainsi une moyenne de 21 sapeurs-pompiers, tandis que les autres incendies ou les secours à victime mobilisent respectivement 13,5 et 2,9 sapeurs-pompiers par heure.
Lorsque l'ampleur des incendies dépasse les capacités d'intervention d'un département, la direction générale de la sécurité civile et de gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur prend en charge l'intervention de renforts terrestres. Le préfet de zone de défense et de sécurité fait alors appel aux SDIS des autres départements, aux sapeurs-sauveteurs des formations militaires de la sécurité civile, voire à certains détachements du ministère des armées.
Surtout, la DGSCGC est responsable de la flotte de la sécurité civile, laquelle concentre l'essentiel des crédits affectés à la lutte contre les feux de forêt, avec un montant moyen de 86 millions d'euros ces deux dernières années. Si ce montant peut sembler très élevé, il a peu varié depuis dix ans. L'évolution des dépenses aéronautiques semble dès lors maîtrisée, alors que le secteur est concerné par de fortes variations des coûts, notamment ceux du maintien en condition opérationnelle (MCO).
L'acquisition de six avions, de type Dash, à l'horizon 2023 rend compte de cet effort d'optimisation des moyens de la sécurité civile. Les Dash sont des avions multi-rôles qui remplaceront les Tracker, dont le vieillissement génère des surcoûts de maintenance. Par ailleurs, les Dash pourront participer à d'autres missions hors saison des feux, notamment en matière de transport d'urgence.
Surtout, ces avions multi-rôles vont renforcer la stratégie de lutte aérienne propre à notre pays : le guet aérien armé (GAAr).
Associant simultanément la prévention à l'intervention, le GAAr permet une action rapide, avec le survol des zones vulnérables par des avions chargés de produits retardant ou d'eau. La mise en oeuvre continuelle de cette stratégie depuis la fin des années 1980 n'est pas étrangère à la résorption des surfaces brûlées au cours des dernières décennies.
Si elle me semble avérée, la performance de ce GAAr doit être garantie à court terme. D'une part, le réseau de stations de ravitaillement, appelées les « pélicandromes », doit être adapté à la plus grande couverture du territoire permise par les Dash. D'autre part, le maintien de pilotes qualifiés au sein de la sécurité civile s'avère indispensable. Cependant, l'attractivité et la fidélisation du personnel du groupement d'avions tendent à décliner, notamment face à la concurrence du secteur commercial. Cette difficulté doit faire l'objet d'une réflexion particulière au sein de la DGSCGC.
À moyen terme, j'estime que notre dispositif de lutte doit être renforcé pour faire face à une aggravation du risque de feux de forêts.
Cette aggravation s'explique d'abord par un phénomène de déprise agricole, qui se réalise au profit d'une augmentation non contrôlée des espaces boisés, lesquels deviennent de véritables viviers de départs de feux. Notre territoire devient aussi plus vulnérable sous l'effet d'une urbanisation croissante dans le milieu forestier, particulièrement dans la zone méditerranéenne.
En outre, il est admis que le réchauffement climatique provoquera en France une extension géographique et chronologique du risque d'incendie, tout en favorisant l'émergence de feux de plus en plus intenses. Selon les prévisions, plus de la moitié de nos forêts seront classées à risque d'ici à 2060, contre un tiers aujourd'hui. La multiplication des départs de feux dans des départements de la moitié nord du pays confirme hélas cette tendance.
Si l'acquisition des Dash est une réponse satisfaisante face à cette aggravation du risque, une attention toute particulière doit être portée aux moyens terrestres, et notamment ceux des SDIS hors des zones habituellement touchées par les feux de forêt. Ces derniers risquent de ne pas être suffisamment équipés alors que les dépenses d'investissement ont nettement diminué ces dernières années pour l'ensemble des SDIS. Je propose donc qu'un accompagnement de l'État soit envisagé au travers de la dotation de soutien aux investissements structurants des SDIS, afin de favoriser leurs projets d'investissement en matière de lutte contre les feux de forêt.
Deux inquiétudes planent également sur la flotte, indépendamment du réchauffement climatique. En premier lieu, la livraison progressive des nouveaux Dash me paraît trop tardive, au regard de la surutilisation actuelle de nos avions et de la perte d'un Tracker cette année. Une accélération de la livraison des nouveaux avions serait bienvenue afin de se prémunir de tout risque de rupture capacitaire dans les prochaines années.
Par ailleurs, le vieillissement de nos Canadair entraîne de lourdes conséquences sur leur disponibilité et leurs coûts de maintenance. Alors qu'un retrait des Canadair les plus âgés est prévu à partir de 2025-2030, deux options sont envisagées à ce jour pour garantir l'avenir de la flotte : la première consiste à moderniser la flotte actuelle, la seconde à la remplacer par de nouveaux avions amphibies.
La première option nécessite la réalisation d'un bilan coût-avantages précis sur l'opportunité de prolonger l'utilisation des Canadair, puisqu'en cas de surcoûts manifestes, la seconde option d'une commande de nouveaux avions sera considérée. Cependant, le projet d'une telle commande s'avère compliqué, le marché d'avions bombardiers d'eau étant caractérisé par une offre et une demande très réduites.
Un industriel canadien envisage de relancer la production de nouveaux Canadair, mais requiert pour cela la commande d'une vingtaine d'aéronefs, un seuil qui excède largement nos besoins. Un projet d'appel d'offres européen est donc à l'étude depuis 2016 afin d'atteindre ce seuil. Il me semble urgent que ce projet se concrétise : les négociations avec les autres pays européens doivent s'accélérer.
Cette commande commune pourrait enfin aboutir au projet d'une flotte européenne, envisagée dans le cadre du mécanisme européen de protection civile. La France joue déjà un rôle moteur dans ce mécanisme ; elle en est même le premier contributeur devant l'Allemagne. Ses moyens et son expertise dans la lutte contre les feux sont très souvent sollicités, comme le prouve notre engagement en Suède l'an dernier et en Bolivie cette année.
Notre pays pourrait tirer profit de cette position dans le mécanisme européen de protection civile. Ce dernier vient justement d'être réformé dans un sens qui nous est sans doute plus favorable. En effet, au travers de la mise en place d'une réserve européenne de protection civile, la Commission européenne pourra financer jusqu'à 90 % l'acquisition d'avions pour le compte de la France, avec la contrepartie que ces avions puissent être déployés dans un autre pays à sa demande.
Si l'intérêt financier de ce projet de flotte européenne est réel, il faudra évidemment veiller à ce qu'il ne se fasse pas au détriment des besoins nationaux.
En définitive, mes chers collègues, face à l'aggravation évidente du risque de feux de forêt, il me paraît indispensable de garantir l'avenir des moyens de lutte dont nous disposons. Si leurs coûts peuvent sembler élevés, malgré leur optimisation, n'oublions pas de les mettre en perspective avec la protection des vies humaines, des constructions et de l'écosystème assurée par le dispositif de lutte. La mise en place d'un indicateur valorisant les résultats obtenus par ce dispositif, en termes d'espaces forestiers préservés ou d'habitations sauvées par exemple, est d'ailleurs à l'étude. Je ne peux qu'encourager une telle démarche qui complèterait utilement les indicateurs actuels de performance.