Monsieur le président, Monsieur le rapporteur général, Chers collègues, notre contrôle porte sur l'inspection du travail. Nous avons fait l'effort de présenter ce contrôle à deux voix, avec Sophie Taillé-Polian, mais avec des propositions communes, ce qui a impliqué la recherche d'un consensus.
L'inspection du travail a été créée à la fin du XIXème siècle. Elle connaît depuis plus de dix ans une série de réformes qui ont affecté tour à tour son champ d'intervention, ses moyens de sanction, ses structures et son recrutement. La dernière en date, lancée en juin 2019 par le gouvernement actuel, vise désormais son organisation territoriale.
Ces réformes interviennent dans un contexte marqué par l'émergence de nouvelles formes d'activité, à l'image du travail détaché, du développement de l'auto-entreprenariat ou de l'apparition des travailleurs de plateforme. Elles s'inscrivent également dans le cadre d'une révision régulière du code du travail.
Je rappellerai, tout d'abord, quelques généralités.
Rattachée au ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, l'inspection du travail est assurée par 3 535 agents dont 2 347 agents de contrôle proprement dits : inspecteurs et contrôleurs du travail. Le service de l'inspection du travail représente donc 35 % des effectifs de la mission « Travail et emploi », dont les dépenses de personnel s'élevaient à 611,1 millions d'euros en 2018.
Créée par décret en 2006, la direction générale du travail (DGT) constitue « l'autorité centrale » du système d'inspection du travail.
La compétence de l'inspection du travail s'étend à l'ensemble des entreprises du secteur privé. Elle inspecte également les anciens établissements publics, régies ou sociétés nationales (Pôle emploi, La Poste, SNCF, RFF, RATP). L'inspection du travail couvre, dans ces conditions, l'activité de 18,65 millions de salariés, dont 73 % relèvent du secteur tertiaire.
Les pouvoirs de l'inspection ont été renforcés ces dernières années, avec l'introduction de sanctions administratives financières dans certains domaines et l'extension des arrêts de travaux sur certains risques graves. Le panel de sanction est, de fait, assez large, de la simple lettre d'observation adressée à une entreprise à la suspension du contrat de travail, la saisine du juge ou l'amende. Le montant total des amendes dressées hors secteur du BTP s'est élevé à 4,6 millions d'euros en 2018.
279 600 interventions ont été menées en 2018, 216 420 suites étant données à celles-ci.
Le mode de fonctionnement de l'inspection du travail est encadré par l'Organisation internationale du travail. La France est en effet partie à la convention n° 81 de l'OIT, ratifiée en 1950. Elle est tenue de respecter, dans ces conditions, plusieurs principes : les agents de contrôle doivent bénéficier d'un certain nombre de garanties, en matière de stabilité d'emploi et d'indépendance et leur nombre doit être suffisant pour permettre l'exercice efficace des missions.
Parallèlement, le Conseil national de l'inspection du Travail (CNIT), créé par décret en 2007, a pour rôle de veiller à ce que les missions des agents de contrôle soient exercées dans les conditions définies par les conventions de l'Organisation internationale du travail.
Abordons maintenant les réformes engagées depuis 2006.
Un premier plan de modernisation de l'inspection du travail (PMDIT) a été déployé entre 2006 et 2010. Il a abouti notamment à la création de la direction générale du travail et la mise en place de sections regroupant plusieurs inspecteurs du travail (« sections renforts »). Il a été complété en 2009 par la création des DIRECCTE et la mise en place des pôles « travail ».
Engagée en 2012, la réforme « Ministère fort » a, quant à elle, débouché sur une nouvelle organisation territoriale du système d'inspection du travail. Elle est effective depuis janvier 2015 sur l'ensemble du territoire.
La réforme permet la mise en place d'unités de contrôle (UC) (226 en 2018), regroupant 8 à 12 agents de contrôle sur un territoire donné, placés sous l'autorité d'un responsable d'unité de contrôle (RUC). Chaque agent de contrôle est, au sein des UC, affecté à une section, qui correspond à une portion de territoire ou à un secteur (agriculture ou transports). Les UC sont rattachées au pôle travail (pôle T) de la DIRECCTE. Les UC sont coordonnées au niveau départemental au sein des unités départementales des DIRECCTE, au nombre de 101.
Les UC peuvent disposer d'une compétence infra-départementale (53 départements métropolitains disposent de plusieurs UC), départementale (44 départements disposent d'une seule UC) ou interdépartementale (par exemple l'UC des aéroports de Roissy et Orly et l'UC interdépartementale « couloir de la chimie » qui couvre les départements de l'Isère et du Rhône).
Les unités de contrôle peuvent également être de dimension régionale ou interrégionale. Il existe ainsi 18 unités régionales d'appui et de contrôle, principalement dédiées à la lutte contre le travail illégal (URACTI) et des réseaux régionaux sur les risques particuliers (BTP et amiante en Nouvelle Aquitaine, les transports en Bourgogne-Franche-Comté, le projet « Grands chantiers » en Ile de France).
La dernière réforme est en cours. La circulaire du Premier ministre du 12 juin 2019 prévoit que les services départementaux de la DIRECCTE soient placés sous l'autorité directe du préfet de département, en étant intégrés dans de nouvelles structures relevant des directions départementales de l'intérieur. Les services économiques seraient ainsi rassemblés avec les services dédiés à l'inclusion sociale afin d'éviter les effets de cloisonnement et de renforcer la complémentarité des actions menées à l'échelle du département.
La question de l'incidence de la disparition des unités départementales des DIRECCTE sur les unités de contrôle départementales ou infra-départementales de l'inspection du travail qui leur étaient rattachées se pose donc. La circulaire prévoit que la ligne hiérarchique actuelle soit néanmoins respectée en ce qui concerne l'inspection du travail, sans plus de précision. Aux termes de la convention n° 81 de l'OIT, les inspecteurs du travail bénéficient d'une indépendance statutaire. Ils ne peuvent, en principe, être placés sous l'autorité des préfets dans le cadre de l'exercice de leur mission de contrôle.
À cette réforme de l'organisation, s'est ajoutée une réforme en profondeur des emplois. Les inspections du travail dédiées au secteur agricole, au travail maritime et aux transports ont fusionné en 2008 avec l'inspection du travail proprement dite.
La réforme « Ministère fort » s'est, quant à elle, principalement traduite par la suppression progressive du corps des contrôleurs du travail et par leur fusion avec celle des inspecteurs du travail. Les contrôleurs et inspecteurs exerçaient dans les faits les mêmes tâches mais à une échelle différente : les inspecteurs contrôlant les entreprises de plus de 50 salariés, les contrôleurs intervenant en dessous de ce seuil. La fusion des corps de contrôleurs et d'inspecteurs est opérée par le biais d'une requalification des contrôleurs, invités à passer un concours interne.
Le ministère du travail avait indiqué que cette réforme n'aurait pas pour effet de réduire les effectifs de contrôle de l'inspection du travail. Les données de la direction générale du travail tendent à relativiser cette analyse : on constate en effet une diminution de près de 5 % du nombre d'agents de contrôle entre 2016 et 2018, qui passe de 2 459 à 2 347. Cette baisse reste très relative puisque les effectifs augmentent par rapport à 2013 avec 2 224 agents de contrôle et à 2012 avec 2 211 agents de contrôle. Elle a néanmoins pour conséquence un relèvement du nombre de salariés par agent de contrôle. Celui-ci atteignait 9 070 salariés par agent de contrôle en 2017. Le ministère du travail fixe désormais un objectif de 10 000 salariés par agent de contrôle à l'horizon 2022.
Ce taux placerait la France au-delà de la moyenne constatée en Europe. L'OIT ne fixe pas, cependant, de norme en la matière. Insistons d'ailleurs sur un point : il n'existe pas aujourd'hui de réclamation ou de plainte à l'OIT concernant l'inspection du travail française. L'OIT n'a, par ailleurs, jamais relevé, à ce jour, de « non-conformité » à la convention. À l'inverse, l'inspection du travail française constitue, même aux yeux de l'OIT, une référence pour le modèle d'inspection du travail dite « généraliste ».
Je n'ai pour ma part pas d'inquiétude sur la baisse du nombre d'agents de contrôle. Ce d'autant plus que l'ensemble de ces réformes vise à permettre à l'inspection du travail d'être plus efficace et de répondre à de nouveaux enjeux en matière de protection des salariés. Il s'agit ainsi de mieux répondre à l'évolution même de l'organisation des entreprises. L'éloignement du centre de décision du lieu où s'effectue la prestation de travail induit une nouvelle approche de l'action de l'inspection du travail, qui doit désormais mieux fonctionner en réseau et faciliter la coordination des sections.
Des priorités sont, par ailleurs, assignées à l'inspection du travail. Elles sont au nombre de quatre en 2019 : la lutte contre la fraude au détachement de travailleurs, le combat contre le travail illégal, l'action en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes et la promotion de la sécurité et de la santé au travail.
C'est dans ce contexte que notre rapport formule une série de recommandations s'articulant autour de trois axes : adapter l'organisation de l'inspection du travail, afin, notamment, de tenir compte des disparités régionales, développer une véritable gestion des ressources humaines et mettre en oeuvre une véritable méthode de travail afin de rendre efficientes ces réformes.
Mais je vais désormais laisser la parole à Sophie Taillé-Polian pour vous détailler nos observations.