Intervention de Sophie Taillé-Polian

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 septembre 2019 à 9h45
Contrôle budgétaire — Inspection du travail - communication

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian, rapporteure spéciale :

Nous avons mené je crois un travail approfondi pour comprendre la réalité du travail des inspecteurs au regard des réformes de ces dernières années. Nos avis divergent sur l'orientation qui doit être prise en termes de nombre de postes. L'objectif assumé du ministère du travail est de les baisser mais je ne le partage pas, car je considère que la protection des salariés au regard des conditions de travail nécessite une présence de l'inspection du travail plus forte sur certains territoires.

Nous avons cependant développé seize recommandations communes autour de ces trois axes.

Le premier axe de travail concerne l'organisation de l'inspection du travail.

Sans remettre en cause le bien-fondé de la revalorisation des tâches opérée, nous sommes d'accord pour constater que la requalification des contrôleurs du travail en inspecteurs du travail a pu contribuer à une certaine désorganisation des services d'inspection durant les périodes de formation des futurs inspecteurs.

C'est particulièrement le cas dans les services de renseignements. Avant la réforme « Ministère fort », le service des renseignements était principalement assumé par des contrôleurs du travail, ayant bénéficié d'une formation initiale importante en droit du travail. La requalification a conduit à privilégier le recrutement de secrétaires administratifs (catégorie B de la fonction publique) pour assurer le service public de renseignement, sans pour autant qu'ils ne soient réellement formés. La fonction de filtre du service de renseignement n'est aujourd'hui plus aussi optimale et peut conduire à alourdir la charge des inspecteurs du travail. Rappelons que 842 000 demandes de renseignement en droit du travail ont été traitées en 2018, dont les deux tiers par téléphone.

Nous relevons par ailleurs, que le nombre de chargés de renseignements est en baisse constante depuis 2009. Or, l'expérience du service de renseignements doit abonder le projet de code du travail numérique porté par le ministère du travail en cernant les attentes des salariés et les questions récurrentes. Nous avons d'ailleurs, au cours de certaines auditions, pu remarquer qu'il arrivait, à certains endroits ou à certains moments, que le service de renseignements ne soit pas assuré. Nous souhaitons donc que soient renforcés les services de renseignements en développant la formation des agents qui y sont affectés.

Nous nous interrogeons également sur les vacances de poste constatées au sein de l'inspection du travail.

Il existe aujourd'hui 215 postes non pourvus au sein du corps de l'inspection du travail, dont 136 en section d'inspection. Le cas de la DIRECCTE Île-de-France est éloquent. La région dispose de 423 sections d'inspection. Pour occuper celles-ci, la DIRECCTE ne peut s'appuyer que sur 358 agents de contrôle, soit un taux d'occupation de moins de 85 %. Il convient de relever que sont comptabilisés parmi les 358 agents de contrôle, les inspecteurs du travail actuellement en formation. Compte-tenu des vacances de poste, la région Île-de-France dépasse largement l'objectif de 10 000 salariés par agent de contrôle défendu par le ministère. Elle atteint, en effet, 11 347 salariés par agent de contrôle. Dans ces conditions, nous souhaitons que soit repensée l'organisation territoriale de l'inspection du travail afin d'équilibrer la charge pesant sur les sections. L'objectif national de 10 000 salariés par agent de contrôle doit tenir compte des disparités territoriales et les lauréats du concours doivent être, en priorité, affectés dans les sections vacantes. D'ailleurs ces disparités peuvent recouvrer deux types de situations. Il y a la France des métropoles où il existe un tissu économique très dense et donc beaucoup de sièges sociaux, ce qui implique pour les inspecteurs du travail des tâches administratives supplémentaires. Mais aussi, les territoires ruraux, où l'on constate parfois que des sections entières sont vacantes.

S'agissant des missions de l'inspection du travail, nous souhaitons que l'accent mis sur les priorités nationales soit accompagné de moyens tant matériels que juridiques. La Cour des comptes a relevé en février dernier que les corps de contrôle ne disposaient pas encore totalement des outils leur permettant de cibler leurs recherches et de partager les fichiers pertinents. Elle note, par ailleurs, que les sanctions prononcées au niveau pénal sont peu nombreuses et peu dissuasives.

Nous partageons ce constat. L'absence de suites juridiques fragilise clairement la qualité des contrôles, leur efficacité et donc l'implication des agents de contrôle. Par-delà, elle remet en cause les intentions des promoteurs des réformes entreprises depuis près de dix ans. Elle peut également éclairer le malaise social constaté au sein du service de l'inspection du travail. Un rapprochement du service de l'inspection du travail avec les parquets afin de garantir un suivi de son action nous paraît donc indispensable.

S'agissant des moyens, nous serons particulièrement vigilants quant à l'application de la circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en oeuvre de la réforme de l'organisation territoriale. Celle-ci ne saurait déboucher sur une mutualisation des moyens au sein des nouvelles unités départementales au détriment de l'action des inspecteurs du travail.

Le cas du parc automobile de l'inspection du travail est notamment crucial. Il ne saurait être mis en commun avec celui des autres services économiques et sociaux rassemblés sous l'autorité du préfet de département, sous peine de brider la capacité d'intervention des agents de contrôle. Le ministère du travail nous a assuré que des mesures seraient prises en ce sens et nous y serons attentifs. Il nous semblerait d'ailleurs opportun d'associer les agents de contrôle à la mise en place de cette nouvelle organisation territoriale

Dans un deuxième temps, nous avons souhaité insister sur la mise en place d'une véritable gestion des ressources humaines. La réforme « Ministère fort », en fusionnant les corps d'inspecteurs et de contrôleurs du travail n'a pas réglé, loin s'en faut, la question du déroulement des carrières. Rappelons que 2019 correspond à la dernière année du plan de requalification. Or, la question des contrôleurs ne souhaitant pas devenir inspecteur du travail ou ne réussissant pas l'examen est désormais posée. 400 contrôleurs seraient encore dans les effectifs en 2022 sur la base des départs prévisibles. Une négociation sur l'avenir des contrôleurs a été engagée par la direction des ressources humaines sans qu'aucune des pistes envisagées qu'il s'agisse de la promotion du reliquat, de la poursuite du plan de transformation de l'emploi ou de l'évolution vers la carrière administrative n'aboutisse réellement.

Il existe un risque de susciter une forme de démotivation chez les agents concernés et, par conséquent, un affaiblissement de l'activité de contrôle. Nous souhaitons donc que soient rapidement trouvées des solutions pragmatiques pour maintenir l'implication des contrôleurs du travail au sein du service de l'inspection du travail et mettre en place un plan d'accompagnement de l'extinction de cette catégorie d'emploi.

Le plan de requalification n'a, par ailleurs, réglé en rien la question de la crise des vocations au sein de l'inspection du travail. La DGT nous a confirmé la baisse d'attractivité du concours d'inspecteur. Cette crise des vocations s'inscrit, par ailleurs, dans un contexte marqué par l'extinction progressive du corps des contrôleurs du travail, qui représentaient jusqu'alors un vivier important de recrutement. 934 personnes étaient ainsi inscrites au concours externe 2019 d'inspecteur du travail pour 39 postes ouverts contre 2 129 en 2013 là encore pour 39 postes ouverts. Nous ne voudrions pas assister à un affaiblissement des qualifications des futurs inspecteurs, d'où l'importance de retravailler sur l'attractivité de ce métier. Nous notons, en outre, que 20 % environ des inspecteurs du travail sont affectés en dehors du pôle travail des DIRECCTE, essentiellement au sein du pôle Entreprises, Emploi et Économie (pôle 3E), sur des fonctions « emploi » et « formation professionnelle ». De son côté, l'IGAS avait relevé en 2016 la faiblesse des fonctions « ressources humaines » au sein des DIRECCTE, ce qui fragilise notamment la détection des potentiels.

Nous souhaitons que soit rapidement mise en place une véritable réponse à cette crise des vocations, en valorisant la carrière, en ouvrant son recrutement et en dotant l'Institut national du travail de l'emploi et de la formation professionnelle (INTEFP), en charge de cette formation, de moyens suffisants pour la formation continue des agents.

Un audit interne est actuellement en cours, nous souhaitons qu'il débouche rapidement sur des solutions. La valorisation de la carrière ne doit pas, dans le même temps, occulter la nécessité de combler des postes, dans les départements ruraux notamment. Il apparaît indispensable que les lauréats du concours de l'inspection du travail soient affectés prioritairement dans les territoires où sont constatées des vacances de postes.

Enfin, nous avons été très marqués au cours de nos auditions par le climat de défiance entre le ministère du travail et l'inspection du travail. Il existe un malaise social évident, qui se retrouve dans le refus de certains inspecteurs et contrôleurs d'utiliser les outils informatiques pour renseigner leur activité, afin de protester contre des réformes menées, d'après eux, sans concertation.

Ces difficultés s'inscrivent de surcroît dans un contexte marqué par une série de suicides et tentatives de suicides qui ont affecté l'inspection du travail. Depuis 2017, cinq suicides et 10 tentatives sont à déplorer. Nous estimons que toute nouvelle réforme doit nécessairement être accompagnée d'un effort d'association des agents de contrôle de la part de la direction générale du travail afin de restaurer un dialogue social constructif. Il s'agit également de rassurer des agents de contrôle qui peuvent sembler pris dans des injonctions paradoxales entre la nécessaire atteinte des objectifs nationaux et la réduction constatée des effectifs. Nous avons relevé les grandes difficultés des inspecteurs du travail pour exercer leurs missions sur le territoire et dans les entreprises, parfois même d'ordre physique. Le ministère doit davantage les entendre.

Venons-en à notre troisième axe de réflexion. Les auditions que nous avons pu mener et la participation à une mission de contrôle ont enfin permis de mettre en lumière des problèmes de méthode, qui obèrent directement la pertinence des réformes menées.

Deux problèmes ont été soulignés lors de nos entretiens. Le premier concerne l'absence de méthodologie s'agissant de la mise en oeuvre de la réforme « Ministère fort », censée déboucher sur un renforcement des contrôles en équipe et la mise en place de plans d'actions au niveau local.

Plus problématique encore, la fixation d'objectifs chiffrés n'est pas sans susciter des interrogations. Celle-ci ne doit pas déboucher sur une vision quantitative de l'activité de l'inspection du travail. Nous avons ainsi pris connaissance d'une note de la direction générale du travail assimilant une visite d'inspection sans acte de contrôle à une intervention, quand bien même celle-ci ne débouche pas sur le constat d'une quelconque infraction.

Il ne faudrait pas, par ailleurs, que ces indicateurs empêchent les inspecteurs du travail d'exercer leur droit et leur devoir d'initiative.

La remontée de ces chiffres passe, en outre, par l'utilisation d'un logiciel, Wiki'T, qui peine à trouver sa vitesse de croisière. Un rapport remis au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du ministère du travail en septembre 2015, soit un mois avant sa mise en service, faisait déjà état d'importants problèmes d'ergonomie. Cet outil est considéré comme complexe et peu intuitif par une large partie des agents de contrôle.

Son déploiement n'aurait, par ailleurs, pas été accompagné d'une formation adaptée. En dépit d'une amélioration du logiciel en 2017, il persiste ainsi une sous-utilisation estimée à 40 %. De nouveaux développements de l'application devraient intervenir dans les prochains mois d'après la direction générale du travail, le dispositif devant être pleinement opérationnel à l'horizon 2022.

Au regard de ces éléments, nous nous interrogeons sur l'efficacité de la dépense publique. La mise en place du logiciel avait déjà été marquée par d'importants retards. Le projet est ainsi passé d'une durée prévisionnelle de réalisation de 36 mois à 60 mois pour un coût de 12,4 millions d'euros.

Nous souhaitons aujourd'hui que ces évolutions permettent une utilisation plus aisée du logiciel afin que celui-ci éclaire au mieux la réalité de l'activité de l'inspection du travail. Un véritable mode d'emploi du logiciel doit par ailleurs être proposé afin qu'il reflète le plus fidèlement possible la réalité de l'activité de contrôle.

Plus largement, nous nous interrogeons sur les changements réguliers d'indicateurs de performance concernant l'inspection du travail dans les documents budgétaires transmis au Parlement. Ces indicateurs ne sont d'ailleurs pas renseignés dans le rapport annuel de performances pour 2018. Dans ces conditions, nous préconisons leur suppression. Ils ne sont pas suffisants pour mesurer la performance de l'inspection du travail.

Nous rappelons ainsi que l'exploitation statistique des interventions ne doit pas se faire au détriment d'un travail de prévention, forcément moins visible. Il s'agit aussi de valoriser l'activité de conseil de l'inspection du travail auprès des entreprises.

Pour conclure, je rappellerai, comme l'a indiqué Emmanuel Capus, que l'OIT considère l'inspection du travail française comme un modèle à suivre et, j'ajoute, à conserver. Nos recommandations visent à permettre à ce corps de garder cette image tout en facilitant son adaptation aux nouveaux enjeux du droit du travail et de la protection des salariés

Je vous remercie.

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