Je me suis rendu à Helsinki pour participer à la Conférence interparlementaire sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), organisée par le Parlement finlandais du 4 au 6 septembre derniers. La Finlande assure en effet la présidence de l'Union européenne jusqu'à la fin de l'année 2019.
Cette participation a été rendue possible par la courtoisie de l'Assemblée nationale, qui a accepté, à titre exceptionnel, de céder l'une des places normalement réservées aux députés.
En effet, jusqu'à présent, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées assurait seule la représentation du Sénat lors de ces conférences consacrées à la PESC et à la PSDC. Elle avait ainsi désigné trois de nos collègues : Joël Guerriau, Gisèle Jourda et Ronan Le Gleut, auteur avec Hélène Conway-Mouret d'un récent rapport sur la défense européenne. L'Assemblée nationale était représentée par la députée Aude Bono-Vandorme.
La première journée de la conférence a été marquée par l'intervention du président de la République de Finlande, M. Sauli Niinistö. Il a traité de manière globale des enjeux dans les régions de la mer Baltique et en Arctique, tant du point de vue stratégique et sécuritaire que commercial et environnemental. Il a notamment insisté sur la nécessité d'un dialogue avec la Russie et les États-Unis. La Finlande, qui n'est pas membre de l'OTAN, a 1 400 kilomètres de frontière avec la Russie !
S'agissant de la lutte contre le réchauffement climatique, très rapide en Arctique, il a prôné des actions concrètes et ciblées, susceptibles de recueillir l'assentiment des différents acteurs de la zone, en prenant l'exemple de la lutte contre la pollution au charbon noir. J'aurai l'occasion d'approfondir ces différents enjeux lors de la réunion de l'Arctic Circle, à laquelle je me rendrai avec notre collègue André Gattolin mi-octobre. Mais l'intervention du président Niinistö s'est révélée plus large, et il nous a livré sa vision du rôle et de la place de l'Union européenne dans le monde. J'y reviendrai.
L'après-midi était consacré à trois séquences d'échanges. La première était relative aux priorités de l'Union européenne en matière de PESC et de PSDC. La Haute Représentante Federica Mogherini y participait par vidéoconférence, ce qui lui a aussi permis de dresser une forme de bilan de son action, puisqu'elle ne sera pas renouvelée dans ses fonctions. La deuxième portait sur la possibilité de restaurer une unité transatlantique sur la scène internationale. La troisième était dédiée à l'avenir de la défense de l'Union européenne : « Force de paix ou puissance militaire ? ».
Je n'ai malheureusement pas pu assister à la seconde journée d'échanges. Celle-ci comprenait une session plénière dédiée au changement climatique et à la sécurité, ainsi que trois ateliers consacrés à la situation politique dans les Balkans occidentaux, à la lutte contre les menaces hybrides et à l'Iran. La déclaration finale de la coprésidence relate l'ensemble de ces questions.
Pour ma part, je retiens plus particulièrement quatre points de cette conférence interparlementaire. Le premier est celui d'un constat des faiblesses de l'Union européenne. Quatre-vingts ans après le début de la Seconde Guerre mondiale, le président finlandais a appelé à ne pas oublier l'objectif de paix qui fonde le projet européen. Il a regretté la fragilité actuelle de l'Europe et son image brouillée en interne, les citoyens percevant davantage les divergences que les points communs entre les États membres. Il a donc jugé nécessaire de faire émerger des projets communs. Cet appel fait écho à la nécessité de « redécouvrir notre unité », mise en avant par Ursula von der Leyen dans son discours devant le Parlement européen en tant que candidate à la présidence de la Commission européenne. La paix et la prospérité constituent l'ADN de l'Union européenne. On le constate aujourd'hui avec le volet irlandais du Brexit...
Sur la scène internationale, le président Niinistö a fait part de son souhait qu'émerge une Europe puissance, afin de passer d'un « triangle » États-Unis/Russie/Chine à un « carré » incluant l'Europe. Il a salué à cet égard le fait que le président Emmanuel Macron se soit engagé et qu'il ait formulé des propositions en faveur d'une Union européenne plus forte.
Ces faiblesses de l'Europe ont aussi été soulignées par l'ancien Premier ministre suédois Carl Bildt. La politique commerciale apparaît aujourd'hui comme le véritable élément de puissance de l'Union. C'est évidemment un élément de réflexion, dans le contexte des débats que nous connaissons concernant le CETA ou le traité de libre-échange avec le Mercosur.
Le deuxième sujet qui a suscité de nombreux débats concerne la Russie. Le président Niinistö a longuement insisté sur la nécessité de maintenir un dialogue avec la Russie. Un dialogue que je qualifierais « d'équilibré », tant pour son pays que pour l'Union européenne dans son ensemble. Le Président finlandais a naturellement souligné l'importance de maintenir de bonnes relations avec son voisin russe, tout en insistant sur les capacités militaires dissuasives que possède son pays. Il a fait valoir que la Finlande avait été le premier État membre à condamner l'invasion de la Crimée et affirmé que, dans le dossier ukrainien, il appartenait à la Russie de faire le premier pas en direction de l'Europe, avant que celle-ci n'envisage un changement de position. Ces propos ont une résonance particulière au moment où le Président de la République appelle à « repenser notre lien avec la Russie ». Lors de la conférence des ambassadeurs à l'Élysée fin septembre, à laquelle j'ai assisté, il a d'ailleurs consacré une partie importante de son propos à la Russie.
Le troisième point concerne la relation transatlantique, aujourd'hui dégradée, je le regrette. Plusieurs intervenants ont appelé à inventer une relation nouvelle, en misant notamment sur des acteurs d'avenir, plutôt qu'à chercher à restaurer la relation antérieure qui est périmée, au-delà même de la personnalité de l'actuel président des États-Unis. Une chercheuse américaine a ainsi affirmé que, depuis l'administration Obama au moins, les États-Unis ont perdu « la compréhension stratégique de l'Europe ». Cette formule élégante me plaît beaucoup ! Ce travail de retissage ou de « réinvention » des liens transatlantiques prendra certainement plusieurs années.
La relation avec l'OTAN a été largement discutée. Je rappelle que le traité sur l'Union européenne prévoit que l'OTAN « reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en oeuvre ». Le Président finlandais - qui a écarté l'idée d'une armée européenne - la Haute Représentante Federica Mogherini et de nombreux intervenants ont soutenu le renforcement en cours de la politique de sécurité et de défense commune, notamment via le Fonds européen de la défense (FEdef). Ils ont écarté l'idée d'une concurrence ou d'une opposition entre l'OTAN et le développement de la sécurité de l'Union européenne. Au contraire, ils ont plaidé que le renforcement de la défense de l'Union serait un atout pour l'OTAN, en évoquant par exemple les menaces hybrides.
Le quatrième et dernier point que je souhaite mettre en exergue concerne précisément l'avenir de la politique de sécurité et de défense commune et les nouveaux instruments en cours de déploiement. La Haute Représentante Federica Mogherini a rappelé les développements réalisés au cours de son mandat en matière de défense européenne, notamment l'élaboration de la stratégie globale de l'Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité en 2016, la mise en place de la coopération structurée permanente en 2017 (de nouveaux projets devant être décidés en novembre prochain), et l'accord partiel intervenu cette année pour créer le Fonds européen de la défense, destiné à « favoriser la compétitivité et la capacité d'innovation de la base industrielle et technologique de l'Union européenne dans le domaine de la défense ». Les conditions de mise en oeuvre de ce fonds devront être suivies de près, notamment s'agissant de l'accès d'entreprises de pays tiers à ces crédits européens. C'est un point que j'ai moi-même souligné lors de mon intervention à Helsinki, afin que ce fonds bénéficie bien à l'industrie de l'Union. Nous savons que les États-Unis ont émis des critiques à l'encontre du dispositif, qu'ils jugent trop protectionniste. Florence Parly avait eu une belle formule en indiquant que l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord n'était pas « l'article F 35 ». Contrairement à ce que peuvent laisser entendre les États-Unis, les règles générales en matière de marchés de défense ne sont pas modifiées par la création du Fonds européen de la défense et je ne doute pas que certains États membres continueront à acheter des matériels américains... Je pense par exemple à nos amis polonais ! Mais il m'apparaît essentiel que les crédits communautaires dédiés au renforcement de la base industrielle et technologique de l'Union européenne soient bien utilisés conformément à leur objet.
Comme l'ont relevé nos collègues Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret dans leur rapport sur la défense européenne, la mise en place de ce fonds, que la Commission européenne propose de doter de 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027, marque un tournant majeur. Pour la première fois, des crédits communautaires viendront financer directement une politique de défense. La Cour des comptes européenne vient d'ailleurs de souligner les enjeux qui se poseront en termes de processus décisionnel et de performance de la dépense publique européenne.
S'y ajoute désormais la création d'une nouvelle direction générale « Défense et Espace », placée sous la tutelle du commissaire chargé du marché intérieur. Elle confirme le changement de dimension de la défense européenne.
Dans son intervention-bilan, globalement positive, Federica Mogherini a toutefois souligné les difficultés liées à la mise en oeuvre concrète des décisions prises dans le cadre de la PESC-PSDC, en faisant valoir que les États membres ne se sentent pas tous réellement impliqués par ces décisions. Deux points ont par ailleurs été soulevés pour l'avenir. D'une part, les conditions de mise en oeuvre de la clause d'assistance prévue par l'article 42 paragraphe 7 du Traité sur l'Union européenne, et le cas échéant son articulation avec l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, ont été évoquées à plusieurs reprises. La France avait eu recours à cette clause d'assistance après les attentats de 2015. Ce recours s'était fait de manière empirique, comme l'a rappelé Federica Mogherini, mais le président finlandais a exprimé le souhait d'une clarification de l'interprétation de cet article. À mon sens, cet article est plus protecteur que l'article 5 !
D'autre part, a été soulignée la nécessité de trouver les voies d'un partenariat adapté avec le Royaume-Uni à l'issue du Brexit, compte tenu du poids de cet État dans le domaine de la défense.
La prochaine conférence interparlementaire consacrée à la PESC et à la PSDC se tiendra à Zagreb début mars 2020. Au travers de la montée en puissance de la PSDC, de la mobilisation nouvelle de crédits communautaires via le fonds européen de défense, de la création d'une nouvelle direction générale et de la feuille de route adressée à Sylvie Goulard, commissaire désignée appelée à superviser cette direction générale, nous assistons à une part de communautarisation de la défense. Il nous appartient donc de travailler plus étroitement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur ces sujets, comme nous le faisons sur les enjeux relatifs au commerce ou sur le Brexit.