Intervention de Gérard Larcher

Réunion du 2 octobre 2019 à 15h00
Hommage au président jacques chirac

Photo de Gérard LarcherGérard Larcher, président :

La séance, ce matin-là, a été suspendue dès l’annonce de cette triste nouvelle. Notre hémicycle s’est rassemblé dans le recueillement. Puis Philippe Dallier, qui présidait la séance l’après-midi, a rendu un premier hommage du Sénat à cet homme d’État au parcours exceptionnel, qui a profondément marqué la France et les Français. Nous étions nombreux, sénateurs et anciens sénateurs, à assister avant-hier à la cérémonie d’adieu en l’église Saint-Sulpice.

Au nom du Sénat tout entier et en présence de vous-même, monsieur le Premier ministre, et de nombreux autres membres du Gouvernement, je souhaite rendre un nouvel hommage solennel à Jacques Chirac, qui, tout au long d’une vie politique de plus de cinquante années, a occupé d’éminentes fonctions.

Jacques Chirac avait de la France une connaissance intime, celle d’un homme qui a gravi tous les échelons des mandats de terrain avant de présider au destin de la Nation.

Né de parents corréziens, Jacques Chirac accomplit ses études primaires et secondaires d’abord à Sainte-Féréole, en Corrèze, puis à Versailles et à Paris. Après son bac, rêvant de faire carrière dans la marine marchande, il s’engagea quelques mois comme pilotin sur un cargo charbonnier, mais son père ne le laissa pas persévérer dans cette voie. Il reprit alors ses études : Sciences Po, puis l’université d’Harvard, enfin l’École nationale d’administration.

Au cours de son service militaire, il se porta volontaire pour partir vers l’Algérie en guerre. Cette période d’aspirant, puis de sous-lieutenant, le marquera profondément. Il ira jusqu’à dire qu’elle fut peut-être la plus passionnante de son existence.

Si Jacques Chirac débuta sa carrière à la Cour des comptes, très vite, il s’engagea dans la vie politique : dès 1962, à trente ans, il devint chargé de mission au secrétariat général du Gouvernement, puis au cabinet du Premier ministre, Georges Pompidou, son mentor en politique, auquel il témoigna une fidélité indéfectible.

Parallèlement, avec l’énergie et la ténacité qui le caractérisaient, il se lança à la conquête de la Corrèze, se confrontant avec succès au suffrage universel. Élu conseiller municipal de Sainte-Féréole en 1965, il devint député de la circonscription d’Ussel deux ans plus tard, puis, en 1968, conseiller général du canton de Meymac.

Ensuite, vint la carrière nationale que nous connaissons tous : candidat aux élections présidentielles de 1981 et 1988, Jacques Chirac fut élu Président de la République en 1995 et réélu en 2002.

Nous avons tous en mémoire ces moments particuliers, mais permettez-moi d’apporter à cet hommage deux touches plus personnelles. Ministre de l’agriculture, Jacques Chirac a profondément marqué le monde agricole, dans une relation exceptionnelle nouée au moment où la politique agricole commune se mettait en place. Et, sans Jacques Chirac, je n’aurais jamais été élu maire de Rambouillet, en 1983.

Je rappellerai le souvenir d’un autre épisode, survenu dans cet hémicycle : un soir de déclaration de politique générale suivie d’un débat, Jacques Chirac arriva ici même… en smoking ! Le groupe d’opposition avait réclamé sa présence, estimant que le Premier ministre ne pouvait s’exprimer seulement par la voix de son ministre chargé des relations avec le Parlement, André Rossinot – n’en prenez pas ombrage, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement…

Ces souvenirs forts, humains, illustrent les qualités de Jacques Chirac. J’ai eu l’honneur de servir dans deux de ses gouvernements – quelques-uns dans cet hémicycle en faisaient aussi partie. Que de souvenirs de ses conseils des ministres… Que de souvenirs aussi de ces dimanches après-midi où il nous « convoquait » pour parler cohésion sociale, emploi et travail. Ces moments sont pour moi des souvenirs vivaces.

Jacques Chirac a incarné les valeurs de notre République.

La liberté, d’abord, en refusant toute compromission avec les extrêmes et en assumant le passé de notre pays, ses lumières et ses ombres ; son discours du Vel d’Hiv en est le symbole le plus éclatant.

L’égalité, ensuite, en tentant de résorber la fracture sociale, lui qui, maire de Paris, avait créé le SAMU social. Maire de Paris, il reçut de ses administrés une formidable reconnaissance, réussissant, à la fin de son premier mandat, le grand chelem dans les vingt arrondissements de la capitale. Reconnaissance d’un Paris qu’il a profondément aimé et transformé, comme de la Corrèze à laquelle il était tellement attaché.

La fraternité, enfin, dans sa proximité avec les Français, dans sa sensibilité à la souffrance de ceux qui sont empêchés par le handicap ou la maladie – je me souviens encore de la présentation en conseil des ministres du projet de loi dont est issue la loi de 2005. Il attachait le plus grand prix à être parvenu à faire adopter trois lois en faveur de l’intégration des personnes handicapées. Le plan Cancer fut, comme la sécurité routière, un autre grand chantier de son second mandat présidentiel ; il permit des améliorations dans la lutte contre cette terrible maladie.

Sur la scène internationale, le président Jacques Chirac sut conforter la place de la France et développer son rayonnement dans le monde. Il faut avoir vécu des conseils des ministres franco-allemands avec Jacques Chirac – ce fut mon cas pendant trois ans, sous des chanceliers différents – pour mesurer combien cet homme rayonnait.

S’il sut conforter la place de la France, il sut aussi assurer l’adaptation des moyens de notre défense aux progrès techniques et à leurs exigences. Il décida ainsi, ce qui n’était pas simple, la professionnalisation de nos armées.

Il chercha à promouvoir le multilatéralisme dans les relations internationales. Portant haut la voix de la France, il n’hésita pas à s’opposer aux Américains : le « non » à la guerre en Irak restera dans l’histoire.

Chacun ces derniers jours a rappelé son cri d’alarme à Johannesburg. Oui, le président Jacques Chirac s’est attaché à la préservation de l’environnement, domaine dans lequel il était à bien des égards précurseur. Des textes majeurs furent adoptés en la matière en 1975 et 1976, alors qu’il était Premier ministre, et la Charte de l’environnement fut intégrée au bloc de constitutionnalité en 2004, pendant son second mandat présidentiel.

Jacques Chirac était aussi un homme de culture, passionné par l’histoire des civilisations africaines et asiatiques, domaine dans lequel il faisait preuve d’une incroyable érudition. Il nous laisse un grand musée.

Chaleureux, attentif aux autres, simple aussi, il prenait le temps d’écouter et d’avoir un mot pour chacun, puissant ou humble. Il compatissait aux souffrances d’autrui, mais, pudique et discret, n’évoquait jamais les siennes, alors que la vie ne l’avait pas épargné.

Sa profonde humanité, sa proximité avec ses concitoyens et son contact charnel avec les Français ont suscité une sympathie qui dépasse toutes les sensibilités, comme en ont témoigné, dimanche dernier, les interminables files d’attente pour se recueillir devant son cercueil, lors de l’hommage populaire aux Invalides.

Permettez-moi de rappeler aussi combien Jacques Chirac aimait la France des outre-mer. Il l’aimait passionnément et avec attention. Il avait parfaitement compris que la France n’est vraiment la France qu’avec ses outre-mer.

À Bernadette Chirac, son épouse, qui a tant œuvré pour nos hôpitaux – j’en fus le témoin comme président de la Fédération hospitalière de France –, à sa fille, Claude Chirac, à son petit-fils, Martin, à toute sa famille et à ses proches, ainsi qu’à tous ceux qui ont partagé ses engagements, je renouvelle, au nom du Sénat, l’expression de la part que nous prenons à leur chagrin.

Peu d’entre vous ici ont connu Jacques Chirac Premier ministre – c’est pourtant votre cas, monsieur le haut-commissaire. Cet homme d’État dont nous voyions la grande silhouette arriver dans l’hémicycle avait un attachement au bicamérisme dont il a témoigné.

Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, mes chers collègues, recueillons-nous quelques instants en sa mémoire.

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