Monsieur le président Malhuret, comme vous l’avez indiqué, Amazon a annoncé sa décision d’augmenter ses prix en France et de répercuter la taxe sur les services numériques, créée par la loi du 11 juillet dernier, auprès des vendeurs.
La semaine dernière, Google a présenté un nouvel outil de publication pour les éditeurs et les agences de presse. Celui-ci, comme par hasard, a été configuré de telle sorte qu’il n’ouvre pas droit à rémunération, contrairement aux principes posés par la loi du 25 juillet 2019 sur les droits voisins.
Ces deux faits, qui ne sont pas sans lien, posent une question juridique, économique et, en vérité, politique extrêmement sérieuse.
Pour l’ensemble de nos concitoyens, il n’est pas acceptable qu’un acteur, aussi puissant soit-il – en l’occurrence, ces deux acteurs sont extrêmement puissants –, puisse changer ses règles de publication de manière unilatérale pour contourner une obligation légale.
L’objectif politique visé au travers de la création de la taxe sur les services numériques, comme pour la taxe sur les droits voisins, est extrêmement clair : il s’agit de permettre un juste partage de la valeur produite au bénéfice des plateformes par les contenus et services qu’elles référencent, valeur qui leur procure des revenus qu’elles conservent aujourd’hui en quasi-totalité, voire en totalité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en France et en Europe, il existe des entreprises qui innovent et qui créent de la valeur. Il y a aussi des gouvernements qui sont démocratiquement élus. Les lois sont votées par les représentations nationales. Les entreprises doivent mesurer que, en s’y opposant, c’est aux citoyens libres de ces États qu’elles s’opposent.
Nous voulons vraiment croire que la démarche de Google relève de l’erreur d’appréciation, et non de la volonté d’engager une épreuve de force avec la France et l’Europe. C’est pourquoi le ministre de la culture s’est exprimé le jour même pour que Google entame des négociations avec les éditeurs, les agences de presse, négociations qui sont prévues par la loi. La presse doit évidemment s’unir pour faire reconnaître ses droits dans cette discussion.
Par ailleurs, la question appelle évidemment une réponse européenne.
Au fond, nous sommes les premiers à y être confrontés, parce que nous avons été les premiers à transposer la directive. Cela étant, cette question concerne ou concernera tous les pays européens. Si nous voulons construire l’espace souverain de droits et de libertés que nous souhaitons bâtir ensemble à l’heure du numérique, alors l’Union européenne, au moins autant que chacun des États qui la composent, doit se saisir du sujet.
Cela exige – je vous rejoins bien volontiers sur ce point, monsieur Malhuret – non seulement de modifier notre corpus théorique en matière de droit de la concurrence, de politique industrielle et d’espace numérique, mais aussi d’accroître l’ambition de la Commission européenne dans ce domaine pour mettre en œuvre ces nouveaux concepts.
Il y a là un défi qui n’est pas insignifiant, car les avis diffèrent parfois, nous le savons, au sein de l’Union européenne. Seulement, si nous voulons défendre nos droits et notre conception, alors nous devons être offensifs et exigeants. C’est l’un des arguments que nous avons fait valoir auprès de l’ensemble des personnalités qui étaient pressenties pour devenir membres de la future Commission européenne, et c’est l’un des points qui s’est trouvé au cœur de la discussion entre le Président de la République et la future présidente de la Commission.
Ce ne sera pas un combat facile, car nous avons en face de nous des gens déterminés et puissants. Mais ce dont il s’agit, c’est quand même de faire respecter notre souveraineté et notre conception du monde numérique. Ce n’est pas un petit combat ; c’est un combat difficile qu’il nous revient de livrer !