Intervention de Cédric O

Réunion du 2 octobre 2019 à 15h00
Intelligence artificielle — Débat organisé à la demande du groupe du rassemblement démocratique et social européen

Cédric O :

Cette situation est liée à la qualité de l’école française de sciences de l’informatique et de mathématiques.

Dans un monde où le combat pour l’intelligence artificielle est d’abord un combat pour l’intelligence humaine, le problème de notre pays est de garder ses chercheurs, d’en avoir davantage et d’en faire venir d’autres de rang mondial. Ce sujet est au cœur de la stratégie présentée l’année dernière par le Président de la République.

La plus grande part de l’argent public – 1, 5 milliard d’euros – qui sera consacrée au cours du quinquennat à l’intelligence artificielle bénéficiera aux équipes de recherche. En effet, dans un monde où le passage de la recherche fondamentale à l’application sur le marché est très rapide, notre premier combat doit être de constituer des équipes de recherche dans notre pays. Pour le dire pragmatiquement, cet argent ira donc au cadre de la recherche, aux équipes et aux salaires des chercheurs.

Nous disposons d’ores et déjà de la qualité humaine qui nous permettra de nous battre. Mais il sera probablement compliqué, à court terme, de combattre les Américains et les Chinois dans un domaine où ils ont pris une avance considérable, celui des très grandes bases de données de consommateurs. Les bases de données dont ils disposent augmentent exponentiellement, et aucun acteur européen n’y a accès.

Il n’en demeure pas moins, eu égard à la spécificité de l’industrie et de l’économie françaises, que certains de nos secteurs disposent du savoir-faire, des bases de données et des grandes entreprises permettant de faire émerger des champions et de participer à la compétition internationale. Je pense aux secteurs de l’énergie, de la santé, aux systèmes critiques et à la mobilité – nous aurons l’occasion d’y revenir.

Je précise que la stratégie qui a été présentée couvre des sujets tels que les calculateurs, les puces, l’adoption par l’administration de l’intelligence artificielle et le développement de celle-ci au sein des entreprises. Il y a là un débat. Il s’agit de faire en sorte que nos PME, et pas seulement de grands groupes et les entreprises du numérique, soient capables d’utiliser les outils de l’intelligence artificielle.

L’aspect européen de la question, que vous avez mentionné, est absolument essentiel.

Si nous voulons atteindre le niveau d’investissements des Américains et des Chinois, nous ne pouvons le faire qu’au niveau européen. Vous avez mentionné le chiffre de 20 milliards d’euros. À ce stade, il est très difficile de dire à quel niveau nous en sommes. L’Union européenne a estimé qu’il fallait investir 20 milliards d’euros par an. J’estime, à titre personnel, que nous investissons actuellement moins de 10 milliards d’euros aujourd’hui.

On mesure l’effort à faire au niveau européen ! Ce point sera au cœur de la mission de Margrethe Vestager et de Sylvie Goulard, qui était auditionnée aujourd’hui même au Parlement européen.

Un certain nombre d’initiatives ont été prises, qu’il faut saluer. Je pense à celle prise dans le domaine des calculateurs, à celle aussi en faveur d’une agence pour l’innovation de rupture, qui peut rappeler l’agence américaine Darpa.

Il faut, de toute évidence développer collectivement ces initiatives. Au seul niveau franco-allemand, nombre de projets peuvent encore être menés, au-delà de ce qui existe déjà.

Je tiens à mentionner un autre élément qui relève du niveau européen : la politique commerciale. Dans certains domaines, en effet, nous allons voir arriver des applications ou des sociétés dont les produits seront meilleurs que ceux de nos entreprises, parce qu’ils auront été développés grâce à des bases de données incontrôlées. Je pense notamment aux produits de reconnaissance faciale en provenance d’Asie, dont la supériorité est liée au fait que ces pays n’exercent pas suffisamment de contrôle sur ces productions et ont une conception de la vie privée différente de la conception européenne.

Devrons-nous laisser ces produits entrer sur le marché européen, dans la mesure où ils ont été conçus sur la base de valeurs qui ne sont pas les nôtres ? Nous serons confrontés assez rapidement à cette question, et l’Europe devra donner une réponse à la hauteur.

Ce dernier sujet me permet d’établir un lien avec les questions éthiques qui, vous l’avez dit, sont au cœur de la thématique de l’intelligence artificielle. Ces questions concernent la perte de contrôle de l’être humain, les biais et certaines problématiques techniques. Il convient, pour des raisons économiques, d’aborder ces sujets en premier lieu aux niveaux international et européen.

À cet égard, la France a été très active. Vous avez mentionné, monsieur le sénateur, le RGPD, qui est inspiré de la législation française et du travail de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Je pense également à l’initiative, laquelle est en passe d’aboutir, relative à la création d’un « GIEC de l’intelligence artificielle », portée par la France et le Canada : un pas important a été franchi lors du dernier G7, à Biarritz, ce qui permettra de partager, d’abord, les acquis du consensus scientifique et, demain, un certain nombre de règles d’utilisation de l’intelligence artificielle au niveau international. À cet égard, la transparence des algorithmes est un sujet clé.

Je dirai pour conclure qu’il s’agit probablement du commencement de l’histoire. Je ne suis pas de ceux qui pensent que nous sommes au début d’une dystopie. L’intelligence artificielle apporte beaucoup au secteur de la santé, pour la personnalisation des soins par exemple. Il convient d’être à la hauteur de cet enjeu, d’abord au niveau français – car dans un monde où c’est le leader qui fixe la norme, nous devons, nous aussi, être capables d’avoir des leaders –, mais aussi au niveau européen.

Je vous remercie le Sénat de s’être saisi de ce sujet.

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