Je remercie également le groupe du RDSE de l’organisation de ce débat, qui est d’une actualité brûlante, en raison notamment des débats sur le projet de loi d’orientation sur les mobilités ; je pense en particulier à l’article 20 de ce texte, qui porte sur les conditions de travail des travailleurs de plateforme.
Ayant organisé ici même, en juin dernier, avec mes collègues Monique Lubin et Olivier Jacquin, un colloque sur la problématique du travail numérique et les risques de formation d’un « cyberprécariat » dépourvu de droits sociaux, je souhaite attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’imminence d’une crise sociale profonde, liée à l’expansion du travail numérique, et rebondir ainsi sur l’excellente question de mon collègue Franck Montaugé.
Le récent numéro de l’émission Cash Investigation a opportunément confirmé nos craintes sur la destruction de la citoyenneté sociale des travailleurs, chère au regretté Robert Castel.
En effet, par leur modèle de développement, les sociétés multinationales que nous connaissons bien – Uber, Amazon, Google, et autres – prospèrent sur un vide juridique, que votre gouvernement entretient. Ce vide juridique permet à ces entreprises de ne pas payer de cotisations sociales patronales, en faisant croire aux autoentrepreneurs recrutés qu’ils sont indépendants. Le Conseil national du numérique, le CNNum, l’a confirmé récemment : ces travailleurs sont plus dépendants d’un algorithme que d’une véritable relation humaine.
Pis, tous les systèmes d’exploitation – sans vouloir faire de mauvais jeu de mots – de l’intelligence artificielle reposent sur du travail humain. Des microtâches sont réalisées en Asie, en Afrique et en Europe – en France même – par ce qu’Antonio Casilli appelle les « travailleurs du clic », des travailleurs du numérique sous-payés et complètement invisibles pour le droit du travail. Et tout cela au service de la machine, de l’intelligence artificielle, qui dévoile ainsi son vrai visage.
Il nous faut donc réfléchir à une fiscalité qui permettrait d’imposer les plateformes sur le fondement du travail invisible de ces usagers, et à un dispositif pour rémunérer ces derniers. En effet, la fiscalité est aussi une question de souveraineté.
Au regard de l’augmentation du tâcheronnage numérique, allez-vous changer de braquet, et imposer à ces entreprises un cadre beaucoup plus strict et protecteur, afin d’enrayer cette évolution inquiétante du travail ? Quelles solutions allez-vous mettre en œuvre pour lutter contre cette para-subordination, qui nie les droits de ces travailleurs ?
Il s’agit d’un enjeu politique et sociétal de premier plan.