Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission d'enquête Souveraineté numérique — Réunion du 1er octobre 2019 à 18h35
Examen du rapport

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Je vous remercie pour votre passionnant travail. J'ai également étudié le sujet de la souveraineté numérique, notamment en 2014 dans le cadre de la mission commune d'information relative au nouveau rôle et à la nouvelle stratégie pour l'Union européenne dans la gouvernance de l'Internet. Je retrouve dans le présent rapport les thèmes que nous avions alors évoqués. Le diagnostic demeure sensiblement identique et Internet est hélas ! devenu, comme nous le prévoyions, un lieu mondial d'affrontements. Certes, quelques recommandations ont été suivies d'effets et plusieurs avancées, quoique modestes, doivent être saluées - l'adoption du Règlement général sur la protection des données (RGPD), de la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins et, dans une moindre mesure, de mesures fiscales -, mais, en matière de droit de la concurrence, les progrès demeurent nuls.

Je rejoins les propositions de notre rapporteur et partage son parti pris : nous ne devons pas nous situer sur la défensive. D'ailleurs, quand la France et l'Allemagne se montrent offensives, elles sont écoutées et, souvent, suivies. Le sujet de la souveraineté numérique a, pour la première fois, été abordé lors de la dernière campagne présidentielle, puis a fait l'objet de débats lors des élections européennes du mois de juin 2019. Pour autant, aucune solution n'a encore été proposée pour exister face aux Gafam et à la Chine. En matière numérique, les perspectives de progrès paraissent aussi immenses que les craintes qu'elles suscitent en matière économique, politique et culturelle. Nous avons, hélas, souvent tendance à nous résigner ! Trop de fonctionnaires rejoignent le secteur privé, notamment les géants de l'Internet. La prise de conscience demeure en-deçà des menaces que font planer les nouvelles technologies et nos dirigeants restent passifs face aux défis politiques, industriels et économiques que représentent les Gafam, dont la puissance bat en brèche toute tentative de récupération de notre souveraineté.

Nous devons réguler le système numérique ! Le créateur d'Internet, Tim Berners-Lee, comme l'un des fondateurs de Facebook, Chris Hughes, estime que la régulation constitue un impératif de la survie d'un Internet durable. En sursis, il porte, en effet, en lui la critique de son propre modèle, celui que Shoshana Zuboff, professeure à Harvard, appelle le « capitalisme de surveillance » dans lequel rien n'est gratuit et tout concourt au renforcement des monopoles constitués. Ce n'est pas sans raison que, au temps de l'affaire Snowden, la National Security Agency (NSA) a écouté des fonctionnaires européens chargés de la concurrence ni que les élections américaines font l'objet de soupçons de manipulation. Ne soyons pas naïfs ! Nous devons nous montrer offensifs et anticiper la nouvelle génération de technologies.

Ces entreprises profitent de la disparité de nos régimes fiscaux.

Le rachat de nos start-up par des acteurs étrangers réjouit souvent ; on le voit comme un succès, mais il représente aussi une perte de souveraineté. Le partenariat entre l'État américain et Cisco, le choix de Palantir pour équiper nos services de renseignement, ou encore le financement par Google de notre école du numérique sont autant de signaux inquiétants. Il faut donc mener une politique volontariste d'investissement dans les écosystèmes numériques. L'État doit orienter les marchés vers les PME innovantes et aider les entreprises à développer des outils cryptographiques, notamment dans les domaines de la banque, de l'assurance et de la santé.

Les exemptions fiscales et les contrats publics, notamment dans le domaine militaire, peuvent être des outils puissants, que les États-Unis emploient d'ailleurs avec succès.

L'exemple allemand montre, quant à lui, que certaines mesures peuvent être prises à coût zéro : les autorités de ce pays imposent aux entreprises étrangères, notamment américaines, la création de data centers sur le territoire national allemand. C'est d'autant plus important que l'administration Trump a cessé d'octroyer une quelconque protection juridique aux citoyens étrangers en la matière. Il faut en somme user de tous les instruments à la disposition de l'État pour reconquérir notre souveraineté dans le domaine numérique.

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