Intervention de Catherine Deroche

Réunion du 3 octobre 2019 à 14h30
Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité — Débat organisé à la demande de la mission commune d'information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les violences sexuelles sur mineurs constituent une réalité insupportable, voire difficilement concevable pour beaucoup d’entre nous : comment imaginer que les êtres les plus vulnérables et les plus innocents dans notre société puissent être victimes de telles agressions ? Celles-ci sont pourtant beaucoup plus fréquentes qu’on ne l’imagine. Si elles se produisent majoritairement dans le cadre familial, elles peuvent aussi être commises par les adultes qui prennent en charge les mineurs dans un cadre professionnel ou associatif. C’est à cette seconde catégorie de violences sexuelles sur mineurs que la mission commune d’information que j’ai eu l’honneur de présider a consacré ses travaux. Ils ont abouti à l’adoption d’un rapport d’information le 28 mai dernier.

Ce sont d’abord les abus sexuels révélés au sein de l’Église catholique qui ont conduit le Sénat à s’intéresser à ce sujet. Nos collègues du groupe socialiste et républicain, que je remercie de leur initiative, avaient demandé la constitution d’une commission d’enquête qui aurait travaillé spécifiquement sur ce sujet. Le bureau du Sénat a jugé préférable de retenir un champ d’investigation plus large, afin d’examiner comment la prévention, la détection, le signalement et la répression des infractions sexuelles sur mineurs sont organisés dans les différentes structures qui accueillent des enfants et des adolescents, qu’il s’agisse de l’éducation nationale, des associations sportives, des services de l’aide sociale à l’enfance, des services de garde d’enfants, des associations sportives, des établissements d’enseignement culturel et artistique, des colonies de vacances et des centres aérés.

Pour dresser ce panorama, la mission a procédé à une cinquantaine d’auditions, complétées par trois déplacements. Ce travail n’aurait pas été possible sans l’investissement et la disponibilité de nos trois rapporteures, que je salue : Marie Mercier, qui a déjà eu l’occasion de travailler sur le droit pénal applicable aux infractions sexuelles sur mineurs, Michelle Meunier, qui connaît très bien les politiques de protection de l’enfance, et Dominique Vérien, qui a notamment approfondi la question de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles sur mineurs. Le rapport d’information formule trente-huit propositions, que nous aurons l’occasion d’évoquer au cours de ce débat.

Nous avons bien sûr travaillé en ayant toujours en tête l’intérêt des victimes. Comment favoriser la libération de la parole, indispensable pour que les faits soient connus et sanctionnés ? Comment les aider à surmonter le traumatisme de l’agression ? Surtout, comment éviter d’avoir à déplorer de nouvelles victimes, ce qui pose la question de la prévention de la récidive et de la prévention du premier passage à l’acte ?

Nous avons constaté, dès le début de nos travaux, qu’il existait peu de données précises et actualisées concernant le nombre de victimes et le contexte dans lequel surviennent les agressions. Cela nous a conduits à recommander la mise en place d’un observatoire, partant du principe que l’on ne peut combattre efficacement que ce que l’on connaît bien.

Nous avons également constaté que les pratiques et les règles en vigueur variaient beaucoup d’un secteur à l’autre : les contrôles sont par exemple systématiques et automatisés pour tout ce qui concerne les accueils collectifs de mineurs – c’est-à-dire les colonies de vacances et les centres aérés – ; ils paraissent en revanche plus aléatoires dans le monde du sport, alors que nous savons que la relation de proximité qui s’établit entre un entraîneur et un jeune athlète peut favoriser l’apparition de phénomènes d’emprise pouvant déboucher sur des agressions.

Dans ce contexte, il nous paraît souhaitable de généraliser les meilleures pratiques afin de construire autour des jeunes de notre pays un environnement aussi sécurisant que possible. Nous sommes conscients qu’il faudra du temps pour mettre en place les procédures et les actions de formation et de sensibilisation adaptées, mais c’est le cap que nous nous sommes fixé et que nous vous proposons de suivre. À cet égard, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes est un outil qui pourrait sans doute être davantage utilisé, l’objectif étant d’éviter que les personnes condamnées pour ce type d’infraction soient de nouveau placées au contact de mineurs. Je pense que le jeu des questions-réponses nous donnera l’occasion d’y revenir et d’explorer les autres mesures à mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs.

Nous avons consacré une part importante de nos travaux aux infractions sexuelles commises au sein de l’Église catholique et au sein des autres cultes, ce qui était légitime compte tenu de l’actualité. Comme nous l’avons plusieurs fois entendu au cours de nos auditions, l’agression sexuelle commise par un religieux est particulièrement dévastatrice pour la victime, car à la violence physique et à la violence psychologique s’ajoute un abus spirituel qui peut être extrêmement déstabilisant.

Nous avons perçu au sein de l’Église une prise de conscience réelle de la gravité du problème et une volonté affirmée de mettre un terme à l’omerta qui a longtemps prévalu. Nous avons tenté d’analyser les raisons de cette culture du secret, qui présente selon nous un caractère systémique, et nous avons rappelé l’absolue nécessité de signaler à la justice les faits délictueux ou criminels, en étant attentif à la parole des victimes, trop longtemps étouffée par peur du scandale. Nous avons pris acte de la volonté de l’Église d’indemniser les victimes, même pour des faits qui ne pourraient être jugés en raison de la prescription, ce qui nous paraît constituer une avancée importante.

Nous devons rester vigilants afin de nous assurer que ces déclarations seront bien suivies d’effets. Nous formons le vœu que la commission Sauvé poursuive le travail visant à mettre au jour les infractions qui ont été commises et propose des mesures complémentaires.

Avant de terminer mon propos, je souhaite appeler l’attention de M. le secrétaire d’État sur une catégorie de mineurs particulièrement vulnérables : les mineurs en situation de handicap. Nous n’avons pas toujours perçu de la part des gestionnaires d’établissements et de services pour mineurs handicapés une prise de conscience de ce problème à la hauteur de la vulnérabilité du public qu’ils accueillent. Il nous semble que les contrôles effectués au moment du recrutement et la sensibilisation des professionnels qui travaillent auprès de ces mineurs pourraient être significativement renforcés.

Les rapporteures et moi-même vous avons remis notre rapport au cours de l’été, monsieur le secrétaire d’État. Nous vous remercions de votre écoute, et je souhaite bien sûr que nos réflexions inspirent l’action du Gouvernement dans les prochains mois et les prochaines années.

Le Gouvernement a récemment installé une commission pour les 1 000 premiers jours de l’enfant, qui devrait intégrer dans sa réflexion la prévention de la maltraitance. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous travaillez également sur le dossier de l’aide sociale à l’enfance et que vous préparez un plan de lutte contre les violences dont sont victimes les mineurs. Il prendra la suite du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019 que notre collègue Laurence Rossignol avait mis en place lorsqu’elle était ministre chargée des familles. Peut-être pourrez-vous nous donner aujourd’hui de premières indications sur le contenu de ce plan.

Monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez en tout cas être assuré du soutien du Sénat à une politique ambitieuse de protection de l’enfance qui devrait constituer, à mes yeux, une grande cause nationale. Nos concitoyens attendent de notre part des décisions et des actes. Je ne doute pas que, sur un sujet comme celui-ci, un consensus pourra se dégager autour de quelques orientations fortes et d’un ensemble de mesures concrètes de nature à améliorer la protection des enfants et des adolescents dans notre pays.

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