Intervention de Adrien Taquet

Réunion du 3 octobre 2019 à 14h30
Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité — Débat organisé à la demande de la mission commune d'information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs

Adrien Taquet :

Madame la présidente, madame la présidente de la mission commune d’information, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi au mois d’octobre dernier, bien avant ma nomination, par la création de cette mission commune d’information, de prolonger la réflexion du Sénat sur les violences faites aux enfants, déjà engagée de longue date, par une étude approfondie de la question des violences sexuelles sur les mineurs en institutions. Je l’ai déjà fait, mais je le réitère : je tiens très sincèrement à saluer la qualité de vos travaux.

J’ai bien noté les trente-huit propositions que vous formulez – j’aurai l’occasion d’y revenir – et le parti pris qui a été le vôtre d’aborder cette question difficile sous un angle très large, en questionnant l’efficience de notre arsenal législatif et en abordant la question des victimes, celle de la formation des professionnels, mais également celle de la prise en charge des auteurs – qui constitue souvent un angle mort de ces politiques. S’il ne règle pas à lui seul les insuffisances qu’il soulève, ce rapport d’information formule des propositions dans la recherche et la mise en place de solutions pour mettre fin aux violences en institutions.

L’état des lieux que vous dressez, les comparaisons internationales et les pistes que vous lancez ont retenu ma plus grande attention. Ces dernières rejoignent les réflexions et les travaux que nous menons en parallèle au sein du ministère. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire au cours de nos échanges.

Le sujet de vos travaux, plus largement la question de la lutte contre toutes formes de violences faites aux enfants, est au cœur de mes préoccupations. Le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants, que j’annoncerai prochainement, très probablement dans le courant du mois de novembre, à l’occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, a pour ambition de poursuivre le précédent plan, voire, je l’espère, d’aller au-delà.

Ce premier plan lancé en 2017 par Laurence Rossignol a permis de dire que les violences sexuelles faites aux enfants étaient encore trop souvent taboues et dissimulées au sein de la cellule familiale. Je souhaite que le nouveau plan d’action que je présenterai s’inscrive dans la continuité de ce premier plan : le chemin est encore long pour permettre la libération de la parole des enfants lorsqu’ils sont victimes dans l’intimité de leur famille. Nous devons donc redoubler d’efforts.

Je souhaite également qu’une nouvelle impulsion soit donnée à la lutte contre les violences faites aux enfants en tous lieux, à tout moment de leur vie d’enfant, afin de leur garantir qu’ils pourront grandir en sécurité, où qu’ils se trouvent.

Ce sujet doit mobiliser la société tout entière. C’est pour cela que j’ai parlé d’un pacte entre l’ensemble des composantes de notre société. La lutte contre les violences, notamment les violences sexuelles, doit évidemment dépasser les clivages.

Si je souligne une fois encore, au nom du Gouvernement, la qualité de vos travaux, je souhaite dans le même mouvement pouvoir vous assurer de ma volonté de mobiliser le Gouvernement tout entier, chacun de ses membres, sur ce sujet.

Mon intervention de ce jour a pour objet non pas de dévoiler les mesures de ce nouveau plan, je vous prie de m’en excuser, madame la présidente de la mission d’information – chaque chose en son temps –, mais de vous assurer qu’un intense travail interministériel est aujourd’hui en cours.

Il nous faut mieux appréhender la réalité, mais les chiffres dont nous disposons d’ores et déjà sont édifiants.

Vous proposez dans votre rapport de créer un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs. Or nous disposons déjà d’un Observatoire national de l’enfance en danger, dont la mission est de nous permettre de mieux connaître les problèmes dans ce domaine, de mieux les prévenir et les traiter. C’est un outil particulièrement utile, précieux, articulé avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance, même s’il est bien sûr encore perfectible, nous nous accordons tous sur ce point. Je pense notamment à sa gouvernance ou encore au croisement des données de chacun des ministères et des liens avec la Drees.

Nous pouvons donc travailler pour que cet observatoire nous permette d’appréhender de manière plus fine, plus précise, les violences sexuelles sur les mineurs, plus particulièrement dans les institutions, mais, à ce stade, et nous en rediscuterons, je ne suis pas sûr qu’il soit opportun de créer un nouvel outil. Appuyons-nous sur ce qui existe déjà.

Concernant les chiffres dont nous disposons à ce jour, l’ONPE, vous le savez, publie chaque année un rapport comprenant, d’une part, des données chiffrées relatives aux mineurs pris en charge et, d’autre part, une analyse qualitative de l’évolution du dispositif de protection de l’enfance. Dans son dernier rapport, l’Observatoire a poursuivi sa collaboration avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure concernant la population des mineurs victimes de violences physiques et sexuelles.

Les chiffres dont nous disposons, je l’ai dit, sont édifiants et nous obligent à faire mieux pour protéger nos enfants. En 2017, les forces de sécurité ont enregistré 22 000 mineurs victimes de violences sexuelles, soit un nombre en hausse de 10 % par rapport à l’année 2016. Des enquêtes dites « de victimisation » montrent également qu’il existe un écart très important entre ce qui est porté à la connaissance des forces de sécurité et la réalité. Le taux de victimisation est à son plus haut niveau pour les mineurs de sexe féminin, puisque, en 2017, 2, 5 mineures sur 1 000 ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles.

Face à ce fléau, je ne pense pas que la meilleure piste soit de s’engager dans une nouvelle modification du droit. Comme dans bien des domaines, il faut d’abord et avant tout faire appliquer le droit existant. Si votre demande d’évaluer les conséquences de la loi du 3 août 2018, dite loi Schiappa, est évidemment légitime, n’oublions pas que ce texte a été voté il y a tout juste un an.

Je souligne que cette loi a permis des avancées notables. Elle a aggravé la répression contre les infractions sexuelles commises sur mineurs et précisé la notion de contrainte morale. Elle a porté à dix ans d’emprisonnement la peine encourue pour l’atteinte sexuelle afin de garantir une répression renforcée de ces faits d’une particulière gravité. Elle a également allongé le délai de prescription pour les personnes ayant subi des faits alors qu’elles étaient mineures. Il est important de rappeler ces évolutions.

Vous le savez, le Gouvernement a annoncé son intention de confier à la députée Alexandra Louis, comme Mme la secrétaire d’État s’y était engagée à l’Assemblée nationale, une mission d’évaluation de la loi. Celle-ci est en cours. Conformément à vos préoccupations, un recul suffisant sur cette loi récente est nécessaire pour en évaluer les incidences concrètes sur le terrain et dans les décisions de justice.

Vous avez évoqué le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant une activité habituelle en contact avec les mineurs et le fameux FIJAISV. Sachez que nous travaillons en partenariat étroit avec le ministère de la justice sur ce sujet. La méconnaissance des textes, conjuguée à une absence de lisibilité, conduit actuellement à un contrôle insuffisant par de nombreuses administrations. Il est indispensable d’engager une action forte pour coordonner et soutenir l’action des ministères afin de garantir une consultation plus systématique du FIJAISV, quand cette possibilité est offerte. Certains ministères, comme celui de l’éducation nationale ou celui des sports, ont déployé des moyens techniques et technologiques à la hauteur de cet enjeu pour y parvenir.

Dans le domaine de la santé, nous devons faire en sorte que les établissements bénéficient des soutiens nécessaires pour parvenir à ce contrôle systématique du personnel, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Je vais conclure, car le temps qui m’est imparti est écoulé.

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