Intervention de Alain Milon

Réunion du 3 octobre 2019 à 14h30
Santé en guyane — Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales

Photo de Alain MilonAlain Milon :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce vaste territoire de France couvert de forêt amazonienne qu’est la Guyane possède, nous le savons tous, d’innombrables atouts ; mais, pour des raisons évidentes, tenant à sa géographie et également du fait de son contexte démographique et social, la Guyane fait aussi face à des défis singuliers.

Singuliers, ces défis le sont au regard de ceux de l’Hexagone, mais aussi de ceux des autres régions ultramarines. C’est à juste raison que, ici, nous parlons toujours des outre-mer au pluriel : nous savons bien que, si le copier-coller est une tentation, plaquer la même grille de lecture sur tous les territoires serait évidemment inopérant. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le Sénat consacre un temps spécifique à la santé en Guyane. Je me réjouis donc de la tenue de ce débat, qui nous permet de faire le point sur l’action menée par le Gouvernement, plus de deux ans après les accords de Cayenne, qui ont mis fin à un mouvement social dans lequel les questions de santé étaient sous-jacentes.

Lors d’une mission sur place, au printemps 2018, la commission des affaires sociales a été interpellée par la situation sanitaire guyanaise. Ce territoire nous est apparu comme une caisse de résonance des défis qui se posent à notre système de santé.

La démographie, cinq fois plus dynamique que la moyenne nationale, met tout le système en tension. Nous avons rencontré des équipes de soins engagées et dévouées, à l’instar de celles de métropole, mais que leur environnement général conduit, en pratique quotidienne, à l’épuisement : vétusté des équipements, précarité sociale des populations prises en charge – 20 % à 30 % des patients reçus à l’hôpital sont sans couverture sociale ou sans papier –, indicateurs de santé dégradés ; toutes difficultés auxquelles s’ajoutent le manque de professionnels et l’important turnover des équipes.

La crise survenue dès mai 2018 aux urgences de l’hôpital de Cayenne en a donné une illustration. Cette crise prend racine dans des déterminants multiples et profonds.

L’accès aux soins figure au premier rang de ces défis. L’enclavement des zones de l’intérieur le transforme en parcours du combattant pour une partie de la population. De fait, moins de la moitié des dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins qui maillent le territoire offrent une présence médicale continue.

Dans ce contexte, des initiatives intéressantes nous sont apparues encore trop peu exploitées, comme le développement d’hôtels hospitaliers permettant de réduire la pression sur les services. En outre, le coût des évacuations sanitaires, qui pèse sur les budgets des établissements de santé, mérite, nous semble-t-il, un traitement spécifique.

Sans surprise, l’ensemble de la Guyane est classé déficitaire en offre de soins, avec moins de 600 médecins en activité. L’hôpital subit les carences de l’amont – l’offre libérale parfois quasi inexistante – comme de l’aval – des structures médico-sociales d’accueil en nombre largement insuffisant.

Tous les métiers de la santé sont en souffrance, mais le manque se fait, dans certaines spécialités, particulièrement criant. C’est le cas en pédiatrie et en néonatalité, alors que la Guyane enregistre 9 000 naissances par an et que 40 % de sa population a moins de vingt ans.

Bien évidemment, en Guyane comme dans toutes les régions, la question de l’attractivité pour les professionnels de santé est étroitement corrélée à des enjeux plus globaux d’attractivité du territoire, auxquels les élus guyanais sont particulièrement attentifs. Toujours est-il que des leviers d’action sont mobilisables pour adapter l’organisation de l’offre de soins à ces défis.

Ainsi, il me semble que la Guyane devrait être à l’avant-garde de la transformation souhaitée de notre système de santé, en s’appuyant sur l’innovation. Je pense notamment aux coopérations entre professionnels de santé, qui pourraient faire des sages-femmes ou des infirmiers un relais pour développer la prévention. À cet égard, nous reviendrons sur les constats dressés par la Cour des comptes en ce qui concerne le VIH, dans un rapport établi à la demande de notre commission.

Les enjeux de la formation des professionnels de santé sont également majeurs. J’appelle votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’importance d’offrir sur place des terrains de stage aux futurs médecins et de développer les formations d’infirmier et de sage-femme. Sans être un CHU, le centre hospitalier de Cayenne présente des services de pointe, par exemple en matière de maladies infectieuses, qui méritent de servir de centres de référence au plan national et de catalyseurs de l’attractivité médicale dans la région.

Il me semble également que nous ne tirons pas pleinement parti du recours, déjà possible en Guyane, à des médecins diplômés hors de l’Union européenne ; la réflexion nous a souvent été faite, monsieur le secrétaire d’État, et je crois qu’il faut en tenir compte. Nous avons, au Sénat, pris l’initiative d’étendre ce dispositif aux Antilles lors de l’examen de la loi Santé. Je souhaite que le cadre rénové mis en place contribue à faciliter ces recrutements, étant entendu que, évidemment, nous devons rester intransigeants sur la qualité de la formation de ces médecins. Nous pensons en particulier à Cuba, où la formation à la médecine est particulièrement intéressante.

Alors que le Gouvernement a missionné sur place de multiples experts, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, sur les leviers que vous entendez actionner pour répondre à l’urgence de l’attractivité médicale de la Guyane et au malaise de ses équipes de soins ?

D’autres défis rejoignent pour partie la situation exceptionnelle de Mayotte, où j’ai souhaité que la commission se rende en mission l’année prochaine. Ainsi, la pression migratoire accentue les enjeux d’accès aux droits et aux soins. Pour ces deux territoires, le Premier ministre a confié en 2018 à notre ancienne collègue Dominique Voynet et au préfet Marcel Renouf une mission sur la coopération transfrontalière. Quelles suites le Gouvernement entend-il donner à ces travaux ?

Ce débat nous permet d’aborder sous le prisme de la santé des enjeux transversaux, dont cette intervention liminaire n’aura offert qu’un panorama succinct et incomplet. Aucune question ne trouve de réponse aisée, mais vous pouvez compter, monsieur le secrétaire d’État, sur notre volonté partagée de rechercher ensemble les solutions les mieux adaptées aux défis sanitaires d’un territoire riche de sa jeunesse et de sa diversité. Puisse ce débat y contribuer !

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