Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 octobre 2019 à 8h30
Agriculture et pêche — Communication de mme anne-catherine loisier sur l'accord tripartite entre la france l'irlande et le royaume-uni sur la filière équine

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier :

Il est heureux, mes chers collègues, que le Prix de l'Arc de Triomphe se tienne dimanche, juste avant le possible Brexit. Nos collègues du Parlement britannique nous ont alertés sur la caducité prochaine de l'accord tripartite liant notre pays au Royaume Uni et à l'Irlande et facilitant la circulation des chevaux de haut statut sanitaire. Cette remise en cause s'est faite à l'initiative de la précédente Commission européenne au moyen du règlement relatif à la santé animale et la sortie probable du Royaume-Uni n'a fait que renforcer sa position déjà peu favorable aux accords bilatéraux ou trilatéraux au sein de l'Union européenne, et moins encore à des accords avec des pays prêts à devenir des États tiers.

L'accord tripartite, en vigueur depuis près de quarante ans, est reconnu par la directive européenne du 26 juin 1990 sur les conditions sanitaires des échanges d'équidés. Il permet de simplifier les formalités sanitaires pour les échanges et les déplacements des équidés entre les trois pays signataires. Les chevaux concernés sont des équidés enregistrés, destinés à participer à des courses, à l'entraînement, à la compétition, à la reproduction et à la vente aux enchères. Ces chevaux exceptionnels présentent des garanties sanitaires supérieures et ils sont autorisés, en conséquence, à circuler entre les trois pays sans attestation ni certificat sanitaire, avec un simple document commercial, le DOCOM, édité par un opérateur agréé et enregistré auprès d'un organisme lui-même habilité par les autorités vétérinaires officielles. Pour la France, il s'agit de France Galop pour les purs sangs et autres chevaux de courses, et de l'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) pour les chevaux et les poneys de selle. Ce système dérogatoire, qui repose sur une certification par les professionnels et sur un contrôle de second niveau par les autorités, fonctionne à la satisfaction de tous.

En cas de Brexit sans accord, l'Union européenne souhaite mettre un terme à l'accord tripartite. Or il serait profitable aux trois pays, voire à d'autres États membres, que la Commission européenne prévoie d'inclure dans la législation secondaire européenne traitant de la santé animale une base juridique permettant de mettre en place, entre les États membres éligibles du point de vue sanitaire, un dispositif similaire à l'accord tripartite. Ce dispositif nouveau, pérenne et élargi serait accessible aux pays tiers intéressés après reconnaissance d'équivalence. Ainsi, une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union européenne, les échanges facilités des chevaux de compétition et de reproduction présentant des garanties sanitaires irréprochables pourraient se poursuivre entre les trois États précités qui sont les plus concernés par ces échanges, car ils disposent chacun d'une remarquable filière équine. Je vous rappelle qu'en France, le chiffre d'affaires des courses de chevaux est estimé à 10 milliards d'euros par an. Malheureusement, la Commission européenne ne semble pas convaincue par cette solution et poursuit l'idée de mettre en place, au moyen du règlement adopté en 2016, un régime de surveillance de la santé animale unifié au sein de l'Union européenne.

La filière des courses équestres est considérablement intégrée entre les trois pays signataires de l'accord : 26 000 chevaux sont concernés chaque année. Les autres États membres échangent très peu d'équidés et, au fond, cet accord a été mis en place essentiellement pour des raisons pratiques. Imaginez que le Prix de l'Arc de Triomphe soit précédé d'une quarantaine pour les chevaux... Ce ne serait pas faisable ! Il est d'ailleurs intéressant de rappeler que l'accord tripartite est né sous la forme d'un simple protocole de coopération entre les chefs de services vétérinaires de chaque pays selon l'approche bottom-up, peu prisée par la Commission européenne, qui pratique au contraire le top-down. Pourtant, sa base juridique a été à nouveau consolidée par la directive sanitaire 2009-CE156, prochainement abrogée par le règlement transversal (UE) 2016/429 dit loi de santé animale, qui entrera en vigueur le 21 avril 2021, privant l'accord tripartite de base juridique européenne. Une risque d'arrêt brutal de l'application de l'accord existe à compter du 1er novembre 2019 en cas de Brexit sans accord.

La volonté du secteur est de maintenir les conditions actuelles de circulation des chevaux entre les trois pays. Les autorités nationales et les fédérations professionnelles se sont livrées à un lobbying intense auprès des administrations nationales, des élus et de la Commission européenne. Les autorités françaises et irlandaises ont adressé une note à la Commission européenne en octobre dernier proposant la création, sur le modèle du code sanitaire de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE), d'un statut sanitaire élevé pour les chevaux soumis à une surveillance sanitaire étroite et maintenus dans des conditions garantissant des mesures de biosécurité adéquates, faculté qui serait ouverte à une liste de pays tiers autorisés qui bénéficieraient d'une analyse de risque favorable.

La Commission européenne n'envisage pas de proposer un dispositif particulier pour les chevaux de haut statut sanitaire en provenance de pays tiers. Ils devront donc passer par des postes de contrôles frontaliers et être soumis à une certification vétérinaire, voire à une quarantaine. Les postes de contrôle frontalier de Calais - port et tunnel - nouvellement créés en préparation du Brexit disposent d'une station animalière qui peut accueillir les chevaux et qui a reçu l'agrément provisoire des services de la Commission européenne. Il en est de même pour Caen-Ouistreham, Cherbourg, Dieppe et Saint-Malo. Précédemment, seul le poste de Deauville disposait déjà d'un agrément pour les chevaux sur la façade de la Manche. Toutefois, les postes d'inspection frontaliers (PIF) ne sont pas conçus pour recevoir et contrôler des flux de camions d'une telle ampleur, d'autant qu'ils sont concentrés sur certaines périodes.

Pour la Commission européenne, les dérogations existant dans l'accord tripartite doivent être accessibles à l'ensemble des États membres qui remplissent les conditions, mais pas aux pays tiers. En créant une exception pour le Royaume-Uni, l'augmentation du risque d'introduction de maladies depuis d'autres pays serait trop grande. L'Irlande et la France se trouvent donc face à une fin de non-recevoir. Le ministre français de l'agriculture et de l'alimentation ne prévoit pas de relancer de nouvelles initiatives sur ce dossier. Seul France Galop continue à se battre, alors même que les nouveaux textes ont été publiés.

Il appartient à notre commission de déterminer la stratégie qu'elle souhaite mettre en place pour obtenir le maintien du statu quo, qui a le mérite de faire gagner du temps et de l'argent à la filière équine comme à l'administration. Une solution consisterait en la mise en place de fast tracks aux postes frontaliers pour faciliter le passage des chevaux. Les professionnels, en effet, peuvent aisément fournir les documents vétérinaires nécessaires. Hélas, la Commission européenne ne semble pas favorable à un tel compromis. La situation apparaît complexe, sans même évoquer les conséquences du Brexit sur les taxes douanières. Nous courons un risque d'entrave majeure à notre élevage, à nos exportations de chevaux, et à nos courses équines qui ont besoin de chevaux britanniques au départ.

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