Intervention de Elisabeth Borne

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 8 octobre 2019 à 17h15
Incendie de l'usine lubrizol à rouen — Audition de Mme élisabeth Borne ministre de la transition écologique et solidaire

Elisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire :

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui pour évoquer la catastrophe industrielle qui touche depuis jeudi 26 septembre les habitants de Rouen, de la Seine-Maritime et au-delà.

Cette catastrophe résulte de l'incendie qui a pour origine deux sites industriels, les entreprises Lubrizol et Normandie Logistique. En préambule, je tiens à dire combien nous comprenons l'émotion et l'inquiétude de tous les habitants touchés par cette catastrophe. Il est bien sûr de notre devoir d'y répondre. Le Premier ministre, devant la représentation nationale, a pris l'engagement de faire preuve d'une transparence absolue. Je le redis : notre rôle est non pas de rassurer coûte que coûte, mais de dire la vérité. Toutes les informations, toutes les données scientifiques sont rendues publiques au fur et à mesure que nous en disposons. Cette audition participe aussi de cette volonté de transparence.

Je tiens également à souligner la très grande mobilisation du Gouvernement et de l'ensemble des services de l'État pour faire face à cette crise et être aux côtés des Rouennais. Je pense au ministère de l'intérieur, chargé de la gestion de crise, au ministère de la santé, s'agissant des effets sanitaires, au ministère de l'agriculture pour les impacts sur les productions agricoles, au ministère de l'éducation nationale pour les écoles, au ministère du travail s'agissant de la protection des travailleurs, en particulier ceux qui interviennent sur le site, et, bien sûr, à mon ministère.

Sur de telles installations, le ministère de la transition écologique et solidaire est plus particulièrement chargé de la prévention des risques industriels. En cas d'accident, il est chargé de prévenir tout risque de sur-accident, de contrôler la réalisation par l'exploitant des opérations de dépollution et de superviser l'évaluation à court, moyen et long terme de l'impact environnemental. Le ministère remplit ses missions en s'appuyant sur l'expertise des agences de l'État spécialisées. Je pense notamment à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris) et à l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Il s'assure également que les industriels assument toutes leurs responsabilités.

La mobilisation du Gouvernement s'est traduite dès le début de ce très grave incendie pour prévenir tout risque pour les populations pendant la crise.

Je rappelle les faits : l'incendie s'est déclaré aux alentours de deux heures quarante le jeudi 26 septembre à Rouen, au sein de deux entreprises. L'entreprise Lubrizol, qui est classée Seveso seuil haut, produit des additifs pour lubrifiants. Dès le début de l'incendie, les sapeurs-pompiers sont intervenus et ont mobilisé des moyens très importants. Au total, 200 sapeurs-pompiers, 200 véhicules venus de six départements, renforcés par des moyens nationaux de la sécurité civile, ont pris part aux opérations. Ils ont par ailleurs bénéficié de moyens d'extinction supplémentaires, mis à leur disposition par les principaux exploitants de sites Seveso du département.

Je tiens à saluer l'engagement sans faille des services de secours, dont le grand professionnalisme a permis, malgré les risques, de maîtriser le sinistre dès le début d'après-midi et surtout d'écarter tout risque de sur-accident. Je tiens également à rendre hommage aux équipes de mon ministère, en particulier à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie (Dreal), qui est mobilisée jour et nuit depuis la survenue de ce sinistre.

En complément, des moyens exceptionnels, notamment issus du plan Polmar (POLlution MARitime), ont été mobilisés pour écarter les risques de pollution de la Seine par les débordements des eaux fortement polluées d'extinction du site. Des barrages flottants ont permis de confiner ces eaux avant qu'elles ne soient pompées. La protection des populations a immédiatement été au coeur de l'attention des services de l'État. Très vite, et par précaution, un périmètre de sécurité a été mis en place dans un rayon de 500 mètres autour du site. Les établissements scolaires ont été fermés pour permettre leur nettoyage dans douze communes situées sous les fumées. Des consignes ont été passées afin d'inviter chacun à limiter ses déplacements.

Ces mesures de précaution ont aussi consisté à mesurer en urgence la qualité de l'air. Des prélèvements ont été réalisés en grand nombre par les services de secours tôt le matin du jeudi 26. Ils ont porté sur différents polluants : sulfure d'hydrogène, dioxyde de soufre, dioxyde d'azote et monoxyde de carbone, ces substances étant habituellement produites lors de ce type d'incendie. Ces analyses ont été complétées par des mesures exceptionnelles réalisées par une association indépendante et agréée de surveillance de la qualité de l'air, Atmo Normandie. Les résultats de ces prélèvements ont été mis en ligne le vendredi 27, puis le samedi 28. Tous les autres résultats étaient inférieurs aux seuils mesurables, sauf sur le site de l'usine pour ce qui concerne certains composés organiques volatils et des composés soufrés.

Le toit de l'entrepôt étant amianté, des analyses ont été réalisées dans un rayon de 300 mètres autour de l'usine, lequel a été élargi à 800 mètres, puis à plusieurs kilomètres. Selon les derniers résultats mis en ligne hier soir, aucune fibre n'a été détectée dans les prélèvements de surface réalisés dans un rayon de 300 mètres autour du site. Dans l'air, les concentrations sont inférieures au seuil de recherche dans les bâtiments. On peut donc considérer que l'incendie n'a pas généré autour du site des niveaux inhabituels ou préoccupants de fibres d'amiante dans l'air.

En ce qui concerne les suies, des préconisations ont été formulées par les autorités sanitaires sans attendre les résultats des analyses. Il a notamment été demandé de les manipuler avec des gants et de procéder au nettoyage des surfaces touchées. Ces analyses ont immédiatement été réalisées pour rechercher les polluants dangereux habituellement produits par ce type d'incendie, des métaux et des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Ces analyses, mises en ligne samedi 28, ne mettent pas en évidence de pollution particulière, hormis la présence de plomb, qu'il n'est pas possible de différencier de la pollution de fond ou d'imputer à l'accident, l'usine n'utilisant pas particulièrement de plomb.

Une attention particulière est portée à la recherche de dioxines dans les retombées, mais aussi dans les productions agricoles. À cet égard, j'indique que l'analyse de ces polluants prend du temps, ce qui explique que les premiers résultats n'aient été connus qu'en fin de semaine dernière. Les résultats dont nous disposons montrent que les teneurs en dioxines sont inférieures aux seuils existants pour les produits agricoles. Plusieurs campagnes seront nécessaires pour nous prononcer, car les dioxines peuvent s'accumuler dans les animaux et les végétaux. La surveillance se poursuit en liaison étroite avec l'Anses.

Les analyses ont été réalisées le plus précocement possible pour éclairer les impacts environnementaux et sanitaires de cet accident. Par exemple, lors du précédent incident de 2013, les services de secours ne disposaient pas du tout d'outils de mesure tels que ceux qu'ils ont utilisés immédiatement pendant l'incendie. C'est la première fois que nous réalisons sur un incendie des analyses aussi rapides, sur un spectre aussi large. Des prélèvements continueront d'être effectués aussi longtemps qu'ils seront nécessaires.

Aujourd'hui, les odeurs persistantes sur place inquiètent beaucoup les Rouennais. Nous avons conscience de la gêne et de l'inquiétude qu'elles suscitent. Les services de l'État ont fixé deux priorités claires à l'exploitant, dès l'extinction du sinistre : mettre en sécurité le site pour éviter un sur-accident et traiter les sources d'odeurs. Cela implique le nettoyage des résidus de combustion sur le site et l'évacuation de 1 000 fûts, dont 160 peuvent être à l'origine d'émanations. Depuis hier, un espace de confinement est en cours d'installation sur les fûts. Il permettra leur manipulation, leur neutralisation et leur évacuation, tout en limitant les risques de mauvaises odeurs. En parallèle, nous avons demandé aux exploitants des deux sites d'accélérer le nettoyage des résidus de combustion et le pompage des eaux d'extinction, qui peuvent également être source de mauvaises odeurs. Les principales opérations devraient être finalisées avant la fin de la semaine.

Nous conserverons lors de la phase post-accidentelle le même niveau d'exigence et de transparence. L'objectif est de procéder à l'évaluation précise des conséquences de cette catastrophe dans la durée, sur l'environnement et la santé. Pour cela, les services appliquent un protocole très clair. Il faut d'abord affiner la liste des substances susceptibles d'avoir été émises dans l'environnement. Nous avons ciblé lors de la phase de crise les principaux polluants ; nous recherchons à présent ceux qui pourraient avoir des effets potentiels à moyen et à long terme.

Comme nous nous y étions engagés, les listes des substances qui étaient stockées sur les sites ont été rendues publiques. Je reconnais que les listes fournies par les exploitants ne sont pas facilement exploitables, mais nous les avons transmises à l'Ineris et à l'Anses afin qu'ils nous aident à identifier d'éventuels polluants complémentaires, qu'il serait pertinent de rechercher dans le cadre de la surveillance de l'environnement. Les premiers retours partiels dont nous disposons montrent la pertinence des substances recherchées dans les premiers prélèvements. L'analyse de quelques paramètres complémentaires est préconisée pour les denrées alimentaires, notamment des phtalates et du zinc, mais il n'est pas demandé de rechercher des produits complémentaires, notamment dans l'air.

Ces données nous permettront d'alimenter la surveillance approfondie de l'ensemble des impacts environnementaux dans l'eau, dans l'air, dans les sols et dans les produits agricoles. Cette surveillance a été prescrite à l'exploitant Lubrizol. Les résultats des analyses qui ont d'ores et déjà été effectuées seront versés à cette surveillance. Enfin, cette cartographie de la pollution de l'environnement permettra la réalisation d'une étude de risques sanitaires, à la demande des autorités sanitaires. Le Gouvernement a indiqué qu'il était favorable à la mise en place d'un suivi épidémiologique de long terme par les autorités sanitaires locales.

Nous portons également une attention très forte au transfert de contaminants vers la chaîne alimentaire. À cet égard, les préfets et le ministère de l'agriculture ont pris des mesures de précaution très rapidement et édicté des mesures de confinement des productions agricoles, dans l'attente du résultat des analyses, concernant notamment les dioxines. Je suis bien consciente, tout comme le ministre de l'agriculture, que c'est une épreuve difficile pour les éleveurs et les agriculteurs, mais je sais aussi qu'ils sont très attachés à la qualité sanitaire de leurs produits. Nous prenons clairement l'engagement de bien les accompagner afin de compenser leurs pertes d'exploitation.

Agnès Buzyn, Didier Guillaume et moi-même, nous installerons vendredi prochain un comité de suivi pour assurer, dans la durée, la totale transparence sur les conséquences environnementales et sanitaires de cet accident. Ce comité rassemblera les collectivités, les associations de protection de l'environnement, les professionnels de santé, les représentants des riverains et des professionnels impactés. Nous sommes déterminés à faire la pleine lumière sur les conséquences de ce grave accident dans la durée.

Au-delà des conséquences directement perceptibles, il faudra aussi assurer la pleine transparence sur les causes de cet accident. Dès jeudi 26, j'ai annoncé le lancement d'une enquête administrative, qui complétera l'enquête pénale en cours. Aujourd'hui, de nombreuses zones d'ombre demeurent, à commencer par l'origine même de l'incendie, alors que le site faisait l'objet d'une surveillance rigoureuse par le service de l'inspection des installations classées de la Dreal.

Depuis le précédent accident, survenu en 2013, 39 inspections ont été réalisées sur ce site, les dernières datant de juin et de septembre. Un plan de prévention des risques technologiques (PPRT) a été approuvé en 2014. Nous ne disposerons d'une analyse plus précise des causes que d'ici quelques semaines, mais j'ai d'ores et déjà saisi l'ensemble des préfets afin qu'ils demandent aux exploitants des sites Seveso de renforcer leur vigilance et d'interroger leurs propres systèmes et procédures de gestion des risques, au regard de cet incendie.

Vous le constatez, le Gouvernement et les services de l'État sont depuis les premières heures pleinement mobilisés pour protéger les Français. Nous continuerons de le faire et nous serons pleinement transparents, y compris sur les causes de l'accident. Nous le devons aux Français et à la représentation nationale.

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