Intervention de Didier Migaud

Commission des affaires sociales — Réunion du 9 octobre 2019 à 9h35
Rapport annuel de la cour sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis heureux de vous présenter l'édition 2019 de notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, un rapport établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission de la Cour d'assistance au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont la présentation au Parlement est imminente.

La sécurité sociale est une institution-clé, sur laquelle reposent la solidarité et la cohésion nationales. Elle mobilise à ce titre des montants financiers très élevés. Ainsi, en 2018, les régimes de sécurité sociale ont versé près de 480 milliards d'euros de prestations, soit environ 21 % de notre richesse nationale. Quand on prend en compte également les retraites complémentaires, l'assurance chômage et les aides au logement, ainsi que les prestations de solidarité financées par l'État et les départements, les prestations sociales représentent 28 % de notre produit intérieur brut et la moitié de nos dépenses publiques.

Le niveau de protection sociale dont bénéficient nos concitoyens est, en moyenne, très élevé par rapport à celui de la plupart des autres pays européens. De fait, en 2018, l'assurance maladie a pris en charge plus de 78 % des dépenses de santé des Français, ce qui place notre pays dans la fourchette haute du financement public des dépenses de santé au sein de l'Union européenne. De même, grâce à notre système de retraites, le taux de pauvreté de nos retraités est de 8 %, contre 14 % pour la population française dans son ensemble.

Toutefois, la sécurité sociale connaît depuis de trop nombreuses années une situation financière fragilisée, et les performances de notre système de protection sociale ne sont pas toujours à la hauteur des efforts consentis pour le financer.

Les travaux que nous publions nous conduisent, année après année, à analyser la trajectoire financière des comptes sociaux. Ils visent aussi à formuler des recommandations et à esquisser des pistes de réforme pour parvenir à un équilibre financier durable et à une efficacité renforcée dans l'emploi des ressources de la sécurité sociale. C'est à cet exercice que nous nous sommes livrés cette année encore, dans un contexte qui, vous le savez, diffère sensiblement de celui de l'année dernière.

Notre rapport dresse trois constats : alors qu'elle s'approchait de l'équilibre financier l'année dernière, la sécurité sociale s'en éloigne désormais brutalement, ce qui constitue une rupture avec la trajectoire de redressement suivie depuis 2011 ; pour que la sécurité sociale soit durablement à l'équilibre, il convient de ramener l'évolution de ses dépenses à un niveau compatible avec celle de ses recettes, ce qui suppose notamment de maîtriser plus efficacement ses postes de dépense les plus dynamiques ; pour maîtriser l'évolution des dépenses et mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, il est possible de mobiliser plus activement les marges d'efficience de notre système de protection sociale.

La Cour exprime ainsi un message simple, mais important : alors que le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale s'éloigne, au moins provisoirement, il existe des réserves d'économies et d'efficience pour atteindre un équilibre durable, tout en améliorant l'efficacité et l'équité de notre système de protection sociale.

S'agissant d'abord de l'appréciation que porte la Cour sur la situation financière de la sécurité sociale, je commencerai par un bref rappel historique.

Depuis les années 1990, la sécurité sociale est toujours en déficit, à l'exception d'une brève rémission, au début des années 2000. Avant la récession de 2009, son déficit avoisinait les 9 milliards d'euros. En 2010, au plus fort de la crise, il a atteint près de 30 milliards d'euros. Ce déficit a ensuite été réduit de manière continue, jusqu'à ce que l'équilibre soit pratiquement atteint l'année dernière : le déficit de l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a été ramené en 2018 à 1,4 milliard d'euros, dont 1,2 milliard d'euros pour le régime général et le FSV.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait pour cette année le retour à l'équilibre financier, pour la première fois depuis 2001. Ensuite, la sécurité sociale devait dégager des excédents croissants, permettant d'atteindre simultanément trois objectifs : un équilibre financier durable ; l'amortissement par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), d'ici à 2024, de la partie de la dette sociale financée par des emprunts de trésorerie de court terme émis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), grâce à un transfert à la Cades de recettes de CSG ; le rééquilibrage des relations financières de la sécurité sociale avec l'État par la réaffectation à celui-ci de recettes de TVA.

Mais, en quelques mois, la donne a radicalement changé, rendant désormais caduc ce scénario très favorable, alors même que la conjoncture économique de notre pays ne s'est pas fondamentalement dégradée depuis l'année dernière. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoit en effet un déficit de 5,4 milliards d'euros pour le régime général et le FSV, soit un écart de 5,5 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ; en 2020, le déficit ne se réduirait que légèrement, à 5,1 milliards d'euros. Surtout, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est désormais reporté, au mieux, à 2023, soit après la législature en cours - une grande partie de l'effort intervenant d'ailleurs après 2022.

En conséquence, les trois objectifs que j'ai mentionnés ne seront pas atteints. Faute de retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale et compte tenu de cette nouvelle trajectoire, la dette sociale diminuera moins vite que prévu. La rétrocession de TVA à l'État et le transfert de CSG à la Cades n'auront pas lieu non plus. Du fait de l'accumulation des déficits, la dette sociale maintenue à l'Acoss pourrait atteindre près de 30 milliards d'euros à la fin de cette année et près de 46 milliards d'euros à la fin de 2022, sans solution d'amortissement. Un nouvel échéancier de remboursement et d'extinction de la dette maintenue à l'Acoss doit donc être défini.

Cet écart massif par rapport à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 tient à deux facteurs, de poids équivalent.

Pour moitié, le dérapage de la trajectoire de retour à l'équilibre de la sécurité sociale traduit les mesures d'urgence économiques et sociales adoptées à la fin de l'année dernière, à la suite du mouvement dit des « gilets jaunes ». Pour 2019, leur effet sur les comptes sociaux est évalué à 2,7 milliards d'euros ; ce montant intègre le rétablissement du taux de CSG de 6,6 % pour une partie des retraités et l'avancement au 1er janvier de l'exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires. Le Gouvernement a choisi de financer ces mesures par la dette, et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 écartent leur compensation par l'État.

Pèseront aussi sur le déficit de cette année, à hauteur de 2,8 milliards d'euros, des corrections importantes des hypothèses d'évolution des dépenses et des recettes par rapport à celles retenues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Du côté des recettes, la masse salariale augmentera finalement de 3 %, au lieu des 3,5 % prévus, ce qui engendre 1 milliard d'euros de recettes en moins. Du côté des dépenses, l'accélération se poursuivrait, puisqu'elles augmenteraient à périmètre constant de 2,5 % en 2019, après 2,4 % en 2018 et 2 % en 2017, alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait un ralentissement à 2,1 %. De ce décalage il résulterait 1,4 milliard d'euros de dépenses supplémentaires par rapport au niveau prévu.

Cette analyse devra être confirmée par les résultats complets de l'exécution financière pour 2019, que la Cour devra certifier. Mais il est déjà assez évident que le déficit de 2019 sera principalement structurel, c'est-à-dire indépendant des effets de la conjoncture économique. Or tant que la sécurité sociale n'aura pas atteint un équilibre structurel, un équilibre pérenne sur la durée des cycles économiques sera impossible. C'est pourtant le seul moyen d'éviter la constitution d'une dette sociale durable. À cet égard, je souligne que nos concitoyens ont acquitté en 2018 près de 16 milliards d'euros de prélèvements sociaux pour financer les remboursements d'emprunt et les intérêts sur les emprunts non encore remboursés.

Comment donc parvenir à un équilibre structurel de la sécurité sociale ?

S'agissant des recettes, les pouvoirs publics considèrent en général que le niveau atteint en France par les prélèvements obligatoires rend difficilement envisageable une nouvelle augmentation. À taux global inchangé ou en baissant les prélèvements obligatoires, la Cour estime qu'il existe des marges pour améliorer la cohérence des prélèvements sociaux, affectée par de multiples exemptions et exonérations - les fameuses niches sociales.

La Cour évalue l'incidence de ces niches sur les recettes de la sécurité sociale à plus de 90 milliards d'euros par an, principalement compensés par l'État. Bien entendu, il s'agit d'un montant brut : supprimer la totalité des niches n'engendrerait pas 90 milliards d'euros de recettes supplémentaires, la disparition de certaines pouvant avoir des effets défavorables sur l'emploi qui rétroagiraient sur les recettes de la sécurité sociale.

Hétérogènes, ces niches intègrent 52 milliards d'euros d'allègements généraux de cotisations visant à réduire le coût du travail et à stimuler l'emploi. Elles comprennent aussi des exemptions d'assiette, ainsi que des exonérations ciblées en faveur de secteurs d'activité, zones géographiques ou publics particuliers. Or le renforcement continu des allègements généraux intervenu ces dernières années ne s'est pas accompagné d'une réduction des exonérations ciblées, ce qui aurait pu être considéré comme logique.

En outre, les allègements généraux n'ont pas été intégrés aux taux de cotisation, ce qui renvoie l'image d'un prélèvement social beaucoup plus élevé qu'il ne l'est en réalité. Souhaitable dans son principe, cette barémisation comporte toutefois des préalables. En effet, les incidences des allègements généraux sur l'emploi et la compétitivité des entreprises, ainsi que sur la distribution des salaires, sont débattues, compte tenu notamment du profil de ces allègements en fonction des niveaux de salaire. Le travail d'objectivation en la matière doit être poursuivi.

La Cour recommande aussi d'évaluer les effets des exemptions d'assiette et des exonérations ciblées selon des méthodes robustes, afin de supprimer ou de fermer aux nouveaux bénéficiaires les dispositifs qui s'avèrent inefficaces. Dans l'attente de telles évaluations, il conviendrait de réduire dans le temps le poids financier des dispositifs dont l'efficacité est incertaine, en gelant leurs paramètres de calcul ou de plafonnement. Non seulement les évaluations n'existent pas toujours, mais, quand il y en a et qu'elles sont négatives, on n'en tient pas compte...

Reste que l'enjeu principal pour le retour de la sécurité sociale à un équilibre financier durable porte sur les dépenses. C'est sur ce point que se concentre l'essentiel de nos observations.

Pour que la sécurité sociale connaisse un équilibre structurel, l'évolution des dépenses ne devrait pas dépasser la croissance potentielle de la richesse nationale, qui détermine l'évolution des recettes sociales à moyen terme. Or depuis le début des années 2000, les dépenses de sécurité sociale ont presque toujours augmenté plus vite que la croissance potentielle. Cette augmentation trop rapide ne concerne pas toutes les dépenses au même degré. Notre rapport s'attache à trois postes particulièrement dynamiques : les retraites, les transports de malades et les indemnités journalières d'arrêt maladie.

En ce qui concerne les retraites, la Cour s'est penchée cette année sur un aspect particulier de notre système : les départs en retraite à taux plein avant l'âge légal ou à l'âge légal, mais sans la durée d'assurance requise.

Dans le débat actuel sur l'avenir de notre système de retraite, ce sujet est majeur. En effet, alors que, au début de la décennie, un départ à la retraite sur trois se faisait de manière anticipée, en 2017, cette proportion a atteint un sur deux, du fait principalement des retraites anticipées pour carrière longue, dont les règles ont été assouplies en 2012. Ces départs anticipés ont un coût évalué à près de 14 milliards d'euros en 2016.

En 2018, le flux des départs anticipés pour carrière longue, qui sont fonction de la durée d'assurance, s'est inversé, pour la première fois depuis 2010, sous l'effet de l'allongement de la durée requise par la réforme des retraites de 2014. Afin de conforter cette évolution, la Cour préconise de stabiliser durablement les règles des retraites anticipées pour carrière longue, qui peuvent être tout à fait légitimes. En outre, le périmètre des catégories actives dans la fonction publique devrait continuer à être réexaminé.

Alors que peu d'assurés partent aujourd'hui en retraite de manière progressive, il conviendrait aussi de privilégier les transitions souples de l'emploi vers l'inactivité. En outre, la Cour recommande d'inciter financièrement les employeurs à mieux prévenir la pénibilité du travail, en modulant les cotisations finançant le compte professionnel de prévention (C2P).

S'agissant de l'assurance maladie, le rythme d'évolution des dépenses relevant de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été nettement réduit depuis le milieu de la décennie ; cet objectif est respecté année après année, et, selon toute vraisemblance, il le sera également en 2019. Toutefois, certains postes de dépense connaissent une véritable dérive. Cette année, la Cour s'est penchée sur deux d'entre eux : les transports de patients et les indemnités journalières pour maladie.

Les dépenses de transport de patients sont dépourvues de mécanismes de régulation efficaces et pèsent à hauteur de 5 milliards d'euros sur les comptes de l'assurance maladie. À périmètre constant, elles ont augmenté de 4 % en 2018. Les établissements de santé sont à l'origine de plus de 60 % de ces dépenses, mais n'en assument qu'une part limitée sur leurs budgets. Il existe bien des quotas départementaux de véhicules de transport, mais ils ont souvent été dépassés dès leur instauration, en 1995, n'ont pas été régulièrement actualisés depuis lors et ne couvrent toujours pas les taxis conventionnés. Les coûts moyens de transport diffèrent aussi grandement entre les départements, selon la place relative des transports les plus coûteux - ambulances et taxis conventionnés - et de ceux qui le sont moins - véhicules sanitaires légers, notamment.

En la matière, la Cour préconise deux évolutions essentielles.

En premier lieu, il convient de mener à son terme le transfert au budget des établissements de santé du financement des dépenses de transport, qui concerne aujourd'hui uniquement les trajets internes aux établissements ou entre établissements. Ce transfert devrait concerner d'abord les trajets domicile-structure de soins pour les séances de dialyse.

En second lieu, il faut faire de l'appréciation indépendante par le médecin de l'incapacité ou des déficiences du patient le seul critère de la prescription des transports, alors que près de 140 critères entrent en jeu aujourd'hui.

Quant aux indemnités journalières pour arrêt de travail lié à une maladie, elles constituent aussi des dépenses particulièrement dynamiques : elles ont augmenté de 4,4 % en 2018. Si les dépenses d'indemnisation se contentaient de suivre les effectifs de salariés et les rémunérations versées, elles ne soulèveraient pas de difficulté. Seulement voilà : elles augmentent plus vite que la masse salariale, et cet écart ne résulte pas seulement de la participation accrue à l'activité économique de salariés dont les réformes des retraites conduisent à reporter la fin de l'activité ; il s'explique aussi par un allongement général de la durée moyenne des arrêts de travail. La Cour préconise donc de responsabiliser davantage les trois parties prenantes des arrêts de travail pour maladie : les employeurs, dont les conditions de travail peuvent contribuer à la demande d'arrêt, les assurés, qui sollicitent ces arrêts, et les médecins, qui les prescrivent.

Ainsi, la mise à la charge des employeurs d'une part accrue du financement des arrêts de travail pour maladie, à niveau inchangé d'indemnisation globale pour les salariés, pourrait être étudiée. Un jour de carence d'ordre public non indemnisé - ni par l'assurance maladie, ni par les employeurs, ni par les assurances privées - pourrait être instauré pour les salariés, comme c'est déjà le cas pour les fonctionnaires. Enfin, une minorité de médecins prescrivent beaucoup plus de journées d'arrêt de travail que leurs confrères, à patientèle comparable. L'assurance maladie tente de faire évoluer les pratiques par la persuasion, mais avec des effets limités. La Cour estime que la dématérialisation obligatoire des prescriptions d'arrêt de travail par les médecins, que la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé vient d'instaurer, devrait s'accompagner d'une obligation de motivation par les médecins des arrêts dépassant les durées préconisées par la Haute Autorité de santé pour les pathologies courantes. Des conséquences financières pourraient être tirées à l'encontre des médecins dépassant ces durées sans justification de manière importante et durable.

Ces enjeux ne sont pas seulement financiers : ils soulèvent aussi des questions d'équité entre les parties prenantes de la protection sociale, qu'elles en bénéficient ou qu'elles contribuent à son financement.

Ainsi, les assurés qui partent en retraite de manière anticipée au titre d'une carrière longue n'ont pas, en moyenne, pour ce que l'on en sait, une espérance de vie inférieure à la moyenne des assurés. Il en va de même pour les départs anticipés dans la fonction publique au titre d'une catégorie active. Par ailleurs, le dynamisme des dépenses de transport de patients a pour corollaire les ressources plus limitées consacrées au transport de personnes âgées ou handicapées entre leur domicile et les établissements médico-sociaux. Quant à la hausse des arrêts de travail pour maladie, elle s'accompagne de transferts de charges entre les différents secteurs d'activité, dans la mesure où l'importance relative des arrêts varie grandement. Notre rapport présente plusieurs illustrations de telles situations non équitables.

J'en viens au dernier aspect de nos travaux de cette année : l'organisation et le fonctionnement de nos systèmes de santé et de protection sociale.

Si les technologies numériques sont un puissant vecteur de transformation de la relation de service des caisses de sécurité sociale avec les assurés sociaux, qui peuvent effectuer un nombre croissant de démarches sur internet à partir d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un smartphone, cette transformation reste incomplète.

Au-delà de la généralisation de l'offre de services numériques à toutes les démarches, des objectifs nouveaux ou plus ambitieux devraient être fixés aux caisses de sécurité sociale pour l'accompagnement des assurés à l'utilisation des outils numériques et le développement des échanges à distance sur rendez-vous avec des agents. Les caisses doivent aussi améliorer l'accessibilité des accueils téléphoniques et la qualité des réponses apportées aux appels et aux courriels des assurés.

Concrétiser ces progrès très attendus permettrait aux caisses de déléguer plus largement l'accueil physique à des partenaires - nous pensons notamment aux maisons France Services, qui succéderont aux maisons de services au public. Les demandes des personnes à mobilité réduite et les situations complexes qui appellent une expertise particulière seraient alors traitées à distance, dans des conditions meilleures qu'aujourd'hui.

Le développement des usages du numérique peut simplifier les démarches des assurés, en leur évitant de produire les mêmes documents ou d'effectuer les mêmes démarches auprès de plusieurs organismes sociaux. Il doit aussi contribuer au paiement à bon droit des prestations sociales.

Sur ce point, un enjeu essentiel porte sur l'utilisation à court terme par les caisses d'assurance maladie et d'allocations familiales des données - salaires, prestations sociales, entre autres - rassemblées dans la base des ressources mensuelles mise en place pour permettre, à compter de 2020, le calcul des aides au logement en fonction des revenus. Ces données peuvent permettre de réduire les erreurs, mais aussi les fraudes affectant les prestations versées au titre du RSA, de la prime d'activité, des pensions d'invalidité et de la reconnaissance du droit à la CMU-C.

La Cour souligne aussi l'existence d'un important potentiel d'économies au titre des indemnités journalières, trop souvent affectées par des erreurs ou des délais de versement anormalement longs, du fait de processus de gestion sous-optimaux de l'assurance maladie. En utilisant les données de la base des ressources mensuelles, les caisses de sécurité sociale pourront, par ailleurs, mieux accompagner les assurés, en détectant les situations de non-recours aux droits.

Cet enjeu de l'accompagnement des assurés, la Cour le souligne cette année pour un domaine insuffisamment suivi de notre système de protection sociale : les pensions d'invalidité. Depuis son instauration pour les salariés, en 1945, l'assurance invalidité a peu évolué, et ses enjeux humains et financiers sont aujourd'hui insuffisamment pris en compte. Nous préconisons donc de mieux accompagner les 820 000 personnes invalides vers l'emploi et leurs droits sociaux. Plus précisément, il conviendrait de lisser le plafonnement du cumul entre revenus d'activité et pensions d'invalidité pour les personnes invalides qui travaillent, dans la mesure où le plafonnement au niveau de salaire précédant immédiatement la mise en invalidité pénalise la reprise d'activité des assurés les plus modestes. Nous suggérons aussi de verser aux personnes invalides les plus proches de l'emploi des pensions pour une durée définie, renouvelable en fonction de leur état de santé, et d'identifier celles qui ont besoin d'un suivi particulier sur les plans médical, social et professionnel. Par ailleurs, l'ensemble des médecins-conseils de l'assurance maladie gagneraient à évaluer l'état d'invalidité à partir d'un référentiel national homogène et pertinent - là aussi, c'est un enjeu d'équité entre les assurés.

Les enjeux d'efficience concernent aussi notre système de santé.

À la veille de la révision de la loi relative à la bioéthique, la Cour a souhaité examiner deux activités de soins qui en dépendent : les greffes d'organe et l'assistance médicale à la procréation. Bien entendu, il ne s'agit pas pour nous de prendre position sur les questions éthiques, qui n'ont rien à voir avec nos attributions. En revanche, il nous est apparu utile de porter à votre connaissance et à celle de nos concitoyens les points forts, mais aussi les faiblesses, de l'organisation et du fonctionnement actuels de ces activités.

Développer les greffes d'organe est en soi un enjeu d'efficience pour notre système de santé. Nous le savons tous : les greffes - au nombre de 5 781 en 2018 - sauvent des vies. Pour les patients qui connaissent une insuffisance rénale terminale, elles sont à la fois plus efficaces et moins contraignantes que les séances de dialyse ; elles sont aussi moins onéreuses. Même si la France est bien placée au niveau international en matière de prélèvements et de transplantations d'organe, la file des patients en attente d'une greffe s'allonge, et le nombre de greffes a baissé en 2018. Il convient donc plus que jamais de chercher à surmonter l'appréhension d'une partie des familles à l'égard du prélèvement d'organe sur un proche décédé et de favoriser le développement du don de reins entre vivants. Nous recommandons aussi de mieux structurer et sécuriser les différents segments de la chaîne de la greffe.

Quant à l'assistance médicale à la procréation, elle permet un nombre croissant de naissances : 25 614 en 2017, soit 3,3 % du total. Toutefois, de plus en plus de couples se tournent vers l'étranger pour réaliser leur projet de conception d'enfant. En effet, les dons d'ovocytes, bien qu'en augmentation, ne couvrent aujourd'hui qu'une partie des besoins ; pour leur part, les dons de sperme les couvrent tout juste.

Indépendamment de ces constats, le taux de succès des tentatives de fécondation in vitro (FIV) en France se situe seulement dans la moyenne européenne et présente d'importantes disparités entre centres clinico-biologiques. Dans le cadre bioéthique en vigueur, les prises en charge d'actes médicaux et biologiques par l'assurance maladie devraient mieux prendre en compte les enjeux d'efficience de l'assistance médicale à la procréation. Il conviendrait ainsi de mieux apprécier le bénéfice de l'insémination relativement à la FIV. Par ailleurs, la nomenclature des actes biologiques doit être actualisée plus rapidement afin de suivre le progrès des techniques, dans le cadre bioéthique en vigueur.

J'en viens à un dernier sujet : les rôles respectifs de la médecine hospitalière et de la médecine de ville dans la prise en charge des besoins de nos concitoyens.

Dans notre rapport annuel sur la sécurité sociale de l'an dernier, nous avions souligné le caractère inachevé du virage ambulatoire de notre système de santé, freiné à la fois par la stagnation de la part des séjours à l'hôpital sans nuitée en médecine - alors que cette part augmente en chirurgie - et l'inorganisation de la médecine de ville. Dans notre dernier rapport public annuel, nous avons souligné qu'un passage aux urgences hospitalières sur cinq pourrait être évité si les besoins étaient couverts comme ils le devraient par la médecine de ville.

À travers le plan « Ma Santé 2022 » et la loi de juillet dernier sur l'organisation et la transformation de notre système de santé, les pouvoirs publics ont fixé des orientations visant à mieux structurer le premier recours aux soins. Le Gouvernement prévoit notamment la création d'hôpitaux locaux de proximité et le renforcement des communautés professionnelles territoriales de santé, qui doivent mieux prendre en charge les soins non programmés.

Il nous est apparu qu'une pièce manquait à ce jour dans ce travail de réorganisation de l'offre de soins au niveau territorial : les actes et consultations externes. Je ne parle pas de l'activité libérale de certains praticiens hospitaliers, mais des actes et consultations réalisés par ces derniers dans des conditions de droit commun. Il s'agit d'une activité hybride : assurée à l'hôpital, elle ne donne pas lieu à séjour hospitalier ; les tarifs sont, pour l'essentiel, ceux pratiqués en ville. Cette activité, qui représente 11 % du total des consultations médicales dans notre pays et progresse plus vite que l'activité de ville, tout en ayant un caractère financièrement déséquilibré pour les hôpitaux, reste insuffisamment suivie par le ministère de la santé.

Dans le cadre de la transformation du système de santé, la place des actes et consultations externes dans l'offre de soins devrait être mieux définie en fonction des enjeux d'accès aux soins et d'efficience des organisations hospitalières au lieu de découler, comme c'est le cas aujourd'hui, des seules décisions autonomes des hôpitaux. Lorsque l'offre libérale de ville est insuffisante, les actes et consultations externes à l'hôpital peuvent utilement la compléter ; tel n'est pas le cas dans la situation inverse.

Permettez-moi de conclure sur ce message : faire revenir la sécurité sociale à un équilibre financier durable et éviter que la dette sociale ne se reconstitue au détriment des générations futures, voilà qui est à la fois nécessaire et possible. Derrière les chiffres, derrière l'éloignement brutal du retour à l'équilibre des comptes sociaux, il y a un enjeu essentiel pour notre pays : sauvegarder la sécurité sociale et sa fonction centrale de soin et de solidarité au service de nos concitoyens.

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