Intervention de Christophe Castaner

Réunion du 9 octobre 2019 à 15h00
Politique migratoire de la france et de l'europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Christophe Castaner  :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais partager avec vous quelques convictions sur la politique d’immigration.

La première est que notre politique migratoire est, et doit être une question globale. Elle ne concerne évidemment pas uniquement un ministère ou une politique publique ; elle demande une approche globale, ainsi que le travail et la mobilisation de tous.

Ma deuxième conviction est que ce sujet appelle évidemment – M. le Premier ministre l’a souligné – à la sérénité et au sérieux. Parler d’immigration, c’est souvent parler aussi de sa propre histoire, avec son propre vécu. Parler d’immigration, c’est évoquer un sujet qui touche chacune et chacun d’entre nous. Nous devons l’aborder par les faits, en nous tenant éloignés des a priori et des idées reçues, qui sont nombreuses en la matière.

Notre politique d’immigration, c’est d’abord une question internationale. Et c’est au cœur de cet ordre international que se trouve un acteur absolument incontournable sur la question migratoire : l’Europe.

D’abord, c’est la question de Schengen. Schengen, vous le savez, s’est construit sur deux piliers : la libre circulation des personnes à l’intérieur des frontières et la protection des frontières extérieures. Malgré des avancées fortes, indéniables, puissantes sur le premier pilier, jusqu’à il y a peu, le second n’avait été qu’insuffisamment traité.

Malgré des contrôles extrêmement stricts dans certains points, quelques frontières extérieures de l’Union européenne, que nous appelons des « frontières vertes », sont encore insuffisamment contrôlées.

C’est pour cette raison que le Président de la République s’est engagé très tôt pour la réforme de Schengen, notamment afin d’encourager l’établissement de centres contrôlés aux frontières extérieures de l’Europe, de mieux nous appuyer sur l’Agence européenne de garde-frontières et de créer une Agence européenne de l’asile, enfin, de poser la question de la prise en charge financière des procédures.

Corolaire nécessaire de cette réforme de Schengen, nous devons revoir nos règles en matière de droit d’asile.

Fixant un principe en apparence simple – le pays de première entrée d’un demandeur d’asile traite sa demande –, le règlement Dublin s’est révélé difficile à mettre en œuvre. Ainsi, comme les exemples italien et grec nous l’ont montré, dès lors que les arrivées sont massives, un traitement adapté des demandes est compromis.

Si on ajoute à cela les demandes multiples introduites par les demandeurs d’asile et l’action innommable des trafiquants d’êtres humains, les principes de solidarité entre les États membres ont été totalement compromis.

Pourtant, il est possible de les faire vivre. J’étais la semaine dernière à La Valette avec plusieurs de mes homologues européens. Nous avions des intérêts parfois divergents, mais nous avons trouvé des premières solutions ensemble.

Au conseil des ministres « justice et affaires intérieures » d’hier, où Amélie de Montchalin représentait la France, nous avons exposé notre souhait de poursuivre cette dynamique pour mener une réforme globale et durable du système d’asile sur les deux fondements qu’a rappelés le Premier ministre : solidarité et responsabilité.

En effet, dès l’installation de la nouvelle Commission européenne, nous devons être prêts à proposer des solutions pour avancer sur la refondation de Schengen et sur la réforme du régime d’asile européen. Mesdames, messieurs les sénateurs, la France sera au rendez-vous.

La responsabilité, cela signifie que des règles effectives doivent déterminer les compétences respectives des États membres pour l’examen des demandes d’asile. Certains pays ont plaidé pour une augmentation de la durée de responsabilité. Celle-ci devra naturellement s’effectuer dans une proportion raisonnable. Pour réduire les mouvements secondaires, nous rechercherons des solutions en proposant par exemple qu’un demandeur d’asile ne puisse bénéficier des conditions matérielles d’accueil que dans un seul État, celui qui est responsable de sa demande.

La solidarité, cela signifie qu’une gestion ordonnée des migrations à l’échelle de l’Europe suppose que nous cherchions à aider vraiment les États de première entrée. La France se prononcera en faveur d’un mécanisme de solidarité, qui devra être obligatoire. Obligatoire dans son principe, cette solidarité pourra bien entendu se manifester par des formes différentes selon les États.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons pas envisager notre politique d’immigration sans connaître ce contexte européen, mais nous ne pouvons pas débattre sans partir des faits.

Le premier fait que je veux évoquer, ce sont les entrées régulières sur notre territoire. En 2018, 256 000 personnes sont arrivées régulièrement. Parmi elles, 90 000 sont arrivées par la voie de l’immigration familiale ; ce chiffre est stable depuis de longues années. En outre, 83 000 étudiants ont été accueillis, tout comme 33 000 personnes pour des motifs économiques. Ces deux chiffres sont, eux, en nette hausse ; c’est le reflet des choix que nous avons faits. Or 256 000, c’est deux fois plus que la demande d’asile, sur laquelle, bien souvent, nous nous arrêtons.

Mais il faut noter que la demande d’asile en France présente plusieurs singularités.

La première, c’est son augmentation. Il y a eu, l’année dernière, 123 000 demandes d’asile en France : c’est un record, et cela représente une hausse de 20 % par rapport à 2017, alors même que la demande d’asile en Europe a significativement baissé. J’ajoute qu’elle diminue fortement dans certains pays : en Allemagne, la baisse est de 18 % sur la même période.

Ces données doivent nous conduire à nous interroger, car elles ont des conséquences sur nos capacités à instruire convenablement les demandes et à traiter dignement celles et ceux qui ont besoin de protection.

La deuxième singularité de la demande d’asile en France, c’est qu’elle provient pour une part importante de « pays sûrs ». Cette liste de pays sûrs est établie par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, mais elle découle aussi de la jurisprudence du Conseil d’État. Elle recense les pays où l’État de droit est garanti, où l’État n’est pas une menace pour ses citoyens.

Ainsi, aujourd’hui, un quart de notre demande d’asile provient de pays dits « sûrs », notamment de Géorgie et d’Albanie, deux pays depuis lesquels la demande est en forte augmentation.

À ces demandes s’ajoute la défaillance du système Dublin, puisque 30 % des demandes d’asile effectuées le sont par des personnes ayant déjà introduit une demande dans un autre pays d’Europe.

Ces chiffres ont donc un sens, que nous devons affronter : il est possible que notre système d’asile soit en partie dévoyé, détourné. Et l’on constate qu’une pression très forte s’exerce sur nos services publics, notamment les préfectures ou notre système de santé.

Nous avons pris les choses en main, singulièrement en augmentant nos capacités d’hébergement pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Nous nous sommes aussi emparés, dès le début du mandat, des questions d’immigration, d’asile et d’intégration.

La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a été une première étape. Elle est aujourd’hui pleinement entrée en vigueur. Toutes les mesures réglementaires nécessaires à son application ont été prises et les crédits budgétaires, les moyens matériels, humains et les mesures d’organisation ont été au rendez-vous.

Ce texte a permis des avancées fortes, nécessaires, utiles.

Je pense notamment à l’allongement de la durée maximale de rétention de quarante-cinq à quatre-vingt-dix jours, qui a permis des éloignements que nous n’aurions pas pu réaliser autrement.

Je pense également à la possibilité offerte aux préfets de prendre dans certains cas des mesures d’éloignement après une décision de l’Ofpra confirmée par les juridictions. Depuis son entrée en vigueur, 3 000 OQTF – obligations de quitter le territoire français – ont pu être prises sur ce fondement.

J’ajoute que les lois de finances successives ont concrétisé nos efforts en matière d’asile, d’immigration et d’intégration et qu’ils seront encore amplifiés dans le projet de loi de finances pour 2020.

Concrètement, ce sont 480 places supplémentaires en centres de rétention administrative – CRA – depuis le début du mandat. Ce sont 229 millions d’euros supplémentaires pour l’allocation pour demandeur d’asile – ADA –, dont 112 millions d’euros cette année. Ce sont 3 000 places supplémentaires pour les centres d’accueil des demandeurs d’asile et 5 000 places d’hébergement supplémentaires pour les réfugiés. Ce sont des engagements forts, significatifs, concrets.

Je veux dire aussi que Laurent Nunez et moi-même multiplions les déplacements pour améliorer nos coopérations avec les pays d’origine. Nous utilisons également toutes les options qui nous sont offertes pour lutter contre l’immigration irrégulière, qu’il s’agisse de l’aide au retour volontaire, du contrôle des frontières intérieures ou des éloignements forcés, dont le nombre a augmenté de 10 % en 2018 et progresse encore cette année.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux le dire fermement : nous pensons notre politique d’immigration pour réussir notre politique d’intégration. Sur ce point, notre gouvernement s’est engagé fortement.

Les crédits budgétaires dévolus à l’intégration ont été portés à des niveaux sans précédent : ils ont connu une hausse de 75 % depuis 2017. Nous avons revu notre parcours d’intégration pour doubler le nombre d’heures de français et d’instruction civique, en allant parfois jusqu’à 600 heures au total.

Nous avons renforcé les programmes qui favorisent l’insertion professionnelle. Ils font désormais pleinement partie de nos politiques d’intégration et nous devons aller plus loin encore, notamment pour les femmes ou les réfugiés qualifiés. À cette fin, nous avons engagé une réflexion pour simplifier les procédures et revoir la liste des métiers dits « en tension ».

Enfin, nous devons prendre en compte le désir exprimé par de nombreux réfugiés de résider dans les grands centres urbains. C’est une difficulté de gestion supplémentaire. Julien Denormandie et moi-même recevrons bientôt des maires qui se sont engagés pour contribuer à cet accueil, ainsi que ceux qui font face à des situations d’une particulière complexité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la question de notre politique migratoire est une clé pour notre pacte républicain, une clé pour notre intégration, une clé pour la confiance entre les dirigeants et les Français.

Nous ne transigerons pas sur nos valeurs. Nous aborderons toutes les solutions avec sérieux et sérénité, sans caricature. Le Premier ministre a dessiné quelques pistes lundi à l’Assemblée nationale ; elles se précisent aujourd’hui au Sénat.

Nous avons besoin de regarder cette question en face, sans passions excessives ou fantasmes entretenus. Nous avons besoin de faire preuve de courage, d’avancer des propositions et d’aborder tous les aspects du débat, sans exception.

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