Intervention de Christelle Dubos

Réunion du 9 octobre 2019 à 15h00
Politique migratoire de la france et de l'europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Christelle Dubos :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’occasion nous est donnée d’évoquer sereinement et en responsabilité un sujet qui, trop souvent, déchaîne les passions.

C’est, me semble-t-il, une bonne occasion de tordre le cou à beaucoup d’idées reçues, tout en nous montrant vigilants et fermes quand les situations l’exigent.

Si je pense qu’il est important que nous puissions débattre ensemble de cette question, c’est évidemment parce qu’elle interpelle nos concitoyens, mais c’est aussi parce que, pendant plus de vingt ans, comme travailleuse sociale, j’ai été confrontée à tout ce que l’incompréhension et la confusion peuvent provoquer comme rejet de l’autre et comme dégâts pour notre cohésion sociale.

Ma conviction profonde, c’est qu’il faut ouvrir ce sujet à tous nos concitoyens, et ne pas le laisser à une seule famille politique qui dupe nos concitoyens avec un discours aussi brutal que simpliste.

Dans la foulée d’un grand débat historique, le Président de la République n’a pas éludé la question migratoire, allant jusqu’à affirmer que « le deuxième grand combat européen avec le climat, c’est le combat en matière de migration ».

Oui, l’enjeu des migrations dépasse largement les frontières de la France, et l’Europe doit construire cet espace commun, parce qu’une Europe qui sait maîtriser les flux migratoires, ce sont des États membres qui accueillent mieux.

Mieux accueillir, c’est respecter des conventions auxquelles la France est partie et dont l’accès aux droits fondamentaux est un pilier essentiel.

En France, et nous pouvons en être fiers, chacun, quelle que soit sa situation, peut accéder aux soins. C’est tout le sens d’une protection maladie qui est universelle, puisqu’elle permet à chaque personne qui travaille ou qui réside en France de manière stable et régulière de bénéficier de la prise en charge de ses frais de santé. En France, votre couverture maladie ne dépend pas de votre emploi ou de votre statut.

Cette protection est donc accessible quelle que soit la nationalité de l’assuré, et elle inclut les ressortissants étrangers titulaires d’un titre de séjour, les réfugiés, mais aussi les demandeurs d’asile.

Des dispositifs sont aussi prévus pour la prise en charge des soins des personnes migrantes en situation irrégulière.

C’est le cas de l’aide médicale de l’État, l’AME, qui permet de couvrir les soins essentiels des ressortissants étrangers en situation irrégulière, en médecine de ville comme à l’hôpital.

Cette couverture n’est pas immédiate, puisqu’elle nécessite une présence d’au moins trois mois sur le territoire. Par ailleurs, elle est délivrée sous condition de ressources.

Si ces conditions ne sont pas remplies, la prise en charge est alors limitée à celle des soins urgents.

Ces procédures sont indispensables. Agnès Buzyn l’a bien rappelé lundi à l’Assemblée nationale : « en France, on ne laisse pas des personnes périr parce qu’il leur manque le bon tampon sur le bon document. »

Elles sont aussi indispensables pour des raisons de santé publique et pour éviter la propagation de maladies.

L’aide médicale de l’État répond également à un impératif d’économies : si elle n’existait pas, elle aurait pour conséquence une dépense plus grande, parce qu’une prise en charge tardive d’une maladie est toujours plus coûteuse qu’une prise en charge à temps par la médecine de ville.

Pourtant, certaines caricatures ont la vie dure, et l’aide médicale de l’État n’y échappe pas. Elle est même devenue, au fil des années, un motif récurrent des discours de peur et de repli. Il est temps de clarifier les choses !

Avec l’AME, le niveau de prise en charge est moins important que celui des assurés en situation régulière qui, à ressources égales, bénéficient de la CMU-C.

Ainsi, les actes de PMA, les médicaments à service médical rendu faible, remboursés à 15 %, et, bien sûr, les frais de cures thermales ne sont pas pris en charge par l’AME.

Les frais pris en charge en grande partie par les complémentaires santé, tels que les frais dentaires ou optiques, ne le sont pas par l’AME.

Enfin, les soins à visée esthétique ne sont, bien évidemment, pas pris en charge par l’AME.

S’agissant des autres droits sociaux, l’objectif est de faciliter l’intégration des personnes.

Sur ce sujet, je veux mettre fin, là encore, aux idées reçues, qui voudraient que les étrangers en situation irrégulière aient un large accès aux prestations sociales.

Les personnes en situation irrégulière n’ont droit à aucune prestation en dehors de la prise en charge de leurs soins. Je n’inclus pas dans ce propos les demandeurs d’asile, qui ne sont pas considérés comme étant en situation irrégulière sur notre territoire.

S’agissant des personnes en situation régulière, nous appliquons des principes constitutionnels et des règles internationales qui s’imposent à tous et par lesquelles se matérialise l’accès aux droits fondamentaux. Ces principes, nous y tenons.

Pour autant, l’égalité de traitement n’est pas totale : la plupart des minima sociaux sont soumis à des conditions de résidence plus restrictives pour les ressortissants étrangers en situation régulière que pour les ressortissants français. Par exemple, pour percevoir le RSA, une condition de cinq ans de résidence sur le territoire est requise.

Cette différence de traitement n’est pas contraire à notre exigence de cibler les besoins des populations concernées, parce qu’il en va de leur santé et de leur intégration.

Il ne faut pas oublier que les personnes migrantes sont souvent plus vulnérables : il est donc indispensable d’aller vers elles pour qu’elles puissent accéder aux soins et aux droits.

C’est la raison pour laquelle nous avons structuré un parcours de santé des primo-arrivants, en lien avec le secteur associatif, les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les agences régionales de santé, pour organiser une prise en charge des besoins le plus rapidement possible.

C’est aussi la raison pour laquelle nous avons augmenté les moyens alloués aux permanences d’accès aux soins de santé, les PASS, qui réunissent soignants et travailleurs sociaux, accueillent de manière inconditionnelle et exercent cette mission d’accompagnement médico-social des personnes les plus vulnérables.

Je profite de ce débat pour saluer le travail remarquable des travailleurs sociaux et des associations, qui œuvrent chaque jour avec une énergie remarquable au service de cette intégration.

Quand certains cultivent une rente en alimentant le rejet, d’autres sont sur le terrain et trouvent des solutions pour que la cohésion sociale soit autre chose qu’une belle expression dans un discours.

Pour autant, nous sommes vigilants : comme pour toutes les politiques publiques, nous nous interrogeons sur l’efficience du système et nous ne fermons pas la porte à l’identification d’éventuels abus. Cette démarche est indispensable pour restaurer la confiance dans notre système, qui semble aujourd’hui faire défaut.

Je pense en particulier à l’aide médicale de l’État, qui représente une dépense de 848 millions d’euros en 2018. C’est une dépense importante. Pourtant, je rappelle que la dépense par bénéficiaire de l’AME est équivalente à la dépense par bénéficiaire d’un assuré, alors même que l’état de santé des bénéficiaires de l’AME est notoirement plus dégradé.

Une mission a donc été confiée aux inspections générales pour faire la lumière sur d’éventuels fraudes ou abus et pour proposer des pistes de progression.

Ces pistes pourront tenir compte des modèles en vigueur chez nos principaux voisins, même si, au-delà des comparaisons, c’est bien le cadre de prise en charge le plus pertinent et le plus efficace qu’il nous faut examiner.

Plusieurs options sont actuellement étudiées par la mission d’inspection. Nous regarderons l’ensemble des options proposées avec une grande attention, mais je souhaite préciser dès aujourd’hui que nous ne retiendrons pas la solution d’une participation financière des personnes admises à l’AME : cela constituerait un obstacle trop important pour l’accès effectif aux soins. L’introduction éphémère d’un droit de timbre en 2011 a montré qu’une telle mesure ne faisait que reporter les coûts de prise en charge sur les soins urgents.

Deux autres pistes sont étudiées par la mission d’inspection : subordonner à un accord préalable l’accès à certaines prestations, en dehors des soins urgents ou vitaux ; ajuster le périmètre du panier de soins pris en charge par l’AME.

Mais encore une fois, ce ne sont que des pistes, et nous attendons que la mission rende ses conclusions à la fin de ce mois.

En revanche, nous n’attendons pas les conclusions de cette mission pour renforcer les contrôles : l’AME et les soins urgents ne doivent pas être détournés de leur vocation, et ils doivent bénéficier à ceux qui y ont effectivement droit.

Ces contrôles portent sur les conditions d’éligibilité à l’AME, comme la durée du séjour et les ressources effectives des demandeurs, mais peuvent également avoir lieu a posteriori, en particulier pour ce qui concerne les bénéficiaires qui ont le plus recours aux soins.

Le regroupement des demandes d’AME dans trois caisses primaires d’assurance maladie permettra de mieux les contrôler.

Nous allons ainsi déployer un plan de lutte contre les fraudes. L’une des mesures de ce plan permettra de lutter contre le phénomène des détournements de procédure de ressortissants étrangers bénéficiant d’une assurance privée dans le cadre d’un visa Schengen, mais qui demandent l’AME pour bénéficier de soins considérés comme étant de meilleure qualité en France.

Les caisses d’assurance maladie auront accès, dès la fin de l’année, à la base Visabio du ministère de l’intérieur, qui permettra d’identifier les demandeurs dissimulant un visa et n’ayant donc aucunement vocation à bénéficier de l’AME ou des soins urgents.

Voilà de manière très concrète et pragmatique comment nous voulons redonner confiance dans un système auquel nous sommes très attachés.

S’agissant du cas particulier des demandeurs d’asile, le régime est celui d’une affiliation à l’assurance maladie, et donc souvent à la CMU-C, dès le dépôt de la demande.

Une hausse significative de demandes d’asile a été observée par des personnes en provenance de pays signalés « d’origine sûre », ce qui signifie que dans l’immense majorité des cas, ces demandes d’asile n’aboutiront pas.

L’abus est par conséquent rendu possible par cette affiliation immédiate à l’assurance maladie.

Seule une étude approfondie nous permettra d’en savoir plus sur l’existence de ces filières et donc de repenser, si cela est nécessaire, les conditions d’affiliation à l’assurance maladie pour les demandeurs d’asile.

Cette étude est en cours et la mission d’inspection est au travail.

Un délai de carence, pendant lequel nous prendrions évidemment en charge les soins urgents, pourrait se concevoir, comme c’est le cas d’ailleurs pour les Français qui rentrent de l’étranger sans activité professionnelle.

Lutter contre les fraudes, c’est mettre fin à une suspicion qui nuit à tous les autres : ce n’est pas remettre en question notre obligation constitutionnelle d’un accès à la santé pour tous.

C’est surtout le moyen le plus sûr de mettre enfin un terme aux idées fausses qui circulent.

Mesdames, messieurs les sénateurs, faire vivre les grands principes sans être naïfs, c’est être fidèles à nos valeurs sans laisser prospérer des discours de peur.

Notre exigence doit être celle de la justice envers les populations vulnérables, pour que la manière dont nous les accueillons soit conforme à l’image que nous nous faisons de la grandeur de la France.

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