Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, le Président de la République, devant les parlementaires de la majorité, s’est livré à une action de populisme d’État qui a étonné et choqué. Pourtant, peut-être grâce à la mobilisation d’une partie de cette même majorité, le Gouvernement a fait preuve d’une très grande mesure dans le présent débat, et c’est heureux ! En effet, si nous voulons le réussir, nous ne devons pas avoir l’accueil honteux ! Nous devons assumer notre politique et nos valeurs.
Pourquoi, malgré tout, une telle précipitation ? Veut-on éviter d’attendre une évaluation objective de la loi Collomb adoptée à l’été 2018, en particulier de ses mesures les plus controversées ? Je pense notamment au doublement de la durée maximale d’enfermement en centre de rétention, qui n’a fait que compliquer les conditions de rétention, mais aussi les conditions d’exercice de leurs missions des agents de la police aux frontières, ou encore aux vidéo-audiences sans consentement des personnes, qui ont été le vecteur des grèves précédemment évoquées.
Nous ne devons pas avoir l’accueil honteux, et l’État doit accompagner les associations, les collectivités, les citoyens qui se mobilisent pour offrir cet accueil.
La France, comme vous l’avez déclaré à l’Assemblée nationale, monsieur le Premier ministre, « ne doit être ni plus ni moins attractive que ses voisins ». Il me semblait pourtant que la politique voulue par le Président de la République était justement de renforcer l’attractivité de notre pays… Dès lors, il faut assumer tous les aspects de cette attractivité, car, voyez-vous, tout le monde lit les mêmes articles et écoute les mêmes discours !
S’agissant de la simplification, j’ai mis la mission – vous l’avez évoquée voilà quelque temps – que vous avez confiée au Conseil d’État pour simplifier le droit des étrangers sur le compte de votre sens de l’humour légendaire. C’est effectivement assez étonnant quand on voit l’usine à gaz construite, dans la loi Collomb, pour supprimer le caractère suspensif d’un appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA : on a doublé les procédures, avec une possibilité d’un appel simultané à la Cour et à un tribunal administratif, juste pour essayer de ne pas sortir des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est bien votre gouvernement qui a complexifié un certain nombre de procédures !
Toutes les migrations sont légitimes, mes chers collègues. Mais l’asile, qui protège le combattant de la liberté, la personne menacée dans son existence, est un droit, un engagement et un devoir pour notre nation. Nos principes constitutionnels et nos engagements conventionnels sont une partie de nous-mêmes.
Ainsi, toutes les migrations ne peuvent pas être mises sur le même plan. Pour déterminer si une personne relève de la convention de Genève, une instruction de sa demande doit être diligentée. L’asile est un droit quand l’immigration est une politique – il faut bien séparer les choses.
Mais l’immigration est aussi une richesse. Elle a accompagné notre pays dans ses années de croissance. D’ailleurs, le Canada, qui n’a pas oublié qu’elle était une richesse, continue à prospérer !
Dans le même ordre d’idée, je m’étonne que l’on réforme les retraites, car il n’y aura bientôt plus assez de cotisants, et que l’on refuse, dans le même temps, de constater l’existence de forces vives travaillant parfois clandestinement dans notre pays. Nous nous engageons ainsi dans une spirale du déclin.
La loi, dite Cazeneuve, du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a fait le pari qu’en accroissant les droits, on rendrait plus efficace le traitement des demandes d’asile – or il est plus facile de rejeter une demande d’asile rapidement traitée. Elle a aussi instauré un dispositif national d’accueil, qui exigeait des moyens, moyens ayant été supprimés par la loi adoptée l’année dernière par le Parlement. Le doublement de la durée maximale de rétention a complexifié, comme je l’indiquais, le travail des agents et les conditions de rétention des personnes.
Aujourd’hui, l’Europe est effectivement le cadre de la politique d’asile.
Vous avez cité le cas de l’Albanie et de la Géorgie, monsieur le Premier ministre, qui figurent dans le tiercé de tête des pays d’origine des demandes d’asile en France. C’est un problème ! Mais si la France refuse à certains pays européens une perspective européenne, les citoyens s’emparent parfois par eux-mêmes d’une telle perspective. C’est ce qui se passe avec l’Albanie et de nombreux pays des Balkans occidentaux. C’est ce qui se passe, aussi, de l’Ukraine vers la Pologne. La politique européenne doit prendre ce phénomène en compte.
Il faut également que nous puissions signer, avec ces pays, des accords en matière de sécurité sociale, afin de répondre à certaines difficultés actuellement rencontrées. La mise en place d’un système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages, l’Etias, à l’instigation de la France, et son développement probable sous deux ans permettront, d’ici peu, de vérifier que les ressortissants des pays non soumis à une exigence de visa disposent bien des assurances leur permettant d’intégrer l’espace Schengen.
Sur ce point précis, comme sur le renforcement de Frontex mis en œuvre depuis 2016, l’Europe apparaît non pas comme une contrainte pour notre politique d’asile et de migration, mais bel et bien comme une solution.
Cette solution, qui nous a permis de faire face à la situation en 2015, suscite aujourd’hui deux inquiétudes : la première a trait à la situation en Turquie et en Grèce – la Turquie, notamment, n’a plus la capacité de répondre seule aux demandes de l’Europe ; la seconde porte sur le cas de l’Espagne, confrontée aux effets de la crise migratoire américaine, avec, notamment, l’accueil de ressortissants vénézuéliens et nicaraguayens.
Quelques précisions me semblent également devoir être apportées au sujet de la politique d’asile européenne.
Le règlement de Dublin pose deux difficultés.
Premièrement, il établit la responsabilité de pays situés géographiquement au sud de l’Europe, qui doivent faire face pour tous les autres. D’ailleurs, si ces pays ont accepté une telle responsabilité, c’est parce qu’ils n’ont jamais imaginé qu’on allait un jour mettre en place Frontex et des hotspots, en exigeant l’enregistrement de tous les entrants. Aujourd’hui, nous devons faire preuve d’une plus grande responsabilité et d’une plus grande solidarité à l’égard de ces pays, en raison des conséquences que cela peut avoir en termes de politique intérieure – on l’a vu en Italie –, mais aussi parce que l’enregistrement systématique dans la base Eurodac n’est pas sans incidence.
Deuxièmement, cela a été signalé, il existe des mouvements secondaires. Ainsi, on ne peut pas traiter de la même manière une personne entrée en Italie qui se rend dans un autre pays pour déposer une demande d’asile et que l’on considère comme « dublinable » et une personne qui, étant allée en Allemagne et ayant vu sa demande débouter par ce pays, se rend ensuite en France. Le règlement de Dublin ne fait pas de distinction entre ces deux cas, qui sont pourtant différents. Sous cet angle, il doit être changé.
À cet égard, nous avions proposé, dans le cadre de la discussion du projet de loi sur l’asile et l’immigration de 2018, que la France prenne sur elle d’étudier la situation des personnes dont la demande d’asile n’avait pas été examinée dans les pays de première entrée, notamment l’Italie et la Grèce, afin de soulager ces derniers.
Par ailleurs, on ne peut pas stigmatiser certains pays de l’espace Schengen, qui n’ont pas la même histoire que nous. Si on ne peut pas avancer tous ensemble, mieux vaut avancer plus loin avec certains ! Je crois donc que, sur ce sujet, des coopérations renforcées sont possibles.
On ne peut pas demander à des pays qui n’étudieront pas les demandes d’asile correctement de participer, d’accepter d’accueillir des personnes et d’étudier leur demande.
Ce qu’il convient de faire, c’est, d’abord, de mettre en place un dispositif de reconnaissance mutuelle des instructions des demandes d’asile entre un certain nombre de pays européens, quitte à ce que ce soit par le biais d’une coopération renforcée. Et, pour faire reconnaître l’ensemble de ce fonctionnement, il faut instituer, autour des pays concernés par cette coopération, une cour européenne du droit d’asile, de manière à garantir aux demandeurs que leur dossier sera traité de la même manière.
Ensuite, il faut s’assurer que toute personne ayant obtenu l’asile dispose des mêmes droits à la circulation et à l’installation qu’un ressortissant européen.
Enfin, il faut développer les visas au titre de l’asile dans le cadre de cette coopération renforcée. La France y recourt un peu, mais il faut essayer d’établir un peu plus de normes dans ce domaine. Il n’est pas logique que nombre de ceux qui se retrouvent sans statut et sans moyens dans nos rues soient simplement des « dublinés » ne sachant pas où aller.
Cela a été dit, l’aide médicale de l’État est essentielle. Prenons l’exemple du sida : 50 % des pathologies associées à cette maladie en France concernent des étrangers et 50 % de ces pathologies affectant des étrangers ont été contractées en France. On a là une image criante de la précarité, démontrant toute l’importance de cette politique, qui est une politique de santé publique. Ni plus ni moins !
S’agissant des quotas, on ne peut pas faire grand-chose si l’on veut respecter nos exigences, et ce d’autant que moins de 30 000 personnes, chaque année, obtiennent un premier titre de séjour pour des raisons économiques – la Pologne en dénombre vingt fois plus ! Il paraît donc difficile de mettre en place une politique de quotas.
À ce propos, monsieur le Premier ministre, permettez-moi de rappeler le grand succès de votre politique d’attractivité à l’égard des étudiants étrangers… J’étais au Brésil voilà peu et, cette année, le nombre d’étudiants brésiliens se rendant en France pour étudier a chuté de 40 %. Tels sont les effets de votre politique d’attractivité !
Les conditions du regroupement familial ont été précisées. Elles ne sont franchement pas favorables et visent à s’assurer que les personnes qui arrivent avec leurs familles seront contributrices au budget de la Nation. Alors que les familles de Français représentent une part importante des personnes obtenant un premier titre de séjour, je rappelle, en tant que représentant des Français de l’étranger, qu’il n’est pas si simple d’arriver en France lorsque l’on est conjoint de Français.
Monsieur le Premier ministre, il faut arrêter de dire que le droit du sol prévaut en France. Nous appliquons non pas le droit du sol, mais le double droit du sol, ou alors le droit du sol avec action volontaire, avec conditions de scolarité et de stage. C’est très différent ! Il ne faut pas laisser croire aux gens qu’il suffit de naître en France pour devenir français… De la sorte, on se retrouve avec la situation de Mayotte !
L’accueil constitue aussi une préoccupation, croissante à Paris, et il a fallu qu’un décès soit constaté à Saint-Herblain pour que la préfecture se mette enfin à recenser les besoins des personnes présentes sur le campement concerné. Nous avons le sentiment que le Gouvernement cherche à exploiter cette situation au seuil des élections municipales. M. Griveaux n’a pas échappé à ce travers hier… Les associations, les collectivités ont besoin que soient mobilisés des moyens de l’État. Tout cela est essentiel pour pouvoir garantir un accueil correct.
Si l’on veut réussir l’intégration dans notre pays, il faut aussi arrêter de faire « bienvenue chez Kafka » ! Dès qu’ils atteignent dix-huit ans, les mineurs isolés accompagnés par les départements sont livrés à eux-mêmes pour l’obtention de leur prochain titre de séjour. Les difficultés procédurales pour accéder au droit du travail, totalement hypocrites, favorisent les réseaux d’esclavage et les employeurs peu scrupuleux.
Il n’y a pas d’intégration sans égalité de droits ! C’est un point particulièrement important pour les personnes qui sont nées en France et n’ont pas connu leurs pays d’origine : elles doivent se sentir chez elles. Si ce n’est pas le cas, nous avons un problème !
Et que penser des files d’attente qui s’allongent, conduisant de nombreux demandeurs à se retourner contre l’État ?
Il y aurait encore beaucoup à dire, monsieur le Premier ministre… Dans ce contexte, il est essentiel de faire preuve de courage. L’asile n’est pas une charge, c’est un devoir ! Un devoir qui nous vient de ce que nous ont appris ceux qui ont souffert des événements survenus en Europe au XXe siècle. Pour que chacun ait des droits, ils ont construit un système d’accueil, issu des principes de la Révolution française, issu de leurs propres réflexions, permettant que tout homme puisse se sentir citoyen du monde. Nous n’avons pas à avoir peur ! Donnons-nous les moyens de faire de l’immigration une chance et d’assumer correctement le principe du droit d’asile !
Nous avons noté l’évolution des discours, entre celui que le Président de la République a tenu voilà quelques semaines et celui que vous nous faites aujourd’hui, monsieur le Premier ministre.