Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 9 octobre 2019 à 15h00
Politique migratoire de la france et de l'europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

C’est aussi cela, « regarder en face ». L’immigration est un vrai sujet, mais, pour moi, ce n’est pas un problème.

Pour relancer ce débat, vous agitez et manipulez les chiffres du droit d’asile. François Héran, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire migrations et sociétés, considère pour sa part que, s’il y a problème, c’est parce que le diagnostic initial est faux : la France est loin, très loin d’être le premier pays d’Europe pour la demande d’asile. « Raisonner en chiffres absolus n’a aucun sens quand il s’agit de comparer des pays de taille inégale et de richesse variable. » Ainsi, en passant des chiffres bruts aux chiffres relatifs, les 400 000 demandes enregistrées sur notre sol depuis janvier 2015 ne représentent que 10 % du total européen ; et, dans l’hypothèse où toutes les personnes concernées seraient restées en France, elles n’auraient accru notre population que de 0, 6 %, contre 2 % en Allemagne et 0, 8 % en moyenne dans l’Union européenne.

Aussi, à l’échelle de l’Europe, vu notre population et notre économie, on se fourvoie quand on imagine que des facteurs d’attraction exceptionnels, comme l’aide médicale de l’État ou le regroupement familial, placeraient notre pays en première ligne.

Je m’arrêterai quelques instants sur la réforme annoncée de l’aide médicale de l’État. Le fait que ce débat ressurgisse est largement révélateur de la logique politique suivie : stigmatiser encore et toujours la figure du migrant, jusqu’à la caricature.

Après le « shopping de l’asile », La République En Marche et le Gouvernement nous ont parlé de « tourisme médical ». Mais sachez que toute mesure qui contribue à réduire l’accès de toutes et tous à la santé est contraire au respect des droits fondamentaux et porte atteinte à la dignité individuelle.

De plus, ces choix soulèvent d’importantes questions en matière de santé publique. La ministre, Mme Agnès Buzyn, se veut rassurante sur le sujet, mais, quand même, ne soyons pas dupes : les conclusions des rapports demandés aux inspections concernées seront remises, précisément, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale… Nous veillerons aux mesures qui seront alors adoptées.

Tous ces reculs proposés à l’échelle nationale ne sont bien sûr que le reflet de la politique migratoire européenne en vigueur.

L’approche uniquement sécuritaire de l’immigration défendue par l’Union européenne n’est plus à démontrer : elle est parfaitement assumée depuis la création de l’agence Frontex, que vous n’avez de cesse d’encenser, sans parler des accords avec la Turquie, conclus à la suite de la crise syrienne.

Dans ce cadre, deux points doivent être soulevés à l’échelon européen.

Premièrement, la définition des « pays d’origine sûrs » doit être revue. Je pense évidemment au prétendu détournement du droit d’asile, dont vous parlez en boucle, par les Albanais et les Géorgiens. L’asile n’a été accordé qu’à 8 % des Albanais et à 5 % des Géorgiens pourchassés bien souvent pour des raisons de vendetta, d’orientation sexuelle ou même d’engagement politique, comme le rappellent la Cimade ou l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour, l’Ardhis. Mais d’autres pays bien peu sûrs figurent sur cette liste : je songe par exemple au Bénin. Qu’en pensez-vous ?

Deuxièmement, le règlement de Dublin, dont vous appelez de vos vœux le renforcement, est obsolète. Un autre système doit le remplacer.

À plusieurs reprises, le Défenseur des droits a appelé le Gouvernement à suspendre l’application de ce règlement pour permettre à des personnes extrêmement fragilisées par des mois d’errance de demander l’asile. Il rappelle qu’il existe, « en Europe, plusieurs centaines de milliers de personnes dont le retour dans le pays d’origine – du fait de leur nationalité – est impossible mais qui, en application de ces règles, ne trouveront jamais d’issue juridique et humaine à leur situation. » Or, en 2017, la France s’est révélée la championne européenne des refus d’entrée aux frontières terrestres, renvoyant massivement des personnes en quête de protection vers l’Italie.

Quoi qu’il en soit, la question de l’immigration se posera de nouveau très rapidement, et dans des termes internationaux. Il nous faudra alors défendre une interprétation plus large des critères de la convention de Genève, notamment pour tenir compte des nouvelles causes d’exil forcé, qui affectent des groupes entiers de personnes, comme les conséquences du dérèglement climatique.

Le fait de renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait, pas plus que l’instauration de quotas révélateurs d’une vision néocolonialiste et assez étroite de nos frontières.

Au contraire, je vous invite à prendre connaissance de l’Éloge des frontières de Régis Debray, pour qui « la frontière rend égales, tant soit peu, les puissances inégales : les riches vont où ils veulent à tire-d’aile, les plus pauvres vont où ils peuvent en ramant, ceux qui ont la maîtrise des stocks […] peuvent jouer avec les flux en devenant encore plus riches, ceux qui n’ont rien en stock sont les jouets des flux. »

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