Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 9 octobre 2019 à 15h00
Politique migratoire de la france et de l'europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

… en énonçant que « quiconque arrive d’un pays tiers sûr n’a pas besoin de la protection, car il aurait pu trouver une protection contre les persécutions politiques dans le troisième État ». C’est exactement ce que ne permet pas notre droit constitutionnel. Bref, les cours constitutionnelles française et allemande doivent essayer de rapprocher leurs points de vue, par exemple dans le cadre de la Conférence européenne des Cours constitutionnelles.

Notre deuxième proposition, c’est la renégociation de l’espace Schengen. Monsieur le Premier ministre, vous y travaillez aussi. À cet égard, je formule deux suggestions.

D’une part, il est pertinent de donner davantage de moyens à l’agence Frontex, à condition qu’elle ait une politique migratoire à appliquer. La définition de la mission est un préalable au renforcement de l’outil. §D’autre part, il faut se préoccuper de l’interopérabilité des systèmes d’information. En cette matière, rien n’est réglé. Je vous passe le détail des différents systèmes ; mais le caractère essentiel de ce travail d’interopérabilité, couplé à une histoire informatique française qui a pu avoir ses défaillances, me conduit à vous suggérer une maîtrise d’ouvrage particulièrement robuste dédiée à cette mission !

Sur un autre plan, nous ne serions pas opposés au principe des hotspots dans le cadre d’une révision du paquet dit « asile ».

Mes chers collègues, notre troisième proposition consiste à réformer et à simplifier le droit de l’éloignement : avec neuf régimes, ce droit est extrêmement complexe et mobilise beaucoup de moyens. Curieusement, sa refonte n’avait pas été incluse dans le texte de 2018, alors qu’elle ne poserait pas de problème constitutionnel. Néanmoins, monsieur le Premier ministre, nous saluons la mission que vous venez de confier au Conseil d’État, afin de proposer des solutions de simplification.

Nous sommes ouverts à l’idée, déjà débattue au Sénat, suivant laquelle le rejet de la demande d’asile par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, vaudrait OQTF, à la manière de la force exécutoire attachée à tout jugement civil. En revanche, cette solution me semblerait plus difficile à envisager pour les décisions non judiciaires de l’Ofpra.

Notre quatrième proposition vise la non-coopération des pays d’origine qui pose un problème majeur et la politique de réciprocité via les conditions d’octroi des visas qui a ses limites. Cette question peut être traitée sous forme bilatérale – l’Espagne fait mieux que nous, par exemple, avec le Maroc – ou à l’échelon européen, en s’appuyant sur la conditionnalité des aides au développement.

Cette mesure serait efficace si elle était couplée à un haut niveau d’ambition sur le plan du développement à l’égard du Maghreb ou de l’Afrique, une sorte de Routes de la soie à l’européenne. Cette idée a été évoquée parmi les propositions avancées par les ministres.

Notre cinquième proposition concerne la question des quotas : mon groupe y est plutôt favorable, même si nous en connaissons le caractère assez limité depuis la mission menée par Pierre Mazeaud, sur l’initiative du président Sarkozy, puisque ces quotas ne seraient opposables ni aux demandeurs d’asile ni aux demandeurs de regroupement familial.

Nous serions a minima favorables à l’idée d’un débat annuel devant le Parlement avec des orientations, voire des objectifs chiffrés, dont l’administration pourrait rendre compte en cas de non-réalisation.

Nous sommes également ouverts à l’idée d’un statut de migrant temporaire avec permis de séjour et de travail, à la manière d’une green card européenne, assez similaire à l’autorisation temporaire pour les métiers en tension que vous évoquiez, monsieur le Premier ministre.

Notre sixième proposition s’attache à l’AME, au regroupement familial, à la naturalisation, bref, à des symboles politiques qui relèvent largement de principes constitutionnels.

Mon groupe est favorable à une analyse ciblée des conditions de résidence, de ressources, d’intensité des liens familiaux, ou encore de durée, sans pour autant remettre en cause les principes.

Septième proposition : nous souhaitons la simplification des régimes d’hébergement.

À ce jour existent les CADA – centres d’accueil des demandeurs d’asile –, les CPH, ou centres provisoires d’hébergement, les HUDA – hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile –, les CAES, les centres d’accueil et d’examen de la situation, les CAO, les centres d’accueil et d’orientation, ou encore les CHUM – centres d’hébergement d’urgence pour migrants –, le tout sous l’égide des PRAHDA, les programmes d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile. Chaque dispositif a un coût spécifique et offre des prestations différentes. Une rationalisation de l’hébergement nous semble indispensable.

Notre huitième proposition vise à répondre à la question suivante : comment améliorer l’intégration ? Nous reconnaissons le travail réalisé pour améliorer la formation à la langue française et l’intégration professionnelle, avec le plan d’investissement dans les compétences, le PIC.

Nous formulons deux suggestions. Tout d’abord, travaillons beaucoup plus localement sur l’intégration. Cela pourrait, par exemple, prendre la forme de contrats locaux d’intégration républicaine, dont il m’a semblé trouver la trace dans les propos de M. le ministre de l’intérieur.

La seconde suggestion concerne la question du travail. Un demandeur d’asile ne peut envisager de travailler avant un délai de six mois – neuf mois précédemment ; nous serions prêts à examiner l’abandon pur et simple de ce délai, dont nous pensons qu’il présente finalement plus d’inconvénients que d’avantages.

Quel intérêt avons-nous à priver les demandeurs d’asile de revenus potentiels et de la possibilité de faire leurs preuves ? N’est-il pas préférable de sortir de l’hypocrisie et de légaliser ce travail ?

Notre neuvième et dernière proposition concerne l’exigence de globalité ou de transversalité. Que nous parlions d’interopérabilité, de conditionnalité ou de situation des mineurs non accompagnés, nous faisons face aux éternelles difficultés françaises des silos de décision, avec des sujets qui ne relèvent que du ministère de l’intérieur, du ministère des affaires étrangères ou du ministère de la justice. Mon groupe insiste sur la nécessaire prise en charge transversale de la question du droit d’asile et de l’immigration, un peu à la manière du secrétariat général des affaires européennes, le SGAE en ce qui concerne l’Europe, sujet transversal par définition.

En conclusion, nous proposons de recentrer et d’harmoniser le droit d’asile pour mieux le préserver et de réguler l’immigration à la mesure de notre capacité d’intégration. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, mon groupe est disponible pour continuer à y travailler.

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