Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 9 octobre 2019 à 15h00
Politique migratoire de la france et de l'europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Vous avez refusé l’augmentation des moyens consacrés aux centres de rétention, ou plus exactement, à l’expulsion ; vous avez refusé les plafonds fixés annuellement, démocratiquement, par le Parlement ; vous avez refusé le resserrement du regroupement familial. Sur ce point, vous avez même fait pire : vous avez ouvert le regroupement familial, au moment même où tous les autres pays le limitaient. Je parle non pas de l’Italie de Salvini, mais de la Suède ou de l’Allemagne.

Quant à l’AME, mes chers collègues, avec une régularité métronomique, nous votons tous les ans sa transformation en aide médicale d’urgence, avec un panier resserré et, avec la même régularité métronomique, le Gouvernement s’y oppose. Vous avez finalement dit « non » à sa transformation, monsieur le Premier ministre, mais j’ai compris que le Président de la République avait dit plutôt « oui », puis j’ai entendu Mme Buzyn dire plutôt « non ». Aujourd’hui, c’est donc ni oui ni non ! §On ne sait plus où on en est.

Mon sentiment est que vous n’avez pas, monsieur le Premier ministre, la majorité pour mener une politique de fermeté. Voilà la réalité ! Vous êtes non pas dans une logique de rupture en matière de politique migratoire, mais dans une logique de posture et de faux-semblants.

Comme souvent sur des sujets pourtant importants, vous semblez faire, mais vous faites semblant !

Or l’immigration ne peut pas s’accommoder de faux-semblants, parce que c’est un sujet explosif.

Explosif, d’abord, sur le plan démographique. Oui, mille fois oui ! Les chocs migratoires que nous avons connus il y a deux ou trois ans ne sont que les prémices de secousses telluriques beaucoup plus violentes qui se produiront lorsque l’Europe aura perdu, à la fin du siècle, 100 millions d’habitants alors que l’Afrique en aura gagné près de 2 milliards.

Auguste Comte disait : « la démographie, c’est le destin ». L’honneur de la politique, ce n’est pas de seulement subir les effets et d’essayer de les traiter en courant après, mais c’est de s’attaquer aux causes, si nous ne voulons pas que notre destin soit réduit à la fatalité.

Où est notre politique familiale ? Elle est détricotée, vous le savez parfaitement. De ce point de vue, vous avez suivi avec constance le processus engagé par vos prédécesseurs.

Le sujet est explosif, ensuite, sur le plan politique, mes chers collègues, parce que certains ont utilisé l’immigration comme un sujet politicien et ont fait de la figure du migrant la figure idéale du bouc émissaire, d’autres, à l’inverse, en ont fait la figure de substitution d’un prolétaire devenu introuvable, d’autres encore ont vu dans chaque homme un individu interchangeable et dans chaque migrant une ressource économique bon marché déplaçable et corvéable à merci.

Ce sujet est, enfin, explosif en matière de démocratie. Ce n’est pas moi qui le dis, mais un philosophe que je respecte énormément, Marcel Gauchet, qui l’a très bien expliqué. L’immigration de masse est sans doute le phénomène social qui a le plus bouleversé nos sociétés. Il a pourtant été laissé totalement à l’écart de la délibération du peuple français ; sans doute est-ce parce que le peuple pense mal, que son opinion est peu convenable.

Dans son dernier livre, No Society, Christophe Guilluy cite ces grandes enquêtes menées par Ipsos dans vingt-cinq pays à propos de la perception de l’impact de l’immigration sur les sociétés : 20 % seulement des sondés qualifient cet effet de positif, et ils ne sont que 11 % en France à le faire.

Mes chers collègues, nous pouvons nous cacher derrière notre petit doigt, mais je suis assez d’accord avec le constat effectué par le Président de la République lorsqu’il parle d’embourgeoisement et évoque le risque d’une société française coupée en deux, avec des catégories supérieures éduquées qui ont les moyens de se mettre à l’abri des effets de l’immigration par des stratégies d’évitement résidentiel et scolaire et d’autres catégories, plus populaires, qui ne peuvent financer ces frontières invisibles pour se protéger.

Le résultat est là, et craignons ce moment qui pourrait advenir : les gens d’en haut ne pourront pas éternellement dire que ceux d’en bas se trompent, que leur diagnostic est politiquement incorrect et qu’il faut de toute urgence les rééduquer. Cela n’est plus possible !

Il faut au contraire réagir. J’ai lu dans la presse que vous n’aviez pas peur de réfléchir à la proposition de plafonds votée annuellement par le Parlement, tel que nous l’avions émise avec François-Noël Buffet. Fichtre, c’est décoiffant !

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