Intervention de Édouard Philippe

Réunion du 9 octobre 2019 à 15h00
Politique migratoire de la france et de l'europe — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Édouard Philippe :

… mais parce que l’on a dit beaucoup de choses.

Ce n’est pas la première fois, ni au Sénat ni à l’Assemblée nationale, que l’on parle des sujets d’immigration. Toutefois, ce n’est pas parce que l’on en a déjà parlé que ce débat serait inutile ; au contraire, ce sujet est au cœur d’interrogations françaises et d’un processus législatif massif et ancien. Il continue à interroger les Français et à structurer, parfois, le débat public.

Il me semblerait extravagant que nous ne l’évoquions pas ici, et je veux dire, une fois encore, l’intérêt qu’il y a à en discuter, non pas à propos d’un texte ou d’une mesure, mais bien dans la globalité de ce qu’il représente, s’agissant d’instruments publics ou de problématiques politiques.

De ces interventions, je peux retirer quelques convergences. Beaucoup d’entre nous ont évoqué le sujet sous l’angle de l’impact qu’il a sur la citoyenneté, c’est-à-dire sur le lien fondamental qui relie nos compatriotes à la Nation. Beaucoup d’entre vous, aussi, ont dit leur volonté de conjuguer l’humanisme, la fidélité à nos valeurs, l’ouverture avec le réalisme, la fermeté ou la capacité à maîtriser des phénomènes migratoires.

Les termes sont différents, et l’on peut ensuite débattre des mesures à prendre, mais l’on retrouve bien la volonté, très largement partagée dans cet hémicycle, de concevoir la politique migratoire de la France entre ces deux points de tension : la nécessaire fidélité aux valeurs auxquelles nous croyons – la France est un pays ouvert, qui croit au droit d’asile – et une certaine forme de fermeté, c’est-à-dire la capacité de choisir et de ne pas se voir imposer qui a le droit de résider sur le territoire national.

Dans cette tension, difficile à mettre en œuvre, mais rappelée sur toutes les travées, je veux voir une forme de convergence plutôt réjouissante.

S’agissant des points plus prometteurs encore, le sénateur Alain Richard et le sénateur Philippe Bonnecarrère ont dit, avec le président Jean-Claude Requier, combien le rapprochement des positions nationales en Europe, ou la nécessaire construction d’une politique européenne était indispensable, s’agissant du contrôle des flux migratoires et de l’harmonisation, de la fluidification et de l’efficacité d’une véritable politique d’asile. Nous le sentons tous.

Beaucoup d’entre vous ont présenté l’asile comme une question centrale au sein de la politique migratoire. En la matière, nous devons utiliser les pistes qui sont à notre disposition et prendre des initiatives diplomatiques en Europe pour rapprocher les conditions d’accueil, pour harmoniser, ou au moins pour coordonner, les procédures d’instruction entre les pays, pour utiliser, le cas échéant, les instructions réalisées par d’autres pays pour prendre des décisions qui nous reviennent. Il ne me semble pas que cela serait incompatible avec notre conception du droit d’asile.

Bref, il nous faut construire des mécanismes qui permettent d’harmoniser l’approche européenne en matière de droit d’asile, de traitement des demandes et d’accueil des demandeurs. C’est un point de convergence qui m’a paru très fort et qui s’impose comme une nécessité pour nous tous.

La deuxième question, délicate, qui a été posée en des termes très clairs par plusieurs d’entre vous, est celle de l’intégration.

Il ne s’agit pas simplement de l’accueil matériel, au moment où l’étranger qui a le droit de rester fait sa demande avant d’être admis au séjour, mais de la question du creuset culturel, du partage effectif des valeurs qui sont au cœur de notre société.

Permettez-moi de dire un mot sur un sujet qui a déjà été évoqué, il me semble, par le président Claude Malhuret. L’intégration des étrangers en France a toujours été difficile. On dit souvent, en se tournant vers le passé, qu’elle était plus simple lorsqu’il s’agissait d’une immigration issue de zones géographiques plus proches de la France, et de populations dont les convictions religieuses étaient parfois plus proches, voire identiques aux nôtres. Tout cela est vrai, mais il reste que l’intégration a toujours été difficile.

Le « modèle républicain » n’était pas si stabilisé au moment où les Italiens ou les Polonais sont arrivés en masse dans notre pays. Leur conception de la pratique religieuse était souvent bien différente de celle qui prévalait en France. Ces difficultés ont donné lieu à des violences, à des discriminations, à des phénomènes de réaction dont nous savons, parce que nous avons lu l’histoire à défaut d’avoir connu ces événements, qu’ils étaient également difficiles.

Autrement dit, si la question de l’intégration se pose assurément en des termes qui sont plus compliqués aujourd’hui que dans le passé, cela n’a jamais été ni facile ni simple pour autant. C’est pourtant le combat qui est devant nous si nous voulons à la fois faire prévaloir notre capacité d’accueil et préserver la solidité de notre modèle social.

Quelles sont les suites à donner à ce débat ? Plutôt que de répondre à l’ensemble des questions techniques ou précises qui ont été posées, c’est le sujet essentiel auquel je veux en venir. Je développerai trois points.

Premièrement, il s’agit d’adopter une logique de travail et pas de posture, car la posture, monsieur le président Retailleau, est d’une certaine façon toujours la position de l’autre. Il ne s’agit en rien de posture en la matière ; il s’agit d’essayer de trouver des instruments efficaces, une approche que je prétends équilibrée – même si certains la trouveront déséquilibrée –, en prenant en compte des contraintes multiples.

Ces contraintes, notamment juridiques, dont nous devons parfois essayer de nous défaire, datent pour certaines de longtemps. Elles résultent de décisions prises dans le passé, parfois dans des circonstances différentes, mais elles restent très strictes et très fortes.

Je l’ai dit à l’Assemblée nationale, et je le redis devant cette assemblée : la décision de supprimer l’obligation de visa pour un certain nombre de pays qui aspirent à entrer dans l’Union européenne tels que l’Albanie, qui a été citée, ou la Géorgie, n’a pas été prise par ce gouvernement, et vous le savez bien, monsieur le président Retailleau. Peut-être a-t-elle été prise dans un contexte bien différent – pas tant que cela, puisqu’elle date de 2010, s’agissant de l’Albanie.

Quoi qu’il en soit, elle se traduit aujourd’hui par un nombre considérable de demandes d’asile de la part de ressortissants d’un État dont nous considérons qu’il est sûr, et avec lequel certains de nos partenaires européens veulent même commencer des négociations pour l’adhésion à l’Union européenne.

Je dois dire, monsieur le président Retailleau, que j’ai du mal à saisir comment, malgré le très grand nombre de demandes d’asile émanant de ressortissants albanais – c’est une donnée dont nous disposons –, on pourrait dire que l’Albanie est à un niveau de préparation justifiant le début des négociations avec l’Union européenne pour une éventuelle adhésion.

De deux choses l’une : s’il y a beaucoup de demandes d’asile, c’est qu’il y a un sujet, et s’il y a un sujet, il est compliqué pour ce pays d’entrer dans l’Union européenne ; et s’il n’y a pas de sujet pour l’adhésion à l’Union européenne, il ne devrait pas y avoir de demandes d’asile…

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