Intervention de Isabelle de Silva

Délégation aux entreprises — Réunion du 8 octobre 2019 à 15h00
Audition de Mme Isabelle de Silva présidente de l'autorité de la concurrence et de M. étienne Chantrel rapporteur général adjoint chef du service des concentrations

Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la Concurrence :

Merci beaucoup Madame la Présidente. Il s'agit de ma première audition par la Délégation aux entreprises. C'est une bonne chose d'avoir des échanges réguliers sur les sujets qui vous intéressent. Dans mon propos liminaire, je m'attacherai à dresser un bref état des lieux. Ensuite, nous répondrons à vos questions particulières.

L'Autorité de la Concurrence s'intéresse au marché des télécommunications de façon globale, mais en utilisant à chaque fois des prérogatives particulières, ce qui peut participer à une forme de complexité Nous disposons d'outils pour appréhender certains sujets tandis que d'autres phénomènes nécessitent davantage des actions de long terme, des régulations sectorielles, voire des modifications législatives. Je vais vous donner une illustration de la manière dont nous voyons le marché aujourd'hui et exposer ce que nous pouvons faire pour agir sur les problématiques que vous avez relevées.

Le dernier document de synthèse de l'ARCEP que vous avez pu consulter met en évidence quelques constantes. Premièrement, les services de télécommunications sont de plus en plus stratégiques pour les entreprises, quelle que soit leur taille. Sur certains types de prestations, plusieurs offres se révèlent intéressantes en termes de qualité et de prix. Cependant, certaines parties de la demande sont moins favorablement pourvues, et c'est le point que vous avez souligné. Par ailleurs, nous abordons des sujets stratégiques aussi bien en termes d'équilibre financier que de nécessités opérationnelles pour les entreprises. Ces éléments font de ce marché un marché très important, notamment du point de vue des développements technologiques, aussi en termes de déploiement de nouveaux services de téléphonie que d'accompagnement des nouvelles technologies.

Un sujet est souligné comme potentiellement insatisfaisant : celui de l'accès des entreprises, notamment des PME, à la fibre. Les grandes entreprises ont à leur disposition un certain nombre de services marqués par une forme de concurrence, même si nous pourrions souhaiter que des acteurs supplémentaires fassent leur entrée sur le marché. En revanche, l'accès des TPE et PME au marché de la fibre apparaît problématique. Il nous paraît important de garantir l'accès de ces entreprises à des offres de bonne qualité technique et à un prix acceptable. Or, les TPE et PME seraient peu équipées en raison d'une offre insuffisante et d'une dynamique concurrentielle restant à améliorer. Il y a donc là une nécessaire amélioration afin de permettre à ces entreprises d'accéder à une offre de qualité à un prix acceptable : c'est le constat dressé par l'ARCEP dans le cadre de la consultation publique réalisée sur ce point, que nous avions fait nous-mêmes lorsque nous nous étions saisis de l'analyse de marché de l'ARCEP.

Parmi les actions que nous pourrions envisager, nous identifions un premier axe important qui concerne nos échanges avec le régulateur sectoriel. L'ARCEP dispose d'outils pour élaborer les régulations sectorielles et les mettre à jour. Nous sommes obligatoirement consultés sur les analyses de marché de l'ARCEP. Notre dernière intervention dans ce cadre remonte à 2017. Nous aurons à nous prononcer de nouveau en 2020 au sujet de la régulation, de la situation du marché et des outils à mettre en place.

En 2017, lorsque nous avions été saisis du cinquième cycle d'analyse de marché, l'ARCEP avait formulé un certain nombre de propositions sur le marché des entreprises, notamment en ce qui concernait Orange. Dans notre avis, nous avions indiqué soutenir le postulat selon lequel une régulation spécifique d'Orange était nécessaire. Toutefois, nous avions estimé que les obligations d'Orange pouvaient être renforcées par rapport à d'autres opérateurs se trouvant dans une situation similaire, notamment au titre du déploiement du réseau dans les immeubles. Cette recommandation n'avait pas été suivie par l'ARCEP. Nous pensions que dès lors qu'un opérateur était dans une position spécifique en tant qu'opérateur d'immeuble, la régulation devait s'appliquer à lui afin de favoriser l'accès d'autres prestataires.

En 2017, nous avions également relevé un problème d'animation concurrentielle, considérant que les acteurs du marché de gros à destination des entreprises n'étaient pas suffisamment nombreux. Nous étions en ligne avec l'ARCEP à cet égard. Nous avons plaidé en faveur d'une régulation favorable à l'arrivée de nouveaux acteurs de manière à garantir de meilleurs services et de meilleurs prix.

Nous serons mobilisés en 2020 avec la nouvelle analyse du marché entreprises de l'ARCEP qui est encore aux prémices de sa réflexion avec la consultation publique. Nous envisagerons avec elle les solutions possibles sous l'angle de la régulation. Il arrive que nos visions divergent à la marge de celles de l'ARCEP, ce qui favorise une dynamique positive. Il nous paraît souhaitable que nous puissions échanger avec le régulateur sectoriel qui a une vision d'ensemble, en faisant valoir notre approche relative à la concurrence, sur la détermination du bon niveau de régulation ainsi que sur les outils. Il convient de préciser que nous avons également à connaître la situation d'Orange au titre des pratiques anticoncurrentielles. À la suite de la décision de sanction que nous avons prise à l'encontre d'Orange, au titre de ses pratiques sur le marché des entreprises, cette société a été soumise à des injonctions structurelles assez importantes. Nous sommes très vigilants quant à la bonne application de ces injonctions structurelles et échangeons régulièrement à ce sujet avec Orange et les autres opérateurs qui peuvent parfois nous faire remonter des préoccupations.

L'Autorité de la Concurrence dispose enfin d'un ensemble de pouvoirs, particulièrement importants, au titre des concentrations. Ces pouvoirs peuvent s'exercer lorsqu'une opération de concentration majeure a lieu (par exemple, SFR-Numericable) ou encore lorsque nous vérifions le respect des engagements d'une opération de concentration.

Pour bien comprendre le sujet qui préoccupe KOSC aujourd'hui il faut remonter à la décision de 2014 portant sur la prise de contrôle par SFR de Numericable. Nous avions identifié - c'est la méthodologie habituelle - des risques concurrentiels liés à l'opération ; afin de parer à chacun d'entre eux nous avions émis un certain nombre d'engagements que différentes entreprises - et principalement SFR - devaient respecter. L'engagement qui concerne aujourd'hui KOSC était relatif au renforcement de SFR-Numericable en termes d'accès à l'Internet très haut débit, du fait du réseau câblé qui devait être transféré. Sans revenir sur l'ensemble des marchés qui étaient impactés, on peut rappeler qu'il y avait des marchés « entreprises » et des marchés de particuliers. Aux termes de l'autorisation que nous avions émise en 2014, SFR a été soumis à une série d'engagements dont un certain nombre n'ont pas été respectés. L'engagement qui concerne KOSK était relatif au transfert du réseau cuivre de Completel. L'émission d'un tel engagement procédait à la fois de l'analyse de l'opération, de la position particulière de SFR et Numericable au regard de l'accès à Internet très haut débit pour les particuliers, ainsi que d'une analyse du marché. Nous souhaitions encourager le développement du nombre d'opérateurs de télécommunications sur le marché professionnel, aussi bien pour les marchés de gros que de détail.

Le risque identifié était celui d'une forte réduction de la concurrence avec le passage de trois opérateurs à deux seulement pour les réseaux cuivre et fibre optique. L'engagement destiné à résoudre ce risque était la cession du réseau cuivre de Completel afin de garantir une offre aux opérateurs du marché de détail spécifique aux entreprises, permettant d'accéder aux boucles locales de fibre optique par une offre de gros. Postérieurement à notre décision d'autorisation, nous avons délivré à KOSC un agrément en vue de la reprise du réseau DSL de Completel. Depuis lors, que s'est-il passé et des difficultés ont-elles été rencontrées dans la mise en oeuvre de cet engagement ?

Nous sommes toujours très vigilants quant au respect des engagements. Si l'on effectue des comparaisons européennes et internationales, nous sommes sans doute l'Autorité la plus exigeante qui a le plus sanctionné des non-respects d'engagements. Nous le faisons pour des raisons de principe : lorsque nous soumettons une autorisation à un engagement, nous estimons que ce dernier est très important et il ne s'agit pas que les entreprises concernées puisse considérer qu'il constitue une lettre morte qu'elles pourraient ne pas respecter sans conséquence. C'est la raison pour laquelle nous avons sanctionné deux non-respects d'engagements de la part d'Altice SFR. Le premier, en 2016, était relatif à Outremer Telecom et a conduit à une sanction de 15 millions d'euros. Le second non-respect, relatif au contrat « Faber » signé par SFR et Bouygues, s'est traduit en 2018 par une sanction de 40 millions d'euros.

S'agissant du transfert du réseau cuivre à KOSC, plusieurs procédures de suivi ont été mises en oeuvre et ont assez bien fonctionné. Le suivi était ainsi assuré tout d'abord par le mandataire, chargé de s'assurer du bon déroulement tout au long du processus de transfert et, ensuite, à travers des dispositifs spécifiques déployés avec le concours de l'ARCEP lorsque nous avons été alertés de difficultés. En effet, il y a environ deux ans, nous avons commencé à entrevoir quelques éléments d'alerte, venant notamment de KOSC, sur la mise en oeuvre de l'engagement, mais aussi de SFR au sujet du règlement du prix de cession par KOSC. Dans les mois qui ont suivi, nous nous sommes attachés à obtenir la résolution des difficultés liées au transfert du réseau ; c'était un objectif d'efficacité de l'engagement. C'est ce qui nous a conduits à favoriser un processus de dialogue énergique, qui a été déployé sous l'égide de l'ARCEP pour résoudre les difficultés entre KOSC et SFR. Nous avions connaissance de l'engagement de plusieurs contentieux par les deux parties devant les juridictions commerciales. Nous avons en outre ouvert une saisine d'office pour nous assurer du respect, par SFR, de ses engagements. C'est une procédure qui vise à mettre en oeuvre tous nos moyens d'investigation afin de s'assurer que l'engagement est respecté, pouvant déboucher soit sur une sanction soit - ce fut le cas ici - sur une clôture de saisine d'office si nous estimons qu'il n'y a pas eu de faute avérée. Parallèlement à cette procédure de saisine d'office, nous nous sommes attachés à vérifier que le réseau soit effectivement transféré et fonctionne : ce point était important pour nous, indépendamment de la procédure qui pouvait mener à une sanction.

Nos investigations ont suivi un principe, essentiel, mais qui a peut-être pu conduire aux divergences d'appréciation qui ont pu être manifestées de la part du responsable de KOSC : notre cadre a consisté à vérifier que SFR avait bien respecté l'intégralité de ses engagements - aussi bien la lettre que leur esprit et leur effectivité -, mais uniquement ceux contenus dans la décision d'autorisation de l'opération de 2014. Il est clair que KOSC avait une autre interprétation des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence et de qu'aurait dû être son office à cet égard. Cette société considérait qu'au-delà de la lettre de l'engagement, SFR aurait dû mettre en oeuvre un certain nombre d'actions ou d'obligations diverses fondées sur des bases contractuelles et que nous aurions dû en tenir compte et trancher ce débat dans notre décision. Il s'agit d'un point juridique de désaccord entre la décision de l'Autorité et KOSC. Nous avons procédé à une analyse très fine pour déterminer les obligations de SFR qu'il nous revenait de contrôler. La vérification de l'état de la concurrence sur le marché ne relevait pas de nos prérogatives dans le cadre de ce contrôle, c'était une autre question. Nous pourrions avoir une situation concurrentielle qui semblerait très défavorable, que nous regretterions peut-être, mais pour autant cela ne nous autoriserait pas à sanctionner SFR ou à exprimer notre appréciation sur ce point. Encore une fois, il y a une divergence forte sur ce point entre KOSC et nous : dans la décision nous avons dressé la liste de tout ce que SFR devait respecter au titre de la décision de 2014 et nous avons clairement précisé qu'il pouvait y avoir d'autres obligations à fondement contractuel ou quasi délictuel, mais que celles-ci devraient faire l'objet d'une action contentieuse devant les juridictions compétentes. La décision opère une analyse assez fine de la portée de l'obligation de SFR avec des points assez techniques sur la notion de transfert du réseau. Nous nous sommes notamment interrogés sur le point de savoir si ce transfert, tel que défini par la décision de 2014, devait inclure l'activation du réseau. Une fois notre position arrêtée sur ce point, nous avons regardé ce qu'avait fait Altice en examinant les dates, les preuves ainsi que les arguments qui pouvaient être donnés par KOSC. Ce denier attendait beaucoup de cette décision et nous a fait part de son insatisfaction quant aux agissements de SFR. Au cours de cette instruction, qui s'est échelonnée sur plusieurs mois, nous avons confronté les éléments matériels, les déclarations d'Altice, de KOSC, du mandataire et de l'ARCEP. Nous avons ainsi consacré un temps assez long à l'examen des procès-verbaux de réserves émis par KOSC pour déterminer les modalités et la légitimité de celles-ci. Vous nous aviez d'ailleurs alertés sur la durée de ce travail d'instruction pendant l'été. Néanmoins, ce travail n'a pas toujours été facilité par les parties, qui nous ont communiqué certains documents assez tard. Je crois au contraire que l'instruction a été très rapide au regard de la complexité des vérifications nécessaires.

Finalement, nous avons constaté que le réseau avait bien été transféré dans les délais impartis. KOSC attendait un certain nombre d'obligations supplémentaires aux engagements, notamment en ce qui concernait l'activation du réseau. Nous avons estimé, pour des raisons juridiques, que ces obligations dont il demandait l'application, ne relevaient pas des obligations au titre de l'engagement.

Enfin, nous avons considéré qu'il n'y avait pas matière à sanctionner Altice et avons donc clôturé cette saisine d'office. En d'autres termes, Altice n'avait commis aucune faute au regard de ses engagements. Nous avons également voulu montrer qu'en l'état du dossier, aucun élément ne justifiait l'ouverture d'une sanction pour non-respect des engagements. Nous avons choisi de ne pas traiter un certain nombre de points qui ne figuraient pas dans l'engagement et qui relevaient d'un contentieux contractuel en cours, indépendamment du contentieux au sujet du paiement de la facture du réseau.

Nous sommes prêts à répondre à toutes vos questions.

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